Brésil : en cette période politique agitée, le droit de manifester dans les universités est menacé

Parmi les actions menées dans les universités de Paraíba, la saisie d’une banderole revendiquant « plus de livres, moins d’armes » | Photo : Reproduction/GloboNews

Dès le lendemain de l’élection du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro [fr], du Parti social libéral, les universités ont été le théâtre de manifestations à l'encontre ou en faveur du nouveau président du Brésil. Synthétisant bien ainsi les clivages qui divisent actuellement le pays.

À l’Université de São Paulo, un évènement qui promettait de réunir 2800 partisans de Bolsonaro n’en a rassemblé qu'une vingtaine. Des suspicions de débordements dans l’établissement ont provoqué l'intervention de la police. À l’Université de Brasília, une manifestation qui avait débuté « contre le communisme » a fini par se transformer en marche « contre le fascisme », par réaction d’autres étudiants. À Juiz de Fora, dans l’état de Minas Gerais, la police locale est également intervenue après qu’un étudiant de l’université a envoyé des messages audio sur WhatsApp dans lesquels il disait qu’il « allait tirer (…) sur tous ceux qui lui mettraient la rage ».

La semaine précédant les élections, les établissements d’enseignement supérieur avaient déjà fait l'objet d’actions judiciaires controversées, autorisées par la justice électorale. Dans plusieurs universités publiques réparties dans tout le pays, du matériel a été saisi comme des banderoles et des drapeaux, et des conférences en faveur de la démocratie et contre le fascisme ont été interdites. Officiellement, il s’agissait d’empêcher une propagande politique illégale, les juges électoraux ayant bien compris que la teneur des manifestations portait tort à Bolsonaro.

Le futur président, alors qu'il était candidat, a même déclaré en direct sur les réseaux sociaux que « l’université n’est pas un endroit pour manifester », comme le rapporte la Folha de São Paulo :

“A universidade não é lugar disso mas, se querem fazer um ato desse, os dois lados têm que ter o direito de fazer”, disse, acusando que seus apoiadores não sejam autorizados a protestar.

(…)

Há relatos de ao menos 30 instituições de ensino alvos de operações desde o início da semana, a maioria sob a justificativa de coibir propaganda eleitoral irregular. Os críticos da atuação dos órgãos oficiais apontam censura.

« L’université n’est pas l’endroit pour ça, mais, s'ils veulent le faire, les deux partis doivent avoir le droit de le faire », a-t-il déclaré, regrettant que ses partisans n’aient pas l’autorisation de manifester.

(…)

On rapporte qu’au moins 30 établissements d’enseignement supérieur ont été la cible d’opérations de ce type depuis le début de la semaine, la plupart dans le but d’empêcher la propagande électorale illégale. Les opposants à ces agissements des organes officiels, eux, parlent de censure.

Les actions

À Rio de Janeiro les opérations ont eu lieu dans trois universités. Dans deux d’entre elles, à l’Université Fédérale Fluminense (UFF) et à l’Université d'État de Rio de Janeiro (UERJ), le motif a été le retrait de banderoles aux slogans « antifascistes » sur ordre du Tribunal régional électoral de Rio de Janeiro (TRE-RJ).

Le Directeur du cursus de Droit de l'UFF peut se faire emprisonner si la banderole contre le fascisme n'est pas retirée de l'Université.

À l’Université de Campina Grande (UFCG), dans l’état du Pernambuco, des policiers fédéraux ont saisi des tracts intitulés « Manifeste en défense de la démocratie et de l’université publique ». Dans les Universités fédérales de Grande Dourados (UFGD) et de Rio Grande do Sul (UFRGS), deux conférences qui devaient parler de « fascisme » et de « défense de la démocratie » ont elles aussi été interdites sur décision judiciaire.

Au Pará, dans le nord du pays, un professeur s’est retrouvé devant des policiers armés, sur le campus de l’Université de l’État du Pará (UEPA), après qu’une élève, fille de policier, ait dénoncé le fait qu’il parlait de fake news. L’universitaire, Mário Brasil Xavier, a été menacé d'emprisonnement.

Pas moins de 20 interventions se sont produites la même journée, suscitant des doutes sur leur éventuelle orchestration. Dans un reportage, The Intercept Brasil indique :

Um levantamento inédito feito pelo Intercept revela que, desde 2011, pelo menos 181 professores universitários se tornaram alvo de ações como fiscalização de aulas, censura, investigações criminais, conduções coercitivas, ações judiciais, sindicâncias, demissões, perseguições, exposição na internet até ameaças de morte. Foram 12 ocorrências em instituições particulares, 54 em estaduais e 115 em federais envolvendo 101 homens e 80 mulheres. Com as eleições, no entanto, a perseguição atingiu outro patamar.

Em uma ação aparentemente orquestrada, pelo menos outras 20 universidades passaram por situações parecidas nesta quinta-feira – a justiça eleitoral, em conjunto com a polícia, determinou a apreensão de materiais supostamente ligados à campanha eleitoral,ainda que não mencionassem partidos, siglas ou candidatos.

Une enquête inédite menée par Intercept révèle que depuis 2011, pas moins de 181 professeurs d’université ont été victimes d’opérations telles que la surveillance de leurs cours, la censure, des enquêtes criminelles, des mesures coercitives, des actions judiciaires, syndicales, des démissions, des persécutions, l’exposition sur internet et même des menaces de mort. Douze de ces cas se sont produits dans des établissements privés, 54 dans des établissements d'état et 115 dans des établissements fédéraux, et ont impliqué 101 hommes et 80 femmes. Avec les élections, les persécutions ont pris une nouvelle dimension.

Dans une opération apparemment très bien orchestrée, pas moins de 20 autres universités ont eu à subir des situations similaires ce jeudi – la justice électorale, en collaboration avec la police, a saisi du matériel prétendument lié à la campagne électorale, même s’il ne mentionnait aucun parti politique, sigle ou candidat.

Les réactions

La Procureure Générale de la République a tout de suite saisi le Tribunal Suprême Fédéral (STF) afin de protéger la liberté d’expression dans les universités. Le ministre Marco Aurélio de Mello a qualifié cette ingérence « de déplacée ».

La veille des élections, la ministre du STF, Cármen Lúcia, ex-présidente de la Cour Suprême, a suspendu les décisions judiciaires ou administratives afin de prévenir d’éventuelles manifestations dans les universités. Dans un extrait de la décision, elle souligne que :

Daí ali ser expressamente assegurado pela Constituição da República a liberdade de aprender e de ensinar e de divulgar livremente o pensamento, porque sem a manifestação garantida o pensamento é ideia engaiolada.
Também o pluralismo de ideias está na base da autonomia universitária como extensão do princípio fundante da democracia brasileira, que é exposta no inc. V do art. 1o. da Constituição do Brasil.
Pensamento único é para ditadores. Verdade absoluta é para tiranos. A democracia é plural em sua essência. E é esse princípio que assegura a igualdade de direitos individuais na diversidade dos indivíduos.

La Constitution de la République garantit expressément la liberté d'apprendre, d'enseigner et de diffuser librement la pensée, car sans une garantie du droit de manifester, la pensée reste une idée emprisonnée.
Le pluralisme des idées est aussi à la base de l'autonomie de l'université en tant qu'extension du principe fondateur de la démocratie brésilienne, qui est exposée dans la sous-section V de l’article 1er de la Constitution brésilienne.
La pensée unique est pour les dictateurs. La vérité absolue est pour les tyrans. La démocratie est dans son essence plurielle. Et c’est ce principe qui garantit l’égalité des droits individuels au sein de la diversité des individus.

Le combat entre les deux camps qui déchirent le Brésil peut durer encore bien longtemps. Jair Bolsonaro est un fervent partisan du projet intitulé « École sans parti » qui, sous prétexte d’interdire un prétendu endoctrinement idéologique de gauche dans l’éducation, impose une ligne conservatrice à droite.

L'un des cas les plus connus de poursuites judiciaires engagées contre des professeurs sur la base de ce projet a été rappelé le lendemain de sa victoire. Ana Campagnolo, récemment élue députée de l’état de Santa Catarina, a incité les étudiants à dénoncer leurs professeurs en fournissant le « nom de l’enseignant, de l'établissement et de la ville ». Le journal Estado de São Paulo explique :

Na publicação deste domingo, Campagnolo diz que “amanhã é o dia em que os professores e doutrinadores estarão inconformados e revoltados”. “Muitos deles não conterão sua ira e farão da sala de aula um auditório cativo para suas queixas político partidárias em virtude da vitória de Bolsonaro. Filme ou grave todas as manifestações político-partidárias ou ideológica”, diz a imagem.
Na legenda, ela afirma ainda que “professores éticos e competentes não precisam se preocupar”. E faz uma ponderação para que vídeos de outros Estados não sejam mais enviados para o seu número, alegando que isso já estava sendo feito na noite de domingo. “Não temos como administrar tantos conteúdos. Alunos que sentirem seu direitos violados podem usar gravadores ou câmeras para registrar os fatos”, orienta.

Dans l’édition de ce dimanche, Campagnolo déclare que « demain, les professeurs, les endoctrineurs vont être désespérés et révoltés». « Beaucoup d’entre eux vont donner libre cours à leur colère et transformer leur salle de classe en auditoire attentif à leurs doléances politiques partisanes après la victoire de Bolsonaro. Filmez ou enregistrez toutes les manifestations politico-partisanes ou idéologiques », dit-elle à l'écran.
Dans les commentaires, elle affirme encore que les « professeurs éthiques et compétents n’ont pas de soucis à se faire ». Et elle demande ensuite que les vidéos en provenance d’autres états ne soient plus envoyées à son numéro, prétendant que c'était déjà le cas dans la nuit de dimanche. « Nous n’avons pas les moyens de gérer autant de contenus. Les élèves qui ont le sentiment que leurs droits ont été violés peuvent utiliser des enregistreurs ou des appareils photos pour consigner les faits », conseille-t-elle.

En 2017, Campagnolo a intenté un procès à une professeure de son master pour avoir donné des cours sur le féminisme, prétextant qu’elle s’était sentie « gênée » en tant que chrétienne. La professeure a reçu des marques de soutien de diverses institutions et le procès a finalement été jugé infondé par la Justice. La future députée, pourtant, a fait appel de la décision.

Interviewé par le site Nexo, avant les élections, le professeur Luiz Araújo, de la faculté d’éducation de l’université de Brasilia, a déclaré que « les gens avaient peur » et que cela s'avérait être « le pire ennemi » :

Em Pernambuco, um bispo católico foi notificado para que se abstivesse de fazer propaganda eleitoral na Igreja. O poder público não pode dizer o que ele pode ou não falar na igreja. E tem de ter isonomia nesse tratamento, pois não vi nenhuma igreja evangélica recebendo esse tratamento, apesar das campanhas ostensivas que elas têm feito. Nenhuma delas foi fechada. Então há também uma escolha de alvos, não é uma repressão generalizada. (…) São dois pesos e duas medidas. Tem um empoderamento das visões conservadoras dentro do aparato do Estado muito, muito perigosa.

Au Pernambuco, un évêque catholique a été averti qu'il devait s’abstenir de faire de la propagande électorale au sein de l’église. Les pouvoirs publics n’ont pas à se prononcer sur ce qui peut se dire ou non dans l’église. Il [l’évêque] doit en avoir des insomnies, parce que je n’ai vu aucune église évangélique recevoir ce traitement, malgré les campagnes ostensibles qu’elles ont menées. Aucune d’elles n’a été fermée. Il y a donc aussi un choix de cibles, ce n’est pas une répression généralisée. (…) Il y a deux poids, deux mesures. On observe une montée en puissance des visions conservatrices à l’intérieur même de l’appareil de l’État et c’est très très dangereux.

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