Au Népal, un politicien accusé de meurtre est élu président du Parlement

Agni Prasad Sapkota. Screenshot from Youtube video by Nepal News

Agni Prasad Sapkota. Capture d'écran d'une vidéo de Nepal News publiée sur YouTube.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais]

Au Népal, les hauts responsables politiques sont devenus des experts pour échapper à la justice : le meilleur exemple est celui du poste de président de la Chambre des députés, actuellement occupé par Agni Prasad Sapkota, qui est accusé de meurtre. Il a remplacé le précédent président, lui-même accusé de viol, le 26 janvier. Quatorze ans après la fin d’une guerre civile qui a duré dix ans [fr], il semble impossible pour la majorité des victimes de ce conflit d'obtenir justice.

Indignation parmi les défenseurs des droits humains

Depuis plus de 10 ans, les groupes de défense des droits humains ne cessent de demander à la Cour suprême du Népal une enquête indépendante concernant Sapkota, membre du Comité permanent du Parti communiste népalais actuellement au pouvoir, qui est accusé du meurtre du directeur d’école Arjun Lama.

Malgré la gravité de cette accusation, la popularité de Sapkota continue de croître au sein de son parti. Le 26 janvier, il a été élu à la présidence de la Chambre des députés, portant un coup massif à la perspective de justice et de vérité promise aux milliers de victimes de violations des droits humains ainsi qu'aux organismes veillant au respect de ces droits.

Cette décision a en effet ignoré la déclaration publiée conjointement le 25 janvier par Amnesty International, la Commission internationale des juristes (CIJ), Human Rights Watch et TRIAL International, exhortant le Parti communiste népalais (PCN) au pouvoir à reconsidérer la nomination de Sapkota jusqu’à ce qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée à bien.

Le 27 janvier, au lendemain de la nomination de Sapkota, la police a arrêté plus d’une douzaine d'activistes, dont des membres d’Amnesty International Népal. Ils et elles ont été finalement libéré.e.s plus tard dans la journée.

L'affaire tristement célèbre d'Arjun Lama

Sapkota est accusé d’avoir commandité en juin 2005 l’enlèvement et le meurtre d’Arjun Lama, le directeur d’une école locale. À l’époque, Sapkota était membre du Comité permanent du Parti communiste népalais (centre maoïste), dirigé par Pushpa Kamal Dahal (dit “Prachanda”), une figure clé de la politique népalaise, qui est aussi considéré comme le déclencheur de la guerre civile.

Après avoir été deux fois Premier ministre, Prachanda est maintenant le co-président du parti politique au pouvoir, le Parti communiste népalais, qui a fortement contribué à l’élection de Sapkota. En effet, il semblerait que Sapkota ait été le protégé de Prachanda : malgré les plaintes déposées par les organisations de défense des droits humains, Sapkota a pu mener une brillante carrière politique en tant que ministre de l’Information et de la Communication en 2011, puis comme ministre des Forêts et de la Conservation des sols de 2015 à 2016.

En revanche, la vie de Purnimaya Lama, la veuve d’Arjun Lama, est un cauchemar : depuis 2005 elle se bat pour essayer de comprendre ce qui est arrivé à son mari. Ce n’est qu’avec le soutien des organisations locales et internationales des droits humains ainsi qu’une ordonnance de la Cour suprême qu’elle a pu convaincre la police du district où son mari a été emmené d’établir enfin un premier rapport d’information (First information Report) en 2008. À ce moment là, son mari était déjà porté disparu depuis 3 ans.

Pire encore, le cas Arjun Lama a été suspendu pendant l'élection du président, permettant à Sapkota d'accéder à son nouveau poste en dépit des protestations des groupes de défenseurs des droits humains :

Selon Amnesty international Népal, la prochaine audience est prévue en février 2020.

Une culture gangrenée par l'impunité

Bien que les projecteurs des médias soient braqués sur Sapkota, il n'est qu'un rouage d'un système composé de personnes ayant des antécédents tout aussi douteux en matière de droits humains.

De l'ancien président du Parlement, Krishna Bahadur, accusé de viol, aux déclarations provocantes et désinvoltes de Prachanda, en passant par des pressions exercées sur des femmes compétentes pour qu'elles démissionnent, il est évident que les hauts responsables politiques du Népal renforcent la culture de l'impunité à leur profit.

En effet, Prachanda a annoncé dans un tweet qu'il était prêt à assumer la responsabilité de 5 000 décès sur 12 000. Cette annonce vient après son commentaire de l'année passée où il a mis au défi ses détracteurs de l'amener devant la Cour pénale internationale [fr] de la Haye d'où il reviendrait “en héros”, a t-il déclaré de manière provocante.

Et comme le choix de Prachanda s'est porté sur Sapkota pour le poste de président, l'une des principales aspirantes, Shiva Maya Tumbahamphe (issue du même parti que Sapkota, bien qu'il s'agisse d'une faction autrefois séparée, la CPN-UML), a été forcée de démissionner, laissant la voie libre à Sapkota. Cela nous rappelle qu'au Népal, le patriarcat l'emporte sur les compétences :

Aussi décourageant que cela puisse être, on ne peut plus contester la réalité d'une culture omniprésente de l'impunité. Bien que les maoïstes aient signé l’Accord de paix global en 2006 contenant une disposition essentielle pour enquêter sur leur rôle dans les exécutions extrajudiciaires, cette promesse semble plus que jamais fallacieuse. En effet, il a fallu huit longues années pour que deux commissions, la Commission vérité et réconciliation et la Commission d'enquêtes sur la disparition des personnes, soient mises en place en 2015. Avant cela, le gouvernement avait adopté en 2013 une ordonnance visant à doter les commissions de larges pouvoirs discrétionnaires pour recommander des amnisties aux auteurs de violations graves des droits humains.

Bien qu'il ait été invalidé par la Cour suprême car illégal et en violation des normes internationales, le texte final adopté par les deux commissions rétablit néanmoins des dispositions très similaires. Et pour aggraver encore les  choses, ce sont ces deux partis politiques qui, à huis clos, nomment leurs propres commissaires.

Les victimes oubliées du Népal

Le mépris pour les victimes de ce violent conflit est douloureusement évoqué dans les propos de cet activiste des droits humains.

Il n'y a pas de politique de protection pour les témoins. Il s'agit tout simplement d'un processus dirigé par les auteurs de crimes qui sert les intérêts de ces derniers et non ceux des victimes.

L'avenir est sombre pour les milliers de victimes de la guerre au Népal qui réclament justice et vérité pour leur famille et leurs proches.

À ce jour, Purnimaya Lama, qui témoigne dans cette vidéo, ne sait toujours pas ce qui est arrivé à son mari ni pourquoi il a été assassiné, et où se trouve son corps :

Et manifestement elle ne le saura jamais.

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