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Pakistan: La Liberté d’Expression en Ligne comme Dommage Collatéral

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Il y a un an, le 27 février 2006, que la polémique des Dessins
Animés Danois
a éclaté, engendrant des vagues de protestation, de colère et d’incompréhension ; incendiant des ambassades, des drapeaux, des rues et des passions. L’Autorité de TélécommunicationsPakistanaise [1] (PTA), sous pression des groupes religieux et sur les ordres de la Cour Suprême [2] , a décidé de bloquer la fameuse plateforme de blogues Blogger [3]. C’était évident que pendant le moment le plus sombre de cette “collision d’ignorance” [4], presque tous les acteurs principaux étaient dépassés et avaient exagéré. Néanmoins, voir un gouvernement interdisant l’accès à des millions de blogues hébergés par blogspot.com [3] juste parce que 12 sites Web montraient les dessins animés danois, était surréaliste sinon kafkaïen. Et ce qui rendait la situation plus incroyable est que seulement un [5] des 12 blogues était hébergé à blogspot.com [3].

En outre, ce n'était pas le seul acte d’interdiction entrepris par le régime pakistanais. Pendant la même période, le 31 mars, et basé sur la même motivation “morale” de protéger des sensibilités religieuses, l’Autorité de Télécommunication Pakistanaise interdit pendant plusieurs heures des millions de pages de Wikipedia [6] . La raison : les dessins animés avaient été publiés dans un seul document [7].

Il est évident que n’importe qui fait face à des situations similaires dans n’importe quel pays soit confronté aux mêmes questions délicates. Que pouvez-vous faire, en tant que défenseur de la libre expression sur Internet, quand votre pays, vos camarades et concitoyens—et peut-être vous – êtes insultés par ceux qui exercent la liberté de la parole ? Quel genre d'équilibre devez-vous trouver afin de défendre la liberté d’expression pour tout le monde—même pour ceux qui ont publié, republié ou esquissé les dessins—tout en essayant de comprendre les sentiments de colère vous entourant ? Trouver une ligne de démarcation entre les deux n'est pas une tache facile dans un environnement où la ferveur religieuse est la norme.

Toujours est-il que cette voie, aussi délicate soit-elle, fut celle que la campagne “Ne Bloquez pas le Blogue [8]” (NBLB) a empruntée et réussie au cours de l’année dernière: défendre la liberté de la parole et promouvoir le droit de chacun de s'exprimer, tout en contenant la pression accablante venant de beaucoup qui ont soutenu, ouvertement, l'interdiction des blogues et sites Web blasphématoires considérés.

Hier, 22 février 2007, la blogosphère égyptienne a dû répondre aux mêmes questions difficiles, alors que La Cour Egyptienne a condamné le blogueur de 22 ans [9], Abdel Kareem Soliman (alias Kareem Amer [9]), à quatre ans de prison pour avoir insulté l'Islam sur son blogue. La motivation religieuse a certainement facilité la tache au Pouvoir Judiciaire pour faire de Kareem le premier blogueur à être traduit en Egypte. Même la famille de Kareem a donné au verdict une tournure morale en le désavouant quelques jours avant le verdict de la Cour [9]. Le père de Kareem a décidé “d'assister à la session de verdict avec ses quatre frères qui ont complètement appris par coeur le saint Quran, pour annoncer désavouer l’accusé Abdul Kareem à l'intérieur du tribunal, afin de réduire l'embarras et la pression que les organismes de droits civiques exercent sur les jurés (…) le père de l’accusé a également décrit les organismes qui travaillent à faire acquitter son fils comme des “organismes” de « droits de singe.»

J'ai parlé à Omer Alvie [9] qui, de concert avec Awab Alvi [9], a lancé la campagne “Ne Bloquez pas le Blogue [9]” le 3 mars 2006. J'ai questionné Omer sur la censure, la liberté d’expression en ligne et la campagne de NBLB pour soutenir la liberté d’expression des blogueurs pakistanais :

Sami Ben Gharbia: Pouvez-vous nous dire davantage au sujet de la situation de filtrage au Pakistan? La censure en ligne a-t-elle commencée en 2006 avec l'interdiction de la plateforme de blogues de Blogspot.com, ou vise-t-elle également d’autre récipients en ligne, comme les groupes d'opposition, les sites de nouvelles ou les publications des organismes de droits de l'homme ?

Omer Alvie: La censure des sites web a existé avant l'interdiction de blogspot. Bien que le blocus n’ait visé principalement que quelques sites web Indiens d’information qui se sont concentrés sur les points de vue politiques critiques du Pakistan ou du gouvernement pakistanais. Depuis l'interdiction de blogspot, quelques autres sites web pakistanais ont fait l’objet de blocus du gouvernement. Ces sites web sont principalement politiques, et s'adressent à la crise de Balochistan (province) et le mouvement politique qui est particulièrement patent contre le gouvernement actuel du Président Pervez Musharaf.

SBG: Pourquoi le gouvernement pakistanais n'interdit-il pas que les sites web qui montraient les dessins animés? Pourquoi maintiennent-ils un blocus au niveau du SND sur le domaine de blogspot.com et non un blocus d’URL ciblant les sites web considérés blasphématoires ?

OA: Considérant que la communauté des utilisateurs d’Internet est un petit pourcentage de la population totale du Pakistan, je pense que le niveau de la priorité ou l'importance accordée à cette question par les autorités intéressées est évidemment très petit.

En ce qui concerne le blocage du domaine complet de blogspot.com, je ne sais pas s’il s’agit d’incompétence, d’indifférence ou de manque d'une technique appropriée pour bloquer un site web spécifique de blogspot sans bloquer le domaine entier. Mais la raison derrière le blocus de millions d'autres blogues pour un blogue qui est classifié blasphématoire est absolument et franchement ridicule. Mais malheureusement ils continuent de le faire. En ce qui concerne les sites web qui montraient les dessins animés du prophète, le PTA impose une interdiction de certains d'entre eux mais évidemment pas de tous. Ils ne se rendent probablement même pas compte de l'existence de certains d'entre eux.

En fait, je suis sûr le PTA a réalisé que c’est en fait une tache démesurée et impossible de bloquer tout ce qui est classifié blasphématoire. Cela ne peut pas se faire pendant que les nouveaux sites Web—pouvant être considérés offensifs—sont créés chaque jour, ou que ceux qui existent déjà peuvent être miroités à des adresses Web alternatives rendant futile, à mon avis, l’acte de censurer les sites.

La seule manière pour les autorités (dans n’importe quel pays) d’interdire avec succès un sujet ou un contenu spécifique sur les sites Web relatifs, est en interdisant en totalité l’utilisation de l'Internet dans ce pays. Autrement, cela ne peut JAMAIS se faire. Ce qui finit habituellement par se produire, comme dans le cas des dessins animée, les sites les plus vains, véhiculant plus de haine finissent par être populaires (et par conséquent attirent une plus grande audience) dû à l'interdiction imposée là-dessus.

SBG: Pendant l’année dernière la censure de blogspot.com a été levée plusieurs fois et puis reprise après quelques jours. Comment pouvez-vous expliquer cela ? Y a-t-il une raison officielle derrière cette inconstance ?
OA: Il est vrai que le levage sporadique et court du blocus de blogspot se soit produit pendant la dernière année. Aucune raison officielle n'a été donnée pour la levée de la censure pour ces très courtes durées. On devrait noter également qu’aucune déclaration officielle n’a été faite par l’autorité appropriée du gouvernement concernant la couverture de l’interdiction non plus.

Il est probable que le déblocage des sites se produisent en raison d'un pépin ou d'autres raisons techniques se référant aux FSIs(fournisseurs de services internet) en question. Ce n'est habituellement pas le cas que tous les FSIs débloquent tous les sites de blogspot en même temps et pour la même raison, toutefois la courte durée du levage du blocus peut en être le cas.

SBG: La censure de blogspot.com a une justification religieuse et culturelle. Qu’est-ce que la campagne “Ne Bloquez pas le Blogue [8]” pense de la censure des 12 blogues montrant les dessins animés controversés du prophète Mohamed ? Soutenez-vous leur droit de publier de tels dessins animés ? Le NBLB représente-t-il défendre le droit d’être offensé [10], pour emprunter l'expression de Salman Rushdie ?

OA: Mon point de vue est que la censure sur l'Internet est impraticable et illogique. Le blocus des sites n’assure pas l’indisponibilité de leurs contenus. Des serveurs mandataires de déviation et des sites miroir peuvent être installés pour accéder à n'importe quoi le gouvernement essaye de bloquer.
Nous à NBLB supportons le droit à la liberté d’expression pour tout le monde. Ce parapluie de libre expression couvre également les sites considérés offensifs. Afin d'assurer la liberté d’expression pour la plupart des citoyens moyens qui expriment leurs avis pour aucune autre raison que celle de dire la vérité, on doit accepter le droit à la liberté d’expression même pour ceux qui ont un agenda politique extrémiste ou ignoble. C'est le droit de chaque citoyen (du monde) d'exprimer son avis et nous supportons son droit à la liberté d’expression.

SBG: Dans l’article de Washington Post “Pakistan’s Blog Blockade [11]” quelques commentaires accusent le groupe “Ne Bloquez pas le Blogue” de faire une campagne en faveur de la liberté sélective de la parole. Ils affirment que vous soutenez la censure des blogues et des sites Web considérés offensants ; ils se réfèrent même à quelques extraits du communiqué de presse [12]—daté du 6 mars 2006—dans lequel vous avez écrit: “nous demandons à la presse écrite et électronique d’exercer des pressions sur le gouvernement du Pakistan pour qu’en premier lieu il lève l’interdiction sur les sites Web non controversés de blogspot.com (…) tandis que nous nous attendons à ce que toute censure soit dans les limites de la décence et du décorum de la culture pakistanaise.” Pensez-vous ces accusations soient non fondées ? Comment pouvez-vous les réfuter ?

OA: Ce premier communiqué de presse a été revu pour clarifier notre point. Ce même communiqué de presse et notre site Web ont également inclus la déclaration que nous soutenons le droit à la libre expression pour TOUS. Pourtant cette citation a été utilisée pour attaquer notre campagne.
Gardant cela à l'esprit, laissez-moi clarifier plus en profondeur la citation écrite initialement dans le communiqué de presse. Tenant compte que nous adressions une question extrêmement sensible pour notre pays et que la raison première de l'interdiction de blogspot était l'impression des dessins animés du prophète Mohamed (PBUH), nous devions être extrêmement pratiques dans notre approche de lancée de campagne. La plupart des lecteurs de l'Ouest, et peut-être même ceux qui ont utilisé la citation pour nous attaquer, ne se rendent pas compte des lois de blasphème en vigueur dans notre pays. Gardant de côté notre opinion personnelle sur de telles lois, il était impératif pour nous d'être futés et de présenter la question le plus diplomatiquement possible, sans aggraver la situation. Si nous nous étions concentrés sur la levée de l’interdiction des 12 sites interdits, dont seulement 1 ou 2 étaient en fait sur blogspot, nous nous serions certainement assurés une place sur la liste de sites interdits.
Car ceux qui ne se connaissent pas dans les questions de plaidoyer, ou qui ne sont pas activement impliqués dans une campagne de liberté d’expression, ne se rendent habituellement pas entièrement compte de comment le “jeu” est joué. Le but principal est de lutter pour la liberté d’expression pour tout le monde mais afin de faire cela, on doit commencer lentement, diplomatiquement (comme s’il revenait à marcher sur des oeufs) pour s'assurer que la campagne survit pour livrer une longue bataille. On doit tenir compte des principes et des lois politiques, religieux et sociaux pratiqués dans le pays en question. Une fois que, la campagne s'accélère et recueille l'attention requise, elle peut pousser plus loin la cause de la libre expression comme la principale et l’unique option pour avancer.
Je voudrais également préciser que ceux qui critiquent notre campagne, citant l'exemple des pays occidentaux comme des protecteurs de la libre expression par rapport aux pays musulmans ou pays du Tiers Monde, doivent sérieusement regarder la réalité telle qu’elle est. Spécialement en Europe, et même maintenant aux ETATS-UNIS et au Canada, le droit à la liberté d’expression n’existe pas quand il s’agit de la question de Démenti ou de Révision l’Holocauste. Ceux qui pratiquent ce droit finit par atterrir en prison ou bien font face à d’autres formes de punition comme dans le cas d'Ernst Zundel, de David Irving, de James Keegstra et d'autres.
Je me demande comment l’occident aurait réagi si Salman Rushdie avait publié un livre sur la révision de l’holocauste au lieu des Versets Sataniques. La presse et la majorité du public occidental seraient-elles aussi supportrices ? Je ne le pense pas !

SBG: Cela fait une année depuis que l'Autorité de Télécommunication du Pakistan (PTA) a institué une censure couvrante de Blogspot.com. Quels genres d'approches la campagne “Ne Bloquez pas le Blogue [8]” -qui a été lancé peu de jours après la censure- a-t-elle adoptée pour lutter contre la censure en ligne dans le pays ? Sont-elles des approches techniques, civiles ou légales ?

OA: Le fait que NBLB ne comporte que deux individus, nous sommes limités par les ressources à notre disposition et en particulier retenus par des contraintes de temps et les obligations de travail—étant donné que nous travaillons tous les deux. Nous effectuons donc le travail de campagne dans notre temps libre. Notre campagne est accentuée sur une approche à double facette. L’une est d’alimenter de façon continue des solutions mandataires de déviation qui peuvent aider les blogueurs au Pakistan à consulter leurs blogues avec facilité, et la seconde est de maintenir continuellement le niveau de conscience de la question de censure couvrante avec pas simplement les blogueurs, mais avec la presse et avec les organismes de la Liberté d’Expression et des Droits de l’Homme. En accord avec ces objectifs, nous avons lancé le premier Aggrégateur de Blogues Pakistanais pour syndiquer les blogues d'origine pakistanaise, y compris ceux qui sont actuellement bloqués. Nous projetons également des concours d'écriture pour promouvoir la libre expression et nous avons d'autres idées actuellement à l’étude pour nous assurer que la liberté d'expression devienne le principal sujet de souci non seulement pour les Pakistanais, mais aussi pour l’audience internationale de l'Internet.

SBG: Quels sont vos rapports avec Yasir Memon et Naveed Memon, les réalisateurs des deux serveurs mandataires Pkblogs [13]et Inblogs [14]? Sont-ils des membres de la campagne “Ne Bloquez pas le Blogue” ?

OA: Les frères Memon ont offert de fournir cette solution aux blogueurs Pakistanais et Indiens au travers de NBLB et de leur appui à la libre expression. Ils ne sont pas des membres de NBLB, mais nous communiquons au besoin pour discuter des idées possibles pour les solutions techniques éventuelles à la censure couvrante.

SBG: Nous avons entendu parler du message du Dr. Awab Alvi [15]- le co-fondateur de la campagne “Ne Bloquez pas le Blogue [8]” (NBLB) au Groupe Collectif des Blogueurs Indiens [16] , et comment le NBLB aidait leur communauté [17] à contourner l'interdiction de gouvernement du domaine de blogspot.com. Est-ce que vous pouvez nous dire davantage à ce sujet et comment il contribue à jeter un pont sur les divisions entre les activistes et les blogueurs des deux côtés ? Est-ce qu’aucune stratégie régionale ou volonté d'établir une alliance d'anti-censure n’ait été discutée entre les blogueurs pakistanais et indiens ?
OA: NBLB a toujours projeté que toute information ou tout outil rendu disponible aux blogueurs pakistanais pour dévier une interdiction devrait aussi bien être librement rendu disponible pour des blogueurs d'autres pays. L'Inde, en tant que pays voisin, nous est naturellement venue à l'esprit car nous nous rendions compte que les blogueurs indiens faisant face également à ce problème. Dr. Awab a offert une main de l'amitié et nous sommes heureux de dire que l'effort et la solution rendus disponibles ont été appréciés par les blogueurs de l'Inde. Nous espérons que cette coopération se développe et que dans le futur les blogueurs indiens et pakistanais travailleront ensemble pour soutenir le droit à la liberté d’expression et bien sûr apprendront à se respecter, se comprendre et s’apprécier mieux.

SBG: Dans la mise à jour la plus récente [18] du site Web de “Ne Bloquez pas le Blogue [8]” on nous a dit que le représentant principal de Google Inc. suit de près les activités de NBLB et qu’il est disposé à aider à trouver une solution à la censure couvrante. Est-ce que vous croyez vraiment dans la logique “ne soyez pas méchant [19]” de Google, qui, après tout, a accepté de se censurer pour la Chine [20]? Selon un article de Washington Post, Google suivait la question de censure au Pakistan depuis mars 2006, et “est rentré en contact avec plusieurs individus au Pakistan, y compris dans le gouvernement, pour déterminer ce qui cause l'indisponibilité de Blogspot, et pour voir comment l’accès peut être reconstitué.”

OA: Comme je l’ai mentionné plus tôt, NBLB est une campagne de prise de conscience qui fait la promotion des droits de la libre expression. Nous sommes décidément apolitiques et devons donc être le plus diplomatiques possible avec n'importe quel groupe ou individu qui offre de nous aider. Nous nous rendons entièrement compte de la participation du Google dans les questions de la libre expression, particulièrement par rapport à d'autres pays comme la Chine.
Nous accordons le bénéfice du doute à ceux disposés à aider, quoique nous pourrions personnellement être soupçonneux de leur histoire. Comme dans ce cas, Google nous a contactés et nous a offert de l'aide. Plutôt que d’être critique et ne pas accepter ou ne pas croire en leur offre (car les droits des blogueurs sont en jeu et cette question est bien plus grande que nos propres avis), nous avons décidé de donner à Google l'occasion de prouver leur volonté de travailler vers une solution. Évidemment, dans les mois à venir, nous pourrons tous juger Google sur leur promesse d'appui en passant en revue les résultats concrets (ou le manque de résultats) atteints par eux. Ce qui est sur c’est que nous à NBLB continuerons à faire le suivi avec eux pour évaluer le progrès de leurs efforts. Sami Ben Gharbia