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Géorgie-Russie : Le récit du bombardement de Poti

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Voici le récit à la première personne par pepsikolka [en russe] sur la plate-forme de blogs Live Journal, du bombardement  par les avions russes de Poti [1], sa ville natale (d'autres billets de cette blogueuse ont été traduits en anglais ici [2]):

Comment c'était.

Nous étions si inquiets pour l'Ossétie, nous avons condamné la guerre et nous tous, tous ceux qui travaillent [dans notre société], tout ceux qui m'entourent – personne n'a jamais soutenu l'invasion de l'Ossétie par la Géorgie, tout le monde était désolé, bouleversé.

Le soir, en rentrant du travail, des collègues ont dit qu'ils emmenaient leurs enfants en dehors de la ville, et si ils bombardaient Poti, puisque que c'est, après tout, une ville stratégique, et j'ai protesté, j'ai dit que ça n'arriverait jamais, que si les Russes décidaient d'aider l'Ossétie (ce n'était pas clair à ce moment-là), ils aideraient les Ossètes, les gens, et c'est tout.

Vers minuit, j'ai entendu un grondement, j'ai couru à la fenêtre et j'ai vu une rampe de feu, des explosions sur le port et j'ai entendu un bruit assourdissant. Je n'ai même pas eu le temps d'avoir peur, j'ai juste compris que si une citerne d'essence du terminal portuaire est touchée, il y aura du feu et une explosion, donc j'ai sauté sur le téléphone, j'ai appelé Tengo, Vika a répondu, elle hurlait – Samira, le port est bombardé.  Maman, avec Alina et notre nièce couraient dans tous les sens dans l'appartement, les explosions continuaient, et nous avons couru au rez-de-chaussée. Il y avait des gens dans la rue, ils pleuraient et tout le monde avait l'air totalement paniqué.

Je ne comprends pas très bien pourquoi, mais il y a eu quelques explosions et les tirs ont continué.  Quelqu'un hurlait en courant que nous devions tous nous enfuir, comme nous sommes proches du port, et nous avons tous couru. Les avions volaient au-dessus, il y avait des lumières, et on aurait dit qu'on tirait sur eux depuis le sol, je ne sais pas, il y avait des grondements dans le ciel, et on pouvait voir la lumière de missiles ou de je ne sais pas quoi.

Nous nous sommes refugiés [à l'intérieur d'un bâtiment], il y avait des gens qui criaient tout autour, les femmes et les enfants pleuraient.

Le téléphone ne marchait pas, et avant ça, ils avaient coupé la diffusion de la télé.

Nous ne comprenions rien à ce qui arrivait.

Vraiment, personne ne s'attendait à ça.

Nous sommes allés chez ma soeur, dans une zone loin du port, Mos'ka sanglotait, terrorisée, elle est née en 1994 et ne pouvait pas savoir comment nous avons couru, en 1992, pendant l'assaut de la ville de Poti par l'armée géorgienne  [et le refoulement des partisans de Zviad Gamsakhurdia [3]], et sa soeur Catherine était sur le point de naître, et nous avons demandé de l'aide à l'armée russe qui évacuait. Les docteurs de l'armée ont finalement fait naître Kat'ka (Catherine) à l'hôpital.

Mais c'était il y a longtemps.

Et maintenant, Mos'ka pleurait, comme les autres enfants dans la cour.  

Il n'y avait plus de bombardements, mais les gens avaient trop peur pour rentrer dans les immeubles.

Nous nous sommes dirigés vers notre maison. A coté de chaque immeuble, il y avait les habitants qui avaient peur de rentrer dans leur appartement.

Une femme près de là parlait au téléphone, et soudain elle a poussé un cri terrible, les gens ont hurlé, et j'ai ressenti la peur à un niveau inconscient, j'ai dit à ma soeur de ne pas parler russe.  [La femme] était dans un état de folie passagère, maman lui a demandé ce qui se passait, en géorgien, ils ont dit que Senaki était bombardé, c'est là que sont les hommes mobilisés, et que le frère de cette femme avait été tué.  

Nous avons couru à la maison et commencé à appeler la famille et les amis.

Il s'est passé qu'une bombe est tombée sur notre terminal portuaire, mon collègue, un ami, qui tenait le poste de nuit, a été blessé par les éclats, côtes cassées, ses poumons et sa tête sont touchés aussi. Les réservoirs n'ont pas été endommagés, juste la station de mousse anti-feu, et la sous-station, aussi. Au port, sept personnes ont été tuées, je crois, et certains sont blessés. Le type qui travaille pour la compagnie du ferry Odessa-Poti a été tué. Ils ont aussi ramené les morts de Senaki, les réservistes ont été autorisés à quitter le lieu, un autre de nos collègues a été blessé par la bombe.

Les gens étaient si terrorisés que personne ne parlait de la politique, tout le monde essayait de se rapprocher, les gens se signaient et murmuraient des prières.

Je ne pensais qu'à une chose, que nous devions tous rester ensemble.

Le matin suivant, nous étions en train de courir à nouveau, parce qu'une des bombes n'avaient pas explosé, et ils ont appelé les sapeurs pour la neutraliser.  

Je regardais par la fenêtre et j'ai vu des gens avec des sacs qui s'enfuyaient, qui conduisaient des voitures vers les villages, vers Adzharia [4]. Mon amie Lenka a loué une chambre à Kobuleti et reste là bas avec sa famille.

La ville est déserte, la plupart des magasins sont fermés.

Tengo  n'est pas parti, nous courons pour nous voir de temps en temps.

Poti n'a plus été bombardé, nous avons entendu des coups de feu hier, mais je ne sais pas ce que c'était. Je n'ose pas imaginer ce qui se passe pour les pauvres gens de Tskhinvali.

Personne n'a besoin de cette foutue guerre.

Je ne suis pas un politicien et je n'ai pas de politiciens dans mon entourage qui soutient ce qui se passe. Je ne fais pas de distinction entre Ossètes, Géorgiens et Russes. La grand-mère de mon ami est Ossète, nous sommes Russes, mais nous avons des parents géorgiens, un gendre est Ukrainien, de toute façon on s'en fiche, l'important est que tout ça se termine le plus vite possible et que personne d'autre ne meure. 

A ceux d'entre vous qui écrivent ici “Vous, Géorgiens, avez ce que vous méritez”.

Mériter quoi ? On est coupable de quoi ?

Les Géorgiens sont-ils des monstres, n'ont-ils pas le même sang dans leur veine que tout le monde ? Les personnes âgées pleurent et c'est insupportable de voir ça. Et personne ne m'a jamais dit que c'est à cause de vous, Russes. Personne, jamais. J'admets qu'il y a des personnes qui peuvent avoir dit ça. Mais je ne les ai jamais rencontrées. Des personnes sur LiveJournal écrivent “si vous, les Kuznetsovs, êtes Russes, pourquoi ne vous enfuyez vous pas en Russie ?” Quand les gens s'enfuyaient, dans les années 90, nous sommes restés, parce qu'il y avait de l'insécurité ici et là-bas. Ma maman a choisi l'insécurité ici. Parce qu'elle est née et a grandi ici, nous sommes tous nés ici, pour certains dans les années 30, ma grand-mère, une enfant à l'époque, a été mise dans un train et on lui a dit qu'il n'y avait pas de famine en Géorgie, qu'il y avait du maïs ici. C'est notre pays maintenant, nous avons des passeports géorgiens et nous sommes des citoyens ordinaires géorgiens. C'est pourquoi j'ai envie de me déchirer en deux , quand je suis sur le sol géorgien et que des avions russes volent au-dessus de moi, et je ne peux pas imaginer que ces deux pays soient en guerre l'un contre l'autre.

Voir la couverture spéciale  [5]de Global Voices (en anglais) sur la crise en Ossétie du Sud