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Ossétie du Sud : Le Kosovo a-t-il été un précédent ?

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Quand le Kosovo [1] a unilatéralement déclaré son indépendance le 17 février 2008, les états, dans le monde entier, se sont divisés sur la légitimité d'un tel acte. Actuellement, 45 des 192 états souverains membres des Nations-Unies ont formellement reconnu [2] [en anglais] la République du Kosovo. En particulier une majorité d'états de l'Union Européenne (20 sur 27). Néanmoins, quelques autres, comme l'Espagne, la Slovaquie [3], la Roumanie, la Grèce ou Chypre n'ont pas reconnu cette indépendance, par crainte du séparatisme à l'intérieur de leur propre état, considérant que l'indépendance du Kosovo établissait un précédent. Quant au président de la Russie, Vladimir Poutine, il était encore plus catégorique selon le quotidien chinois Xinhua [4] du 23 février 2008 :

Le Président de la Russie Vladimir Poutine a déclaré le 22 février 2008 que la reconnaissance de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo par plusieurs grandes puissances créait un “terrible précédent”.

À propos de la position russe, le site de l'Agence Reuters mettait en ligne un article, le 18 février 2008, sur la réaction des indépendantistes tchétchènes à l'indépendance kosovare, intitulé “Les rebelles tchétchènes saluent l'indépendance du Kosovo” [5] [en anglais] :

La Russie s'est fortement opposée à l'indépendance du Kosovo, en expliquant que reconnaître comme nouvel état une région séparatiste sans le consentement de l'état auquel elle appartient établissait un dangereux précédent pour quantité d'autres conflits territoriaux dans le monde entier.

Les blogueurs ont également réagi et analysé les conséquences possibles de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo. Voici une sélection représentative des articles écrits juste après cet évènement :

Stanley Crossick [6] écrivait [en anglais] sur son blog le 22 février 2008 :

La reconnaissance de l'indépendance du Kosovo est une solution regrettable, mais il n'y a pas actuellement de meilleure solution.

[…] Le Kosovo a quitté la Serbie sans le consentement de cette dernière ; et les Nations-Unies n'ont pas réussi à soutenir cette indépendance à cause des fortes protestations de la Serbie et de la Russie, soutenues par la Chine. Néanmoins, cette question aurait dû être débattue au conseil de Sécurité de l'ONU, ce qui aurait donné plus de légitimité, à défaut de légalité, à cette indépendance, avec une résolution soutenue par une large majorité d'états, malgré le véto [russe, et peut-être chinois] qui lui aurait été opposé. Les Ministres des Affaires Étrangères de l'Union Européenne ont clairement exposé que la situation du Kosovo était un cas particulier qui ne devait pas devenir un précédent, mais l'Espagne et Chypre n'ont rien voulu entendre.

Sur le blog du quotidien britannique The Guardian Comment is Free, le 23 février 2008, Irina Filatova [7], professeur d'Économie à Moscou et chercheuse à l'Université de KwaZulu-Natal en Afrique du Sud, faisait ce commentaire [en anglais] :

Beaucoup pensent que la Russie utilisera le précédent kosovar pour reconnaître les républiques sécessionnistes de la Géorgie [8], l’Abkhazie [9] et l’Ossétie du Sud [10], et peut-être aussi la Transnistrie [11], une région sécessionniste de la Moldavie [12].

[…] Les Américains déclarent que le Kosovo n'établit pas un précédent, que c'est une unique exception. Il est difficile de le croire. Si une nation veut faire sécession et créer son propre état, un gouvernement ne peut pas faire grand chose, sauf la garder sous sa domination par la force. […] L'indépendance du Kosovo est utile pour les États-Unis, afin de montrer au monde qu'ils ne sont pas contre les musulmans, mais seulement contre les états voyous, dont certains sont musulmans […] Mais ils ne soutiendront pas les Basques [13], ni les Wallons [14], ni les Kurdes [15], sans parler des Transnistriens.

Ils ne soutiendront bien entendu pas plus les Abkhazes et les Ossètes du Sud. Au contraire si la Russie décidait de reconnaître ces républiques sécessionnistes, et si la Géorgie décidait de s'y opposer (ce qu'elle ferait), les Américains soutiendraient évidemment la Géorgie, et la Russie pourrait se retrouver en conflit avec les occidentaux.

L'indépendance du Kosovo ne va pas faire exploser l'Europe, mais elle a déjà fait exploser bien des postulats sur lesquels notre système actuel des relations internationales est fondé. […]

Dans le magazine britannique Prospect Magazine, Shaun Walker [16] écrivait [en anglais] en avril 2008 :

[…] Quand je me suis rendu en Abkhazie le mois dernier, j'ai entendu les mêmes arguments en faveur de l'indépendance que lors de mes visites précédentes. Mais cette fois-ci, il y avait un motif supplémentaire de frustration, le Kosovo.
Les Abkhazes ont toujours considéré qu'ils étaient injustement traités par les occidentaux, et à présent, depuis la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par plusieurs pays de l'Ouest, ils se sentent doublement lésés. Pourquoi les Kosovars méritent-ils plus leur liberté que les Abkhazes ? […]

Aujourd'hui, il semblerait que les hypothèses de beaucoup de blogueurs se vérifient. À la surprise générale, le jour même de l'ouverture des Jeux Olympiques [17] à Pékin, le 8 août 2008, l'armée russe et les séparatistes Ossètes reprenaient le contrôle de l'Ossétie du Sud, où la veille la Géorgie avait tenté de rétablir son autorité.

Jelena Milić [18], comme beaucoup d'autres blogueurs, a été choquée d'apprendre la nouvelle. Elle a écrit [en serbe] à ce sujet sur son blog du portail serbe d'information B92 :

Šta je ovo? Zar nisu nekad ratovi prestajali kad su igre počinjale?

Qu'est-ce qui se passe ? Les guerres ne doivent-elles pas s'arrêter quand les Jeux Olympiques commencent ?

Ivan Marović [19], toujours sur B92, a rédigé un article [en serbe] intitulé “La Guerre en Géorgie” :

Postavlja se pitanje zašto baš sad, nakon petnaestak godina primirja?

S jedne strane, separatisti i Abhaziji i Južnoj Osetiji su osetili da nakon priznanja jednostrano proglađene nezavisnosti Kosova od strane vodećih država Zapada, oni mogu učiniti nešto slično i očekivati podršku Rusije. […] Rukovodstvo Južne Osetije je, poučeno događajima na Balkanu, skapiralo da sve može, ako imaš moćnu državu iza sebe, a u njihovom slučaju to je Rusija.

S druge strane, gruzijski predsednik Miša Šakašvili kapira da je situacija sad ili nikad. On takođe misli da ima moćnu državu iza sebe, Ameriku, ali da će, što vreme duže bude odmicalo, sve teže biti izvesti vojnu akciju protiv separatista. Već sad se oseća smanjenje uticaja Amerike i povećanje uticaja Rusije na Kavkazu. […]

Međutim, već posle nekoliko sati postalo je očigledno da je Rusija reagovala brzo i odlučno, dok se Amerika još uvek drži retoričkih reakcija. Izgleda da će SAD da pomogne Gruziji onoliko koliko je Rusija pomogla Srbiji 1999, odnosno da je gruzijska vojna akcija u Južnoj Osetiji propala, nema ništa od brzog zauzimanja Južne Osetije. Sad je samo pitanje šta će se desiti, da li će rezultat biti prekid vatre uz pojačano pristustvo ruskih trupa ili otvoreni rat koji može poprilično da potraje.

La question est : pourquoi maintenant, 15 ans après l'armistice ?
D'un côté, les séparatistes d'Abkhazie et d'Ossètie du Sud ont pensé que puisque la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo a été reconnue par les grands pays occidentaux, ils pouvaient faire quelque chose de semblable et s'attendre au soutien de la Russie. […] Avec à l'esprit l'exemple du Kosovo, les dirigeants de l'Ossétie du Sud ont pensé que s'ils obtenaient l'appui d'un pays puissant, le Russie dans leur cas, ils parviendraient à leurs fins.
De l'autre côté, le président de la Géorgie Mikheïl Saakashvili [20] considère que la période actuelle est décisive pour son pays. Il pense également avoir le soutien d'un pays puissant, les États-Unis, mais au fur et à mesure que le temps passe il lui sera de plus en plus difficile de justifier ses opérations militaires contre les séparatistes. […]
Cependant, après quelques heures [de conflit], il est devenu évident que la Russie a réagi rapidement et avec force, tandis que les États-Unis sont encore en train de tenter d'agir par la diplomatie. On peut penser que les États-Unis soutiendront  la Géorgie de la même façon que la Russie a soutenu la Serbie en 1999 [21]. Cela signifie que l'intervention militaire de la Géorgie en Ossétie du Sud, et sa reconquête rapide, ont échoué. À présent la question qui se pose est de savoir si un cessez-le-feu sera mis en œuvre avec le maintien de la présence militaire russe en Ossétie du Sud, ou si la guerre va continuer.

Sur le blog de l'Agence Reuters, le blogueur Giles Elgood [22] a rédigé [en anglais] un article [avec de nombreux liens] intitulé “Est-ce que le sort de l'Ossétie du Sud a été scellé au Kosovo ?” :

Faut-il rendre le Kosovo responsable des combats en Ossétie du Sud ?
Quand la province serbe a fait sécession en février 2008, l'Ossétie du Sud a été prompte à réaffirmer sa demande d'une reconnaissance internationale.
Comme le disait à l'époque à Reuters un porte-parole du président séparatiste Edouard Kokoïty [23], “le précédent du Kosovo nous conduit à faire valoir nos droits plus activement”.
Ces déclarations ne sont pas passées inaperçues à Tbilissi, et pourraient bien avoir rendu encore plus urgent le désir de la Géorgie de rétablir sa domination sur la dissidente Ossétie du Sud.
Avec un large soutien occidental, le Kosovo a pu obtenir une séparation nette d'avec ses anciens maîtres, malgré les objections russes.
À présent Moscou soutient les séparatistes, et il n'est pas évident de savoir comment les choses vont se passer cette fois-ci.

Sur son blog, Austin Bey [24] [en anglais] n'est pas d'accord. Pour lui il n'est pas possible de comparer les deux conflits, ceux du Kosovo et de l'Ossétie du Sud :

[…] À la suite de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo, le séparatisme résultant d'une intervention internationale pour protéger une minorité ethnique est devenu possible.
C'est l'interprétation de l'argument russe selon lequel le Kosovo n'aurait jamais dû être autorisé à se séparer unilatéralement de la Serbie.
L'invasion par la Russie de la région séparatiste d'Ossétie du Sud, qui appartient à la Géorgie, est un nouvel acte de guerre dans le proche voisinage russe. Cela rappelle également de façon violente combien l'Europe de l'Est reste instable depuis la fin de la Guerre froide.

Pour les besoins de la politique étrangère russe, les troubles en Géorgie suivent le “modèle kosovar” : une minorité sous la domination d'un pouvoir “nationaliste ethnique” tentant d'obtenir sa liberté.

Je ne dis pas cela parce que je crois que la Géorgie est la Serbie de Slobodan Milosevic. Certainement pas. La Géorgie est un état démocratique qui se rapproche de l'Ouest politiquement et économiquement. Il y a d'importantes différences qualitatives entre la Géorgie actuelle et la Serbie de 1999.
Cependant, les diplomates russes avertissent depuis huit ans que le “précédent du Kosovo” affecterait environ 200 régions ou territoires du monde entier. C'est un chiffre important, et il pourrait être en réalité moindre.
Moscou a insisté sur le fait que le Kosovo constituerait un “précédent séparatiste” pour des chapelets de micro-états entourant des états souverains. De façon assez intéressante, la Roumanie comme la Grèce se sont opposées à l'indépendance “unilatérale” du Kosovo. L'Espagne, avec ses séparatistes basques, n'a pas été entousiaste. […]