Congo (RDC): Confusion à Goma

Les combats ont repris depuis deux mois dans la province orientale du Nord Kivu de la République Démocratique du Congo, entre la rébellion conduite par Laurent Nkunda et l'armée gouvernementale, en violation de l’accord signé en janvier 2008 [en anglais]. 250 000 personnes ont été déplacées [en anglais] depuis que les violences ont repris en août 2008, ce qui fait maintenant un total de personnes déplacées dans la région s'élevant à plus de 2 millions. Des foules de civils en colère, furieux de l'incapacité des Nations-Unies à les protéger, ont attaqué les bureaux de l'ONU à Goma, capitale provinciale du Nord Kivu.

Fred Robarts [en anglais] décrit le contexte, sur Extra-Extra, qui permet de mieux comprendre la frustration de la population :

… la tâche [de ramener la paix et la sécurité en mettant fin au fléau des groupes armés étrangers et des milices locales] est revenue à des forces de l'ONU circonspectes et dépassées, et à une armée nationale corrompue et inepte, pratiquement composée uniquement de combattants des anciennes factions en guerre. Dans un pays étendu, éclaté en de nombreuses enclaves locales inaccessibles, ça ne pouvait pas être facile de résoudre tous les problèmes de corruption, de mauvaise administration, de rivalités interethniques et de luttes de pouvoir. Mais la période qui a suivi immédiatement les élections [présidentielles de 2006] a offert au nouveau gouvernement une véritable fenêtre d'opportunité d'unir le pays derrière un projet clair et un soutien déterminé à la légalité (avec le soutien de l'ONU). Il l'a gâchée.

Mark Leon Goldberg [en anglais] commente sur le blog UN Dispatch la frustration de la population vis-à-vis de l'ONU :

La population locale est de façon compréhensible indignée que les forces de maintien de la paix n'aient pas beaucoup agi pour freiner l'avance rebelle. Les manifestations à l'extérieur du bâtiment de l'ONU à Goma ont dégénéré en début de semaine, les habitants de la ville caillassant le bâtiment de dépit. Malheureusement, la mission de maintien de la paix n'a pas pu repousser cette attaque par manque de renforts.

On a besoin d'aide. Vite.

Michelle F. [en anglais], sur le blog Stop Genocide, offre un aperçu de “la bouillie alphabétique” des forces armées” de la RDC, à l'intention de ceux qui ont un peu de mal à se retrouver parmi les acteurs de ce conflit :

- Le Général Laurent Nkunda et son Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) prétend se battre pour la protection de la population Tutsi du Congo, au nombre de ses immigrants les moins bienvenus et désirés,

- Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), ou Interahamwe, les auteurs du génocide de 1994 au Rwanda, qui ont établi leur boutique dans la région orientale de la RDC après leur période de terreur dans leur propre pays. Les rangs des FDLR comptent à présent un nombre important de recrues congolaises, y compris des enfants.

- Les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), l'Armée régulière de la RDC, passée maître dans l'art de faire tout ce qu'une armée nationale n'est pas censée faire, et

- La MONUC, la Mission des Nations Unies pour le Congo, qui est à présent attaquée par des civils en colère contre son incapacité à leur offrir une protection. Refugees International [en anglais] décrit la situation de la MONUC, prise entre le marteau et l'enclume.

Le 26 octobre 2008, les rebelles du CNDP se sont emparés d'un important camp militaire à Rumangabo [en anglais], ainsi que du siège du Parc national des Virunga, qui s'étend sur 7 900 km², et qui abrite 200 des 700 derniers gorilles des montagnes. Les rebelles ont utilisé le parc comme base, mais ne s'étaient jamais auparavant emparés de son siège. Le directeur du parc, Emmanuel de Merode, écrivait le 26 octobre 2008 sur le blog officiel du Parc des Virunga [en anglais] :

Le siège du parc a été totalement pris dans les combats et nos gardes-forestiers ont été obligés de s'enfuir dans la forêt pour sauver leur vie. Les rebelles sont en ce moment les seuls occupants du siège du parc à Rumangabo. Cela ne s'était jamais produit auparavant.

La situation est grave. Nous devons abriter en lieu sûr nos plus de 50 gardes-forestiers, à Goma, à 45 km au sud de Rumangabo. La route principale est bloquée à cause des combats, aussi ils sont obligés de marcher à travers les forêts du parc, vers le sud, jusqu'à Kibumba, à environ 20 km, où nous avons l'intention de les prendre en camions. Nous essayons de rester en contact par téléphone, mais l'autonomie de leurs portables est limitée.

Deux jours plus tard, 12 des 53 gardes-forestiers qui avaient dû s'enfuir dans la forêt étaient secourus et transportés à Goma. Innocent Mburanumwe [en anglais] décrit à quel point ils étaient épuisés, assoiffés et affamés quand l'équipe de Goma les a retrouvés :

Les gardes-forestiers sont partis dimanche [26 octobre 2008] à 09 heures à 14, avec également 4 soldats qui fuyaient eux-aussi les rebelles. Ils ont traversé à pied le parc, en tentant à plusieurs reprises de reprendre la route, mais ils ont dû à chaque fois regagner l'abri de la forêt, car ils entendaient le bruit d'armes lourdes. Sans eau ils ont essayé de sucer des cailloux pour apaiser leur soif, et ont aussi essayé d'aspirer l'humidité de la boue, en mettant un bout de vêtement entre leur bouche et la boue humide.

Mercredi [29 octobre 2008], un porte-parole du CNDP a annoncé un cessez-le-feu unilatéral, bien que la situation sur le terrain, à Goma, soit encore confuse. Comme le souligne Kate Cronin-Furman [en anglais] sur le blog Wronging Rights, “tout le monde semble de toute façon se préparer à la guerre, probablement à cause de l'interprétation contestable de l'expression cessez-le-feu de la part de Nkunda, comme il l'a montré précédemment.

Samantha Newport [en anglais] décrit le désordre ambiant sur le blog du parc des Virunga :

C'est le chaos total à Goma. On m'a prévenu, par plusieurs appels au téléphone et par des messages, que l'armée régulière a déposé à présent les armes à Kibumba, à 20 km au nord de Goma, et que ses soldats s'enfuient devant les rebelles. Dit plus simplement, ils ont totalement laissé tomber.
[…]
Le gouverneur du Nord Kivu a semble-t-il lui aussi quitté la ville.

Il ne reste à présent que les forces de maintien de la paix de l'ONU pour empêcher les rebelles de Nkunda de prendre Goma.

On se pose beaucoup de questions, et la panique gagne, en ce moment.

Dans un autre billet [en anglais] sur le blog du Parc des Virunga, Emmanuel de Merode témoigne lui aussi de la panique qui règne à Goma :

Pagaille est ce qui décrit le mieux la situation. On entend beaucoup de coups de feu en ville, et des armes lourdes au loin. Tout le monde reste enfermé chez soi. Il y a eu des pillages, des hommes armés ont surtout volé des voitures et des motos. Laurent Nkunda a fait une déclaration à la télévision et à la radio annonçant un cessez-le-feu unilatéral, ce qui est encourageant, mais malheureusement cela ne se traduit pas par une soirée tranquille.

Nous avons été assaillis par un torrent de rumeurs, une invasion par l'armée rwandaise, des mercenaires angolais arrivant de l'ouest, à propos de tout, mais rien de vraiment utile.

Le 30 octobre 2008, Samantha Newport fait un autre point [en anglais] sur la situation, en y ajoutant quelques photos du site où elle se trouve :

Les rebelles du CNDP, ceux de Nkunda, contrôlent totalement Kiwanja et Rutshuru et y ont établi leur propre administration. L'armée nationale, la police et les fonctionnaires se sont tous enfuis, et une vaste étendue de la province est à présent sous le contrôle du CNDP.

Innocent a eu des soucis cette nuit. La maison de ses voisins a été pillée par des soldats en fuite. Heureusement pour Innocent, sa femme et ses 5 enfants vont bien, et ils n'ont pas été dévalisés.

Dawn Hurley [en anglais], un Américain expatrié installé à Goma, décrit sur son blog From Congo l'incertitude et la peur, la nuit venue :

La nuit peut être effrayante ici. Pendant la journée, la vie semble supportable à Goma. Mais la nuit tombe vers 18 heures 30 ici, et tout le monde se retrouve isolé. La plupart des gens n'ont pas d'auto, et ils ne peuvent aller nulle part la nuit venue. Et ces jours-ci, sortir même en voiture la nuit n'est pas recommandé. Beaucoup de gens n'ont pas l'électricité, alors ils restent souvent assis dans leur petite cabane avec leur famille, en priant pour que ça aille mieux, en écoutant les échos des coups de feu à travers la ville, et en attendant le lever du jour. Il n'y a pas de numéro d'urgence qu'on peut appeler en cas de problème. Dans le meilleur des cas les gens appellent leurs amis, qui n'ont rien d'autre à offrir que le son de leur voix à l'autre bout du fil.

Colette Braeckman, une journaliste belge, qui a écrit plusieurs livres sur l'Afrique Centrale, reprend sur son blog le témoignage de Dunia Ruyenzi, un militant des Droits de l'Homme à Goma :

Nous avons passé la nuit enfermés, des coups de feu retentissaient partout. On parlait de militaires congolais mais il y avait aussi, j’en suis sûr, des infiltrés envoyés par Nkunda afin d’accentuer la panique. Certains étaient aussi là pour chercher l’argent et ils ont tué trois personnes. Ils intimident aussi la MONUC et tirent sur ses avions. Malgré cela l’aéroport n’est pas pris et les appareils peuvent se poser. Les prisons débordent de gens qui ont été arrêtées par la police et l’armée. Nous essayons de faire la liste des prisonniers, de les retrouver dans les cachots. Les soldats gouvernementaux n’ont pas tous fui, certains se battent encore du côté de Rutshuru…

Dans son dernier billet du 30 octobre 2008, à 22 heures, Emmanuel de Merode écrit [en anglais] :

Il y a encore quelques coups de feu sporadiques dans les rues, mais c'est nettement moins intense qu'hier. La tension commence à diminuer. Demain, le Conseiller pour l'Afrique du Secrétaire d'État américain devrait arriver à Goma pour participer aux négociations. Louis Michel, le Commissaire Européen pour le Développement International est à Kinshasa et le Ministre belge des Affaires Étrangères Carol de Gujt devrait arriver à Kigali. Espérons…

Deux semaines auparavant, la journaliste Jina Moore [en anglais], qui a travaillé au Rwanda et couvrait également la RDC, écrivait ceci sur son blog News from Central Africa :

Je comprends à présent ce que j'ai lu dans des livres où des correspondants de presse endurcis racontaient leur désespoir quand ils retournaient dans des lieux complètement détruits qu'ils avaient couverts quand les choses commençaient à empirer. Cela prend un sens différent quand vous savez à quoi ressemble vraiment un tel endroit, et que quelque chose vous prend aux tripes, et vous fait signe de partir.

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