Le mois de novembre se révéle dramatique pour les activistes démocrates du Myanmar. Plus de soixante personnes ont été condamnées à de très lourdes peines de prison pour avoir participé à des activités jugées subversives par la junte [tous les blogs cités sont en anglais].
Lundi 10 novembre, un blogueur birman populaire, par ailleurs chef d'entreprise, a été condamné à 20 ans de prison pour avoir conservé dans sa messagerie électronique des images des leaders de la junte birmane, dont le visage était effacé.
Mardi, 39 activistes, dont 5 moines, 14 membres du collectif d'étudiants Génération 88, ont été condamnés à des peines de prison allant jusqu'à 65 ans. Le collectif d'étudiants génération 88 est un groupe informel qui rassemble des militants des droits de l'homme au Myanmar. En août 2007, ce groupe a organisé une manifestation pacifique contre le prix très élevé de l'essence. Cette manifestation a été très suivie. Des centaines de citoyens birmans ordinaires s'y sont joints. Les membres du groupe d'étudiants génération 88 ont été immédiatement arrêtés par la junte.
Jeudi, 19 dissidents ont été condamnés à des peines allant jusqu'à onze ans de prison pour avoir “troublé l'ordre public, résisté à des officiels dans l'exercice de leurs fonctions et s'être rassemblés illégalement en public”. Onze des condamnés sont membres du parti d'opposition Ligue Nationale pour la Démocratie.
La liste des prisonniers ne cesse de s'allonger. Certains d'entre eux ont été transferés dans des prisons isolées. Le blog Rule of lords émunère les délits pour lesquels ils ont été condamnés :
Saw Wai – Un poète a été condamné à deux ans de prison pour avoir “troublé la tranquilité publique”. Son crime : il a dissimulé un message contre la dictature dans un poème sur la Saint-Valentin.
Ma Su Su New – Condamné à douze ans et six mois de prison pour avoir mené les manifestations contre le gouvernement en 2007.
Bo Bo Win Naing – Huit ans de prison pour avoir participé aux manifestations.
Win Maw – Ce musicien a été condamné à six ans de prison pour avoir “envoyé de fausses informations à l'étranger, même si ces nouvelles n'étaient pas fausses, car il n'y a pas de preuves qu'il se soit rendu coupable de cela.”
Une jeune journaliste du Econ Vision Weekly Journal a été condamnée à deux ans de prison pour avoir publié des informations sur le cyclone Nargis.
Pour quelle raison la junte a-t-elle recours à des peines de prison aussi ridiculement longues ? L'explication de Khun Tun :
“C'est une tactique de choc. La junte est de toute évidence déterminée à s'assurer que les élections prévues pour 2010, dans le cadre du processus d'instauration d'un régime démocratique au Myanmar, ne seront pas troublées et que les événements de 1990 ne se réproduiront pas. A l'époque, la Ligue nationale pour la Démocratie de Daw Aung San Suu Kyi avait largement remporté les élections, mais la junte a refusé de reconnaitre les résultats du vote.”
Le but de la junte est de toute évidence d'intimider les activistes et de faire passer un message à la population : si elle participe à des manifestations ou fait quoi que ce soit qui déplaise à la junte, des peines de prison allant jusqu'à 65 ans peuvent en être la conséquence.
Un blogueur condamné à 20 ans
Le blogueur Nay Phone Latt a été condamné à vingt ans et six mois de prison au motif qu'il avait “défiguré les photos de leaders nationaux, recelé des écrits et des dessins dans sa messagerie électronique, et eu des contacts avec des personnes impliquées dans les manifestations”.
Mais Nay Phone Latt n'est pas un blogueur d'opinion. Il gère plusieurs cafés Internet. Il faut voir là un message envoyé par la junte aux gérants de lieux où Internet est disponible et une incitation à coopérer avec les autorités. Depuis janvier, la junte a beaucoup resserré sa surveillance de l'Internet:
“Les autorités birmanes ont accru leur surveillance d'Internet depuis le début du mois de janvier. Ils semblent avoir exigé des propriétaires de cafés Internet qu'ils enregistrent l'identité de tous leurs clients (nom, adresse, etc) et qu'ils programment des captures d'écrans automatiques sur leurs ordinateurs toutes les cinq minutes. Toutes ces informations doivent apparemment être envoyées ensuite au ministère de la communication”.
Melody assure que son ami Nay Phone Latt n'est pas un activiste politique.
“C'est seulement un artiste, qui a écrit des poèmes, des articles sur ses opinions et idées sur son blog. Nous le connaissons comme un jeune homme ordinaire, il a été une fois au mouvement de la jeunesse du parti de la Ligue. Il n'a jamais essayer d'enrôler d'autres blogueurs. Cette loi sur la communicatiin électronique est vraiment injuste pour les jeunes et pour tous les gens au Myanmar qui travaillent dans le secteur informatique”.
Melody se refère à une loi promulguée voici 12 ans et qui a été utilisée pour inculper le blogueur. La Loi de 1996 sur le développement de l'informatique recouvre un champ si vaste que toute activité sur Internet peut être concernée. New Mandala cite ces articles :
“Le premier article du chapitre XII (délits et pénalités) stipule :
33. Quiconque commet l'un des actes suivants en utilisant un mode de transmission électronique sera, s'il est prouvé coupable, condamné à une peine de prison d'un minimum de 7 ans et d'un maximum de 15 ans et peut aussi être condamné à une amende.
(a) porter atteinte par quel moyen que ce soit à la sécurité de l'état, au maintien de l'ordre public, à la paix de la communauté, à l'ordre et à la loi, à la solidarité nationale, à l'économie nationale, à la culture nationale.
(b) recevoir ou envoyer et diffuser des informations qui peuvent porter atteinte à la sécurité de l'état, au maintien de l'ordre public, à la paix de la communauté, à l'ordre et à la loi, à la solidarité nationale, à l'économie nationale, à la culture nationale.
Naturellement, n'importe quoi peut devenir une violation de cette partie de la loi. Si vous faites parties des 300 000 Birmans (estimation) qui ont une possibilité de s'approcher d'un ordinateur connecté à Internet, vous pouvez vous rendre coupable de quelque chose.”
The Irrawaddy cite les propos d'un avocat qui estime que la nouvelle loi a été utilisée, au lieu des articles habituels 5(j) de la loi d'urgence de 1950, afin que la junte puisse affirmer devant la communauté internationale qu'il n'y a pas de prisonniers politiques au Myanmar, uniquement des détenus de droit commun.