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Tunisie : Yes, they can. Mais pas nous !

Catégories: Tunisie, Droits humains, Élections, Histoire, Liberté d'expression, Littérature, Médias citoyens, Politique

La semaine des élections américaines a coïncidé avec le 21e anniversaire du “changement” en Tunisie. Mais tandis que les Américains votaient pour élire leur 44ème président, la Tunisie, en 50 ans d'indépendance, n'a eu que deux présidents – Habib Bourguiba [1] et le président actuel Zine El Abidine Ben Ali [2], au pouvoir depuis 21 ans, et elle se “réjouit” de lui accorder encore un quinquennat [des élections doivent avoir lieu en 2009].

Dans son discours inaugural, Ben Ali a dit qu'il établissait les fondations pour un renouveau de la démocratie, la liberté et le respect des droits de l'homme :

“Mes chers concitoyens,

Notre peuple a atteint le degré de responsabilité et de maturité dans lequel chaque individu et chaque groupe est en position de contribuer de façon constructive à la gestion de ses affaires, conformément à l'idée républicaine qui donne aux institutions toute leur portée et garantit les conditions d'une démocratie responsable, dans le plein respect de la souveraineté du peuple telle qu'elle est inscrite dans la Constitution. La Constitution a besoin d'une révision urgente. L'époque où nous vivons ne peut plus admettre la présidence à vie ou la succession automatique, d'où le peuple est exclu. Notre peuple mérite une vie politique adulte et institutionnalisée, sincèrement basée sur la pluralité des partis et des organisations de la société civile.”

Selon certains Tunisiens, l'histoire a prouvé que la déclaration ci-dessus est très éloignée de la vérité.

Commémorant le 21ème anniversaire de [la présidence] Ben Ali, les blogueurs tunisiens se sont montrés vraiment créatifs et ont saisi l'occasion pour écrire de nombreux billets sarcastiques exposant la situation politique en Tunisie.

Le blog Débatunisie [3] a choisi la caricature pour évoquer la circonstance. Il a écrit un premier billet [4] avec le dessin suivant et un commentaire d'une seule phrase :

Qui mieux qu'Obama, symbole du changement, pourrait nous féliciter de 21 ans de changement !

Le style métaphorique dans lequel ce même blogueur a abordé la question me fait penser à [5]1984 [5] et La Ferme des Animaux [6] de George Orwell – avec la Tunisie comme Ferme des Animaux du monde arabe au XXIème siècle.

Il écrit :

En Tunisie, nous assistons depuis 20 ans à un phénomène étrange qui prend de l'ampleur chaque année: A partir d'halloween, des chiens sortant de nulle part se mettent en rang et aboient à tour de rôle. Ils polluent l'espace public et étouffent par leurs aboiements les chants des oiseaux. Ils y vont crescendo et d'aboiement en aboiement ils infestent la totalité de la ville. Le septième jour de novembre, ils se rassemblent tous pour nous annoncer en chœur l'arrivée du…Mahdi!

Sofiene Chourabi [7]  [en arabe] a écrit un billet intitulé En adoration devant Big Brother :

في روايته الشهيرة “1984″ هاجم الأديب جورج أروال جميع المؤسسات والهيئات الرسمية والخاصة، وانتقد جل الذهنيات والعقليات السائدة التي تمس من الحريات الأساسية وتتدخل في الحياة الخاصة للأفراد.
العين الكبيرة لـ”الأخ الأكبر” في الرواية هي لحزب يحكم البلاد في دولة “أوسانيا” ويراقب كل حركة قد تصدر هنا وهناك، ويعاين كل نفس قد يبدو وكأنها زائدة على النصاب. دولة “أوسانيا” تغمرها صور عملاقة في كل مكان وتلفزيونه ينقل على مدار الساعة التفاصيل الدقيقة لحياة قادتها، ووسائل البروباغندا تسخّر لإبراز الأمجاد والبطولات.
نقرأ هذه الرواية مجددا على ضوء الإمكانيات الهائلة المرصودة هذه الأيام التي وقع ضخها للاحتفال بذكرى 7 نوفمبر طيلة أيام الأسبوع الجاري. صور ولافتات وشحت كامل مدن وقرى البلاد ومظاهر زينة مزيفة واحتفالات غنائية تنظم في معظم بلدات الجمهورية، تتنزل كلها في إطار مشهد سيء الإخراج يذكر بما عرفته الأنظمة الشمولية في أوروبا الشرقية في عصر خلنا انه انبلج بسقوط جدار برلين وزوال فكرة عبادة الشخصية.
لا أحد يقدر أن يفهم سر هذا التجند السنوي إلا من زاوية الرغبة في تكريس الهيمنة المطلقة على المجال العام واحتكاره لفائدة الحزب الحاكم، وترسيخ الرأي أنه “اللاعب الوحيد” على الساحة من دون منافس، فهل بهذا المنطق المغلوط ستدخل بلادنا عتبة الانتخابات التشريعية والرئاسية؟

Dans son célèbre roman “1984”, George Orwell a attaqué toutes les institutions publiques et privées, et il a critiqué la plupart des mentalités qui se dressaient en obstacle devant les libertés de base et interféraient avec la vie privée et personnelle. L'oeil de Big Brother dans le roman appartient au parti qui gouverne l'île d'Océania et contrôle le moindre mouvement se produisant dans le moindre recoin du pays. L'Oceéania est couverte d'énormes affiches de Big Brother. La télé de Big Brother diffuse à longueur de journée des informations sur lui avec les détails les plus inintéressants. Les instruments de propagande sont utilisés pour montrer son héroïsme. Nous croyons relire ce roman lorsque nous voyons tous les préparatifs pour célébrer pendant une semaine entière le 21ème anniversaire du 7 novembre. Des affiches et des slogans décorent chaque ville et village du pays, et des concerts sont donnés partout. Tout cela n'est rien d'autre qu'une mise en scène médiocre qui nous rappelle le régime d'oppression qu'ont connu les pays d'Europe de l'Est. C'était pendant une ère révolue qui a disparu de nos esprits avec la chute du Mur de Berlin et la fin du culte de la personnalité. Personne n'arrive à comprendre cette mobilisation annuelle, sinon dans la seule perspective du désir d'obtenir la domination absolue de l'espace public et son utilisation au bénéfice du parti au pouvoir. Ceci est le moyen de consolider l'idée qu'il n'y a pas de concurrents pour le pouvoir. Notre pays va-t-il saluer la campagne électorale avec cette logique erronée ?

La blogueuse L'As number One [8] a choisi pour sa part d'exprimer en vers sa tristesse devant la situation politique en Tunisie :

Et Vlan! Vlan! pour les infinis menteurs
Pour les infinies promesses enrobées de douceur
Pour tous les Ben Ben reproducteurs
Pour les hypocrites, applaudisseurs, éjaculateurs
Pour toutes ces banderoles qui embellissent nos terres
Pour ces fortunes dépensées à tort et à travers
Pour ce mauve, ces couleurs et ces posters
A l'occasion de mon 21 ème anniversaire
Je souhaite à chacun beaucoup de bonheur
De la pourriture, des corruptions, et beaucoup d'espoir
Des derbys, du “Bel makchouf*”, et des crédits bancaires
Et Vlan Vlan pour tous ces maux qui hantent mon cœur
Chantons tous en chœur
“Une nouvelle aire est venu, vive le dictateur”

L'auteur du blog For a better World [9] a été plus direct  :

Il y a deux semaines j'ai publié un message sur Bouteflika, Bouteflika yezzi et maintenant, je publie un message sur le président Tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, ça suffit, moi j'ai 22 ans et j'ai envi de changement, je n'ai pas eu la liberté de m'exprimer dans mon pays, favoriser le pluralisme et les droits de l'homme, on est tous conscients que ceci n'est pas vrai…, j'ai été témoin de certains agissements de la police tunisienne… Comment faire ? Président à vie ?
J'aime mon pays et je ne le laisserai jamais tomber, 21 ans de présidence et un cinquième mandat à briguer en 2009… il est temps d'arrêter… de nous prendre pour des cons… Time for Change…

Certains blogueurs ont utilisé des métaphores, d'autres ont préféré un discours direct. Certains ont écrit en prose, d'autres en vers. D'autres encore ont dessiné des caricatures ou ont téléchargé des vidéos. Mais le message est le même : les blogueurs sont unanimes pour dire qu'il est grand temps de mettre fin à la mascarade. Il est grand temps pour le changement. D'une seule voix, ils crient : Ben Ali Yezi Fock** !!

* bel makchoouf est une émission de télévision tunisienne diffusée sur une chaîne privée

** Yezi Fock Ben Ali signifie “Ben Ali ça suffit” en dialecte tunisien.