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Philippines : Crise humanitaire à Mindanao

Catégories: Philippines, Catastrophe naturelle/attentat, Gouvernance, Guerre/Conflit, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Réfugiés, Religion

L'escalade du conflit entre les troupes gouvernementales et des rebelles séparatistes musulmans sur l'île de Mindanao s'est répercutée sur la vie de centaines de milliers de civils innocents. Mindanao [1] est située dans le sud des Philippines.

L'intensification des combats a commencé après qu'un accord de paix a été rejeté par de nombreux hommes politiques et, finalement, par la Cour Suprême philippine. Les opposants de l'accord le jugeaient anticonstitutionnel, dans le sens où il aurait compromis la souveraineté de la République des Philippines. Ils estimaient également qu'il aurait ouvert la voie à la création d'un territoire moro [2] autonome à l'intérieur même des frontières du pays.

Irrité par le rejet de l'accord, un des chefs rebelles a attaqué des postes militaires, les assauts causant des pertes civiles. Le gouvernement a riposté en lançant plusieurs offensives dans les territoires contrôlés par les rebelles.

Les affrontements se poursuivent. Plus de 610 000 personnes ont déjà été déplacées. Les combats incessants ont provoqué l'apparition de plusieurs villes fantômes [3] [en anglais, ainsi que tous les blogs cités] dans certaines régions de Mindanao. La situation des réfugiés [4] s'aggrave. Les enfants [5] sont parmi les plus touchés.

Une bénévole, Sarah Matalam, a publié sur Internet des photos prises dans les centres pour les populations évacuées, situés dans la province de Cotabato.

 

 

Les groupes musulmans exigent du gouvernement qu'il cesse ses frappes militaires aériennes aléatoires. Le blog Like a Rolling Store a téléchargé un rapport établi par une mission humanitaire [6] qui s'est rendue dans plusieurs centres pour déplacés de Mindanao.

Les combats ont conduit à des évacuations en masse. Dans les centres accueillant les populations évacuées, les déplacés souffrent du manque d'équipements. Ils ont pour la plupart monté des tentes sur le moindre emplacement public encore libre. Les fortes pluies et inondations, courantes en cette période de l'année, font que beaucoup d'enfants réfugiés toussent, prennent froid, ont de la fièvre et souffrent de diarrhée. Un certain nombre de personnes ont été emportées par la maladie. Il y a aussi le traumatisme vécu par les populations évacuées, plus particulièrement les enfants.

 Le docteur Carol Araullo, membre de la mission humanitaire, insiste sur le fait qu'il faut davantage d'aide  [7]:

« La faim, la maladie et la misère généralisée ; l'apathie, l'envie de retourner dans leurs fermes et maisons sans encombres ; l'appel à un retour à la normale, à la fin des restrictions imposées par les militaires à leurs allées et venues – ces images et plaintes se sont gravées dans nos esprits et cœurs à mesure que nous progressions d'un centre à l'autre. »
« Beaucoup des personnes interrogées ont été victimes d'atteintes aux droits de l'homme : il y a ceux qui ont été arrêtés par erreur, ceux qui ont été roués de coups car suspectés d'être des rebelles ou pour les obliger à dénoncer les sympathisants des rebelles ; il y a ceux dont les proches ont été tués ou blessés lors des actions lancées par le gouvernement pour débusquer les « voyous » du Front Moro Islamique de Libération ; ceux dont les maisons et autres possessions ont été détruites. »

« Une fois que le décompte des patients soignés a été effectué par les équipes, qu'une aide matérielle a été apportée aux familles et que les victimes d'atteintes aux droits de l'homme ont été entendues, nous sommes arrivés à cette conclusion alarmante : ce que la mission avait accompli n'était qu'une goutte d'eau par rapport aux énormes besoins. »

 Edwin Espejo [8], journaliste, a été marqué par ce dont il a été témoin :

 

« Au coeur de la zone de conflit, les traces de destructions – maisons incendiées, habitations abandonnées, omniprésence de postes de contrôle et d'équipements militaires – sont de sinistres témoignages de la guerre. »
« Bien sûr, nous vivons une période mouvementée et les spectacles inquiétants ont tôt fait d'engourdir les sens. Beaucoup peuvent estimer que les journalistes couvrant le conflit de Mindanao ne peuvent pas se permettre d'être émotionnellement impliqués dans les événements se déroulant sous leurs yeux. »

« Mais on ne peut pas complètement se déconnecter, il faut admettre que la guerre ne touche pas que les combattants des deux parties en conflit. Elle provoque aussi l'apparition de différents niveaux de conscience et d'engagement parmi les journalistes couvrant la guerre et cela affecte la qualité de leurs reportages.»

Le blog Reckons of Spring rappelle que pendant que les hommes politiques de Manille débattent, la population de Mindanao souffre [9] :

«Pendant que beaucoup d'hommes politiques et de responsables du gouvernement basés à Manille sont occupés à exprimer leurs opinions divergentes sur les problèmes relatifs à une « question ancestrale », je me demande comment les déplacés du Nord Cotabato et des provinces voisines s'en sortent. Ont-ils une quelconque nourriture pour apaiser leur faim ? Ont-ils des médicaments ou reçoivent-ils des soins pour alléger leurs souffrances ? Peuvent-ils seulement trouver le sommeil au milieu de l'horreur de la situation actuelle, ou pour simplifier ma question, ont-ils trouvé un abri, aussi temporaire soit-il, pour y passer la nuit ? »

 Le conflit s'envenime chaque jour davantage. Une équipe de la chaîne de télévision Al Jazeera a appris que le gouvernement recrutait des miliciens [10] pour lutter contre les rebelles.

«A travers tout Mindanao, des civils se voient proposer des tâches normalement réservées à la police ou à l'armée, à une vitesse alarmante . Dans le Nord Cotabato, Al Jazeera a rencontré quelques nouvelles recrues entrainées à marche forcée, dans le cadre d'un programme d'entraînement pour miliciens encadré par les militaires, qui s'étale en principe sur trois mois. Un programme ramené à seulement six semaines, afin de combler ce que les autorités considèrent comme un vide en matière de sécurité. »

Visionner le reportage d'Al Jazeera:

Et la seconde partie du reportage :

Le commandant rebelle, qui est sans doute aujourd'hui l'homme le plus recherché des Philippines [11], insiste sur le fait que ce sont les troupes gouvernementales qui ont attaqué en premier.

L'implication supposée de troupes américaines [12] dans les combats suscite une autre polémique. Himagsik Kayumanggi rapporte que :

«Des forces spéciales américaines ont été aperçues à l'intérieur du camp du 64e bataillon d'infanterie à Datu Saudi Ampatuan, dans la province de Maguindanao. Selon Bai Ali Indayla, membre du groupe moro Kawagip pour les droits de l'homme, les soldats étaient en train de mener des opérations secrètes, telles la supervision de drones ou d'avions espions et les tirs de missiles Predator. Cela a été confirmé par le Major Général Eugenio Cedo, alors à la tête du commandement du Mindanao occidental. Comme d'habitude, l'ambassade américaine a démenti toute implication de soldats américains dans les combats actuels ; ils ne faisaient que répondre à une demande de surveillance aérienne de l'armée philippine, en vue de déterminer les conditions du terrain et de visibilité, ceci pour de « futurs projets civils et militaires », pour citer Rebecca Thompson, chargée de l'information à l'ambassade américaine. »

 Le groupe de défenseurs de la paix [13] Mindanao Peaceweavers (MPW) demandent aux deux parties – le gouvernement et les rebelles musulmans – d'appeler à un cessez-le-feu. Une pétition [14] en ligne demande au gouvernement de mettre fin à ses opérations militaires à Mindanao. Une lettre [15] a également été envoyé au pape, afin qu'il intervienne. Les Philippines sont un pays majoritairement catholique :

« Nous espérons que votre Sainteté pourra nous aider à ramener la paix et la justice parmi nos frères et sœurs de Mindanao, en exprimant son inquiétude face à la crise humanitaire en cours, et appeler à la retenue afin de protéger tous les civils et permettre à l'aide humanitaire d'urgence d'être acheminée vers les populations touchées. »

Des blogueurs de Mindanao [16] ont fait le vœu d'agir pour la paix. Le journaliste Walter Balane [17] leur a adressé ce message :

« Il ne faut peut-être pas se contenter de publier des articles sur les blogs à propos de Mindanao et de sa population, mais également apprendre à « ceux qui n'ont pas la parole » à bloguer afin qu'ils puissent eux aussi s'exprimer directement sur un blog.
Bien sûr, cela risque d'être très difficile pour les blogueurs de Mindanao d'accéder aux différentes régions sans encombre et à la population d'approcher des endroits où des blogueurs locaux pourraient les aider.

Mais les blogueurs doivent continuer à essayer de les inclure et contribuer au respect mutuel et à la tolérance en permettant à de plus en plus de gens de se connecter entre eux par l'intermédiaire d'Internet.

La plupart d'entre nous qui publions déjà des blogs à propos de ceux qui n'ont pas la parole doivent poursuivre leur tâche et transmettre le virus à d'autres.

Nous pouvons travailler à une prise de conscience de Mindanao, qui les englobe, au lieu de les exclure”.