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Congo (RDC) : le point sur les droits humains et les violences sexuelles au Nord Kivu

Catégories: République Démocratique du Congo (RDC), Action humanitaire, Catastrophe naturelle/attentat, Droits humains, Economie et entreprises, Femmes et genre, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens

Le 10 décembre est la Journée Mondiale des Droits Humains [1], et, placée sous le mot d'ordre «Chaque être humain a des droits [2]» (anglais), cette année marque le 60e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. C'est aussi le dernier jour de la campagne annuelle «16 jours de militantisme contre la violence sexuelle [3]» (anglais).

Dans de nombreuses parties du monde, cependant, la situation des droits humains est loin d'être idéale, et la violence sexuelle est une menace quotidienne. La province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, est l'un de ces endroits, comme le montre cette revue des blogs tenus par des travailleurs humanitaires dans la région.

En introduction, un rappel [4] du journaliste Michael Kavanagh (anglais) :

Il y a maintenant cinq ans que je couvre la RDC, et rien ne me frustre plus que les commentaires dédaigneux que j'entends souvent sur le caractère endémique des conflits en Afrique.

La violence est rarement irrationnelle – elle a presque toujours des racines que l'on peut traiter. Souvent, nous sommes simplement trop occupés ou trop paresseux pour étudier suffisamment une situation en vue de chercher comment [la résoudre].

Il y a quelques jours, Rebecca Wynn, une attachée de presse d'Oxfam, a écrit (anglais) sur les personnes déplacées de la région de Kibati [5], au nord de Goma :

Les enfants que je rencontre ici à Kibati en République Démocratique du Congo vont à l'école, mais ne reçoivent aucun enseignement. L'école est l'endroit où ils dorment. C'est leur maison. Depuis qu'ils ont fui la violence dans leurs villages, c'est là qu'ils dorment, avec des feuilles en guise de matelas et blottis ensemble.

[…] Il y a 21 villages de Kanyaruchinya, qui entourent les camps de Kibati. Quatre de ces villages sont complètement vides et le reste est rempli de milliers de gens qui ont été forcés de s'enfuir de chez eux. La population y était juste en-dessous de 19.000 avant les troubles récents, mais on estime à 50.000 ceux qui sont arrivés ici dans les camps et les villages au courant du mois dernier. 65 % des familles ici hébergent des personnes déplacées. Mais beaucoup de gens vivent dans des lieux publics tels qu'écoles, églises et orphelinats.

Gina Bramucci d'International Rescue Committee (IRC) écrit elle aussi (anglais) sur le camp de déplacés de Kibati [6], où environ 5.000 personnes vivent «dans des abris insalubres» – une armature de branches d'arbres, une feuille de plastique pour toit, des feuilles de bananier séchées pour boucher les interstices et servir de coupe-vent» :

La distribution de bois combustible à Kibati est aujourd'hui importante à plusieurs niveaux […] Dans les zones de conflit, les expéditions hors du camp ou du centre à la recherche de bois ou d'eau exposent les civils à un risque plus élevé d'agressions. Au Congo, les hommes et les jeunes garçons peuvent être battus, intimidés ou contraints au travail forcé par des groupes armés. Mais la corvée de ramassage du bois retombe sur les femmes et les filles, et pour elles, les risques sont encore plus grands.

Le danger dont elle parle, c'est évidemment le viol. Elizabeth Roesch, spécialiste de défense des femmes et des droits humains pour CARE, cite une petite fille [7] dans un camp de déplacés :

L'autre jour, j'ai demandé à une petite fille qui avait fui les derniers combats, quand elle allait rentrer chez elle, et elle a répondu : «Tant qu'il y aura la guerre, nous ne rentrerons pas – comment rentrer si on risque de se faire violer ? Quand nous cherchons de l'eau, quand nous allons aux champs, nous avons peur.» Les autres femmes ont approuvé en hochant la tête, et soudain j'ai compris à quel point le viol est efficace pour terroriser les communautés.

Stop the war in North Kivu (“arrêter a guerre au Nord Kivu”), un blog tenu par un travailleur humanitaire anonyme à Goma, publie une courte vidéo de ces camps de déplacés [8] :

 

Stop the war in North Kivu écrit aussi au sujet des «taxes» privées [9] que le CNDP (le mouvement rebelle dirigé par Nkunda) a imposées aux civils dans la zone qu'il contrôle :

Camion long : 2000 dollars le passage

Camion fuso (camionnette) : 500 dollars le passage

Péage pour tout véhicule : 50 dollars

Si vous portez juste un sac avec quelques objets qui pourraient être vendus au marché : 5 dollars.

On raconte ici que le CNDP est une force disciplinée en ce sens qu'ils ne pillent pas la population. Maintenant je comprends qu'ils n'ont même pas besoin de le faire. Avec ce genre de système de taxes, le pillage devient complètement superflu.

Pendant ce temps, les prix à Goma des biens de premières nécessité comme les haricots ont triplé dans les deux derniers mois.

Emily Meehan, directrice de la communication d'IRC à Goma, raconte sa récente arrivée au Nord-Kivu [10] :

[Au début de l'année] je me documentais sur la République Démocratique du Congo, et le Nord-Kivu en particulier, et je me demandais pourquoi on n'entendait pas plus parler de la crise humanitaire en cours là-bas. Je pensais aux femmes et aux filles qui ont été violées et torturées par les groupes armés. Je me représentais Goma, la capitale du Nord-Kivu, comme une ville quotidiennement assiégée, avec des tirs de mortiers, des vitres volant en éclats et des tirs de mitrailleuses crépitant en permanence au loin. J'imaginais des civils courant en hordes pour échapper aux combats de rues, hurlant, gémissant et s'écroulant. Mon imagination était loin de la réalité.

Je suis arrivée à Goma le mois dernier […] et j'ai vite vu que cette tragédie n'est pas si évidente – les gens vivent avec la guerre depuis trop longtemps au Congo. Elle n'a rien de sensationnel. Ils continuent, leur «curseur quotidien» réglé sur «urgence».

Iker Zirion, qui travaille pour Veterinarios sin Fronteras (VSF) à Butembo, raconte une parabole (en espagnol) pour illustrer la complexité du conflit armé au Nord-Kivu, dans ce qu'il appelle «trois causes pour un même effet [11]» :

 

Un soldado de las Fuerzas Armadas de la RDC que huye del frente entra en casa de Vital Kagheni buscando algo de comida. Le golpea. Aprovecha para robarle el dinero y el móvil. Más tarde, vuelve con otros dos soldados. Quieren algo más que dinero. Quieren a su mujer.

Al otro lado de ese frente del que huyen, el CNDP toma varias localidades. En la escuela de una de ellas, encuentran a Bertrand Kitambala. Tiene 13 años. En algunos países, hay personas que creen que esa edad es suficiente para empuñar un arma. Desgraciadamente, la RDC es uno de esos países.

Un miembro de las FDLR está escondido en el bosque. Lleva ahí mucho tiempo. Está cansado y tiene hambre. Hacia él se acerca, sin saberlo, Kakule Lukumbuka. Lleva una cabra atada con una cuerda. Cuando llega a su altura, el FDLR sale de su escondite y le dispara. Pero no antes de arrebatarle la cuerda de las manos. No tiene ganas de correr y no quiere que el disparo haga huir a la cabra.

Un soldat des forces armées congolaises fuyant le front entre dans la maison de Vital Kagheni à la recherche de nourriture. Il le frappe. Ensuite, il vole son argent et son téléphone portable. Plus tard, il revient avec deux autres soldats. Ils veulent plus que de l'argent. Ils veulent sa femme.

De l'autre côté de la ligne de front qu'ils fuient, le CNDP prend plusieurs localités. Dans l'école de l'une d'elles, ils trouvent Bertrand Kitambala. Il a 13 ans. Dans certains pays il y a des gens qui croient que c'est un âge suffisant pour prendre les armes. Malheureusement, la RDC est l'un de ces pays.

Un membre des FDLR se cache dans la forêt. Il est là depuis longtemps. Il est fatigué et a faim. Sans le savoir, Kakule Lukumbuka s'approche de lui. Il mène une chèvre attachée à une corde. Quand il arrive à  sa hauteur, le FDLR sort de sa cachette et le tue. Mais pas avant de s'être emparé de la corde. Il n'a pas envie de courir et ne veut pas que le coup de feu fasse fuir la chèvre.

Dans un autre billet, Iker Zirion parle de nouveau départ [12] :

“¡Buenas tardes! El día ha pasado sin incidencias, pero en un ambiente de tristeza para casi todo el mundo. Nada se ha salvado. Hay que empezar nuevamente de cero”, nos dice vía sms APRONUT, oenegé de desarrollo congoleña y una de nuestras contrapartes en Kirumba.

No es la primera vez. La población de la zona ha tenido que comenzar de cero varias veces desde la década de los noventa hasta hoy. ¿Qué se puede responder a un sms como ese? Yo, desde luego, no lo sé. Afortunadamente, otra persona del equipo tuvo más capacidad de reacción: “¡Animo! Empezaremos de nuevo todos juntos”.

«Bonsoir ! La journée a passé sans incident, mais dans une ambiance de tristesse pour presque tout le monde. Presque rien n'a été sauvé. Il faut repartir à zéro», nous dit par SMS l'ONG de développement congolaise APRONUT, qui est l'une de nos partenaires à Kirumba.

Ce n'est pas la première fois. La population de la région a dù repartir de zéro plusieurs fois depuis les années 90 jusqu'à maintenant. Que peut-on répondre à un SMS comme celui-là ? Je ne sais vraiment pas. Heureusement, une autre personne de l'équipe a su être plus réactive : «Courage ! Nous allons recommencer tous ensemble !»

photos Iker Zirion [13]