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Madagascar : La France interdit une pièce sur l'insurrection de 1947

Catégories: France, Madagascar, Arts et Culture, Ethnicité et racisme, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Médias citoyens, Relations internationales

La tournée dans l'Hémisphère sud d'une pièce de théâtre en commémoration du soulèvement indépendantiste malgache de 1947 a été interdite sans explications par les autorités françaises.

La date du 29 mars 1947 rappelle des souvenirs douloureux à de nombreux Malgaches âgés. Ce fut le début d'un soulèvement [1] qui fut la première étape vers la libération de Madagascar de la puissance coloniale française, mais qui fut très violemment réprimé par l'armée française. Le nombre total de victimes de cette répression [2] est discuté par les historiens, mais généralement estimé entre 30 000 et 100 000 morts.

Malgré la reconnaissance par le Président de la République française Jacques Chirac, lors de sa visite officielle à Madagascar le 21 juillet 2005, du “caractère inacceptable des répressions engendrées par le système colonial”, les événements de 1947 restent méconnus, tant à Madagascar qu'en France et dans le reste du monde. Afin de mettre en lumière cette tragédie, un auteur malgache réputé, Jean-Luc Raharimanana [3], et un metteur en scène français, Thierry Bedard, ont créé un spectacle intitulé “47 [4]“, qui reconstitue le déroulement des événements, et met en questions les relations complexes entre les colonisateurs et les colonisés.

Ci-dessous une courte vidéo extraite de ce spectacle :


47 Raharimanana [5] par notoire [6]

Après quelques représentations dans deux villes de France métropolitaine, la pièce est à présent, selon Libération, “interdite de fait” [7] en Afrique australe orientale et dans l'océan Indien par la Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement du Ministère français des Affaires étrangères.

L'auteur de la pièce, Jean-Luc Raharimanana, réagit avec force sur Rue89 [8] :

Silence pèse sur la mémoire. Les langues se délient. Des hommes et des femmes voudront comprendre. Dans ce désir, réel cette fois-ci, de vivre ensemble […] Pourquoi en 47, deux ans après le carnage, deux ans après le “plus jamais ça”, pourquoi à Madagascar s’est perpétré l’un des plus grands massacres coloniaux ? […] C’est ce silence qu’explore le spectacle “47”. Une histoire commune. Violente. Sensible. Un théâtre qui nous ramène dans ce désir de vivre ensemble, de comprendre ce qui a déchiré, les corps malmenés et torturés, les paroles étouffés et les non-dits qui corrompent les âmes. […] Mais ainsi en a décidé le “bureau politique” de la DGCID1. Censure sur le spectacle. Interdiction d’emmener cette parole dans les centres culturels africains et alliances françaises. […] Mais la mémoire se moque bien de la censure même si c’est une censure d’État. Le désir est profond de comprendre d’autant plus que nous avons maintenant le recul nécessaire pour tout entendre, pour enfin échanger.

Cette information a été relayée sur quelques blogs, comme MondoMix [9] et Africultures [10].

Les commentaires [11] en réaction au billet de Jean-Luc Raharimanana sur Rue89 vont de l'indifférence à l'indignation.

Quelques uns ne voient pas l'utilité de revenir sur ce passé, comme mechante langue qui écrit :

Ne jouez pas les faux martyrs. Sinon sérieusement vous croyez vraiment que la chose la plus importante à dénoncer à Madagascar aujourd'hui, ce sont les massacres de 47, sérieusement ?

Ce à quoi Monsieur Lambda répond :

Il vous échappe manifestement que ces massacres sont, dans une large mesure, fondateurs de la conscience nationale des Malgaches et qu’ils occupent, du point de vue de la mythologie nationale, une place comparable à celle de la prise de la Bastille pour les Français.

Juan Pablo de Tagéna pense que les Malgaches se demandent à présent si le combat pour l'indépendance en valait la peine :

Aujourd’hui les Malgaches ne demanderaient pas leur indépendance : ils seraient à 99 % pour le maintien dans la Communauté Française.

Sur Facebook, dans un fil de conversation privé à propos de cette interdiction, Soaray Rabarimampianina [12] (cité avec son autorisation) pense qu'il y a encore beaucoup à faire avant de débattre de façon ouverte de ce sujet historique.

Il y a bien du chemin à parcourir avant que la France accepte cette partie de son histoire qu'est la colonisation.

Dans le même fil, Tsilavina Ralaindimby [13] souligne qu'on ne doit jamais oublier la participation des soldats venus des colonies qui ont combattu pour la France lors des deux guerres mondiales :

C'est un documentaire sur les Tirailleurs Malgaches qui sont venus pour se battre au nom de la France en 14/18 et dont beaucoup sont morts là-bas. À Menton […] il y a là-bas un cimetière avec toute une rangée de tombes de soldats malgaches.


Jentilisa [14] a contribué à cet article en indiquant des liens et des références.