La Charte 08 [1] [en anglais], une déclaration commune rédigée par des universitaires indépendants, a été soutenue par des centaines de signataires comprenant des écrivains de renom, des avocats, des professeurs et bon nombre de dissidents. Il s'agit d'un texte qui esquisse un plan dans la perspective d'un régime démocratique en Chine.
Il appelle le gouvernement chinois à apporter des réponses plus positives aux demandes du peuple en termes de droits fondamentaux et de réformes politiques. Il traite de problèmes tels que la séparation des pouvoirs, un meilleur système de sécurité social, la liberté religieuse, et l'élection des responsables administratifs. Différents des précédents appels, ce texte ne se contente pas d'exiger des actions contre la corruption, il demande une révision de la constitution en profondeur. Dans sa forme, elle s'inspire de la Charte 77 [2] [en français] anti-soviétique des dissidents tchécoslovaques.
Catherine Sampson [3], journaliste au quotidien britannique The Guardian, a qualifié [4] [en anglais] la Charte comme étant “l'un des appels au changement les plus courageux à avoir émergé depuis le bain de sang de 1989, qui n'est pas parvenu à faire taire la dissidence chinoise.”
La date de sa publication était assez sensible. Le 10 décembre était la Journée mondiale des Droits de l'Homme [5], et le 60e anniversaire de l'adoption de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme [6] par les Nations Unies, un traité clef pour les droits fondamentaux, que la Chine a également signé. De plus, 2008 est une année particulière pour la Chine. À l'exception de la gloire des Jeux Olympiques, cette année aura été plutôt sinistre : un séisme et des tempêtes de neige ont semé la pagaille, la crise financière a eu des répercussions sur la vie quotidienne des Chinois, et tout au long de l'année, des émeutes, des violences et des manifestations ont régulièrement secoué le pays. La prospérité et la stabilité, amenées par une croissance continue et la poigne de fer qui dirige le pays, se retrouvent sapées par la distribution inégale de la richesse et de la justice.
La plupart des problèmes découlent du système politique controversé de la Chine, que la Charte 08 critique dans son préambule [en chinois] :
特别是官民对立激化和群体事件激增,正在显示着灾难性的失控趋势,现行体制的落伍已经到了非改不可的地步。
Plus particulièrement, l'intensification de l'hostilité entre le gouvernement et les gens ordinaires, ainsi que la multiplication des “incidents de masse” illustrent bien une perte de contrôle catastrophique et généralisée, ce qui prouve que l'obsolescence du système actuel a atteint un tel niveau que le changement est inévitable.
Et à présent, la Charte en elle-même pourrait bien pousser le conflit à son paroxysme.
Une réponse musclée
Son émergence et sa publication a eu des conséquences dramatiques.
Il était prévu que la Charte soit rendue publique le 10 décembre, à l'occasion de la Journée des Droits de l'Homme. Elle avait récolté 303 signatures, marquant ainsi la première phase de cette campagne, et devait ensuite prendre la forme d'une pétition après sa publication.
Toutefois, le 8 décembre, Liu Xiaobo, l'un des dissidents les plus en vue de Chine et l'un des initiateurs de la campagne, a été arrêté par les services secrets en même temps qu'un autre universitaire, Zhang Zuhua, qui, lui, a été libéré peu après. Leurs domiciles ont été saccagés, et leurs ordinateurs, ainsi que d'autres effets personnels, ont été confisqués.
Interrogé par la Deutsche Welle [7], Zhang témoigne [8] [en chinois] :
大约有20多名警员身着警服闯到我家中,出示了传唤通知书和搜查证,然后把我带到万寿路派出所进行讯问,长达12小时。同 时留下11位民警在我家进行了一 个大搜查。把我家里的几台电脑,包括我妻子的电脑,还有我的很多书籍和私人物品–我和我太太的现金、存折、银行卡全部抄走,留下了很厚一沓的扣押物品文 件清单。
Lui Xiaobo n'a pas eu la même chance que Zhang et il est toujours maintenu en détention. Et rien ne montre qu'il pourrait être libéré rapidement. Liu est né en 1955. Après le massacre de la place Tiananmen en 1989, il avait été emprisonné pour avoir été l'un des leaders du mouvement. Après sa libération, il avait continué à écrire pour dénoncer les actes antidémocratiques du régime, ce qui lui avait valu des séjours réguliers en prison.
Le quotidien britannique The Telegraph a publié un rapport détaillé [9] [en anglais] de ce qui s'est passé. Comme le souligne l'article, l'une des revendications les plus politiquement sensibles de la Charte est celle de la séparation à l'occidentale des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), une option qui avait été débattue en public mais écartée par les responsables du Parti communiste. Mais bien plus grave, l'article 18 de la Charte, qui propose que la Chine devienne une république fédérale, est ce que les autorités citent le plus pour incriminer les signataires, car cela est considéré comme étant une réelle menace contre le régime.
Bien que les signataires affirment qu'ils souhaitent une réforme dans le cadre politique actuel, l'autorité s'en retrouve chamboulée. De plus en plus d'interrogatoires, d'arrestations et de perquisitions sont menées. La rumeur court que chaque signataire sera “traité” par la police.
L’Independent Chinese Pen Center [10] [en anglais], une association qui milite pour la liberté d'écrire et de publier, et que Liu Xiaobo avait l'habitude de présider, est particulièrement affecté car beaucoup de ses membres ont signé la Charte. Ils relatent sur Internet ce qui leur est arrivé ces derniers jours.
Le poète Guan Dangsheng a découvert à quel point les services secrets pouvaient être efficaces [en chinois, comme tous les liens qui suivent] :
去附近的“步瑞祺电脑城”,正在柜台看耳机时,有人拍了拍我的肩膀。我一看,是个陌生的30多岁的穿着休闲服的人。他问“ 老管吗?”我说“是”。他说“借一步说话。”我有些诧异,又有些想笑,心想:这人还比较文明。我问道“你认识我吗?”他说“你不是管党生吗?”我说“是 ”,他扶着我胳膊说“没有找错”。然后把我带到门口,说“我是市公安局的,想找你了解些事情,请配合一下”,并掏出来“人民警察证”给我看了一下,里面名 字还没有看清楚,他就收了起来。说实话,我当时的第一个念头就是想跑。但是,一方面他强“扶”着我胳膊,一方面感觉跑也没有什么意思,何况以前也有过类似 的事情。
L'auteur fut ensuite emmené et invité dans la salle privée d'un restaurant. Un interrogatoire tendu, déguisé en discussion amicale, s'en suivit.
“我们开门见山吧。最近你比较活跃啊。”
“哪些方面?”
“最近签名比较多啊”
沉默……
“零八宪章看过没有?还有那个《营救刘晓波博士告全国人民书》?”
“看过”
“签名了没有?”
“签名了”
“好,谁让你签名的?”
“自己”
“在哪里看见的?”
“网上”
“哪个网?”
“到处都有”
“你知不知道问题很严重?”
“不知道”
“你怎么和刘晓波搞到一起去了?怎么认识他的?”
“我没有和刘晓波搞到一起去,也基本不认识他。”
“那为什么要声援营救他?”
“Comment ça ?”
“Il y a eu beaucoup de signatures.”
Je suis resté silencieux.
“Vous avez lu la Charte 08 ? Et la Lettre au peuple pour sauver Liu Xiaobo ?”
“Oui.”
“Vous les avez signé ?”
“Oui.”
“Qui vous a dit de le faire ?”
“Personne.”
“Où avez-vous trouvé la Charte?”
“Sur Internet.”
“Sur quel site ?”
“Elle est partout. “
“Vous savez que c'est un sérieux problème ?”
“Non.”
“Comment avez-vous rencontré Liu Xiaobo ?”
“Je ne l'ai jamais rencontré, je ne le connais pas en personne.”
“Alors pourquoi le soutenez-vous ?”
À cette question, l'auteur apporta une réponse plus élaborée.
“因为从80年代起我就喜欢他的文章,还有我认为零八宪章只是表达当代民主政治的基本原则和价值追求,对促进中国民主法治有很大促进作用,代表着很大一部分人的政治理想,为这个抓人是没有道理的。从法律上讲,宪法明确规定保障每个人的言论自由权利”
“你怎么知道抓他是因为零八宪章的?”
“那是因为什么?
Il ne trouva rien à dire.
Finalement, après avoir eu la certitude que l'auteur ne savait pas grand-chose à propos de ceux qui étaient à l'origine du mouvement et de leurs procédés, l'enquêteur le laissa partir. À la fin de son long billet, l'auteur a conclus sur ce commentaire :
出来以后,我想中国的公安有时工作效率还是比较高的。譬如对“零八宪章”。如果把这效率用在反腐败上多么好。
也许是杞人忧天。为了防止我突然“消失”,我还是把今天的事情写了出来。
现在外面是晴天,还是老话:我坚信乌云遮不住太阳。