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Palestine : Les manifestations en Cisjordanie entravées par les tensions politiques

Catégories: Israël, Palestine, Guerre/Conflit, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Tandis que tous les yeux sont fixés sur Gaza, que se passe-t-il en Cisjordanie ? Les blogueurs rapportent qu'il y a une énorme colère contre l'assaut sur Gaza, pourtant la tension actuelle entre les factions politiques dans certaines zones signifie qu'il n'a pas été facile de manifester en public.

Samuel Nichols, qui blogue (anglais) sur SammerTime, et est un membre américain de Christian Peacemaker Team [1] («Equipe Chrétienne pour la Paix») travaillant dans un village du sud de la Cisjordanie :

Comme vous pouvez certainement imaginer, les sentiments chez les Palestiniens ces derniers jours sont très émotionnels. Les gens sont en deuil, ils sont furieux, ils veulent répliquer. … Quand je suis arrivé à Hébron hier, beaucoup de jeunes jetaient des pierres, scandaient des slogans et brûlaient des pneus en réaction aux massacres. Les rues étaient barrées avec des pierres et les feux de pneus faisaient rage et la jeunesse paradait avec des drapeaux palestiniens. Les soldats israéliens répliquaient avec des munitions de combat, des grenades à concussion et des gaz lacrymogènes. Quand je suis entré dans la vieille ville d'Hébron, un monsieur aimable m'a montré une ruelle vers ma maison où il n'y aurait aucun lacrymogène… En quittant Hébron aujourd'hui, la scène était identique. Un jeune m'a saisi le bras et m'a tiré dans une ruelle. Juste au moment où nous avons tourné le coin, une grenade à effet sonore a explosé, me faisant une peur bleue. Je l'ai remercié pour son geste, et il a commencé à me demander d'où j'étais, j'ai dit «Ameerka». Je me suis tout de suite rendu compte que ce n'était pas une réponse bienvenue en ce moment. Il m'a demandé si j'avais vu les images des bébés tués à Gaza. Il a dit que l'Amérique était responsable de ces bébés morts. Il m'a dit que l'Amérique doit être détruite. Il a voulu savoir si ses affirmations étaient vraies ou fausses. «Haada mazbout», c'est vrai, j'ai dit. Il a dit à tous ses amis autour de lui que j'étais «Amreeki», ce qui a recueilli de nombreux grognements désapprobateurs. Une autre grenade à effet sonore a détonné tout près et j'ai supposé que c'était le moment de m'en aller.

[…]

Quand je suis monté dans le bus pour Bethléhem, où je change pour aller à Jérusalem, je suis entré dans une autre conversation avec trois hommes. Un homme dans le bus ressemblait remarquablement à Yasser Arafat, et d'autres hommes l'importunaient en essayant de lui faire faire une imitation… Ensuite ils m'ont demandé d'où j'étais. Quand j'ai dit d'Amérique, ils m'ont de nouveau posé des questions sur Gaza, si j'avais vu les images et les vidéos. Ils m'ont ensuite demandé ce que je faisais là. Dans mon arabe limité, j'ai expliqué que je travaille près de Yatta, dans un village appelé Tuwani. J'ai laborieusement cherché mes mots pour décrire ce travail… «Je vis avec des Palestiniens qui ont beaucoup de problèmes avec les colons et les soldats israéliens. Les étrangers qui sont avec moi, nous avons des caméras vidéos, et nous essayons d'aider, et de dire dans notre pays ce qui se passe.»… Alors le «sosie de Yasser Arafat» a tendu le bras par-dessus le couloir pour me serrer la main. «Vous êtes le bienvenu ici en Palestine,» m'a-t-il dit, les premiers mots prononcés en anglais dans cette conversation. Les autres hommes m'ont serré la main et m'ont demandé comment je m'appelais et où j'allais. Quand je leur indiqué mon itinéraire, ils ont insisté pour que je vienne avec eux dans la voiture de leur ami et ils me déposeraient à Jérusalem pour attraper le bus. Ayant pris place dans la voiture, le conducteur m'a offert du thé et à manger, et m'a dit que j'étais le bienvenu ici.

Marcy Newman, une militante et universitaire américaine travaillant à Naplouse, qui blogue sur Body on the Line, décrit (anglais) le climat dans cette ville [2] :

L'état d'esprit à Naplouse n'est pas bon… Un refrain couru que j'ai entendu hier parmi mes étudiants est que «le sang palestinien ne vaut pas cher.» Ils ont le sentiment qu'ils sont tout seuls. Hier, j'ai posté une vidéo importante de Sheren Tadros qui racontait qu'Al Jazeera a mis en lumière le fait que les Palestiniens de Gaza n'ont nulle part où se mettre à l'abri, mais ici aussi, les gens ont le sentiment qu'il n'y a personne à qui demander de l'aide, que leurs appels à mettre fin à ce bain de sang tombent dans des oreilles de sourds. […] Les gens à Naplouse ont peur de parler clair, car il y a de nombreux Palestiniens qui se sont exprimés publiquement dans des mosquées et d'autres endroits publics, avec le résultat que l'Autorité palestinienne les a mis en prison, les ennemis sont partout, de l'intérieur et de l'extérieur, une de mes étudiantes activistes chattait avec moi hier soir, elle veut monter une tente au centre de Naplouse sur la place des Marturs pour avoir un mémorial public des martyrs de Gaza ; les chefs du Hamas et du Fatah dans la ville n'ont pas pu se mettre d'accord, alors, pas de tente. Encore du silence. La même chose est vraie à Nasra (Nazareth), où des Palestiniens ont été attaqués par des terroristes israéliens pour avoir protesté contre la brutalité à Gaza.

Cependant une manifestation a bien eu lieu [3] :

Il faut rendre cette justice aux femmes, quand ça chie ce sont toujours elles qui réagissent. Qui sont fortes. En plein milieu d'une situation politique où les Palestiniens ont peur de parler haut et fort contre la guerre terroriste d'Israël contre Gaza, l'Union des Femmes en a eu ras le bol aujourd'hui et a organisé une manifestation impromptue sur la place des Martyrs au centre de Naplouse. C'était une manifestation brève, en partie à cause de la pluie je suppose, mais importante malgré tout. Au bout d'un quart d'heure les hommes s'y sont aussi joints. Les slogans étaient tous sur l'unité : une nation, pas de division. Les slogans ont critiqué de la même façon le Hamas et le Fatah.

Puis une deuxième [4] :

Je suis retournée au centre-ville aujourd'hui à 17 heures pour la deuxième manifestation pour Gaza. Cette fois, c'était une veillée aux bougies. J'y suis allée de bonne heure vu ce qui s'est passé à la première manifestation à laquelle j'ai assisté. Aucun de mes amis n'y était encore. J'ai vu un tas de drapeaux jaunes [du Fatah [5]] quand je suis arrivée, mais c'étaient des drapeaux pour les prisonniers politiques palestiniens, alors je n'ai pensé à rien. Tandis que j'attendais l'arrivée de mes amis, deux étudiants de [l'université de] Najah se sont approchés de moi et comme ils discutaient j'ai commencé peu à peu à comprendre que ceci n'était pas du tout une veillée aux bougies pour Gaza en dépit de tous les gens ici en keffiehs [6] qui avaient l'air d'être rassemblés pour une veillée ou une manifestation. Soudainement de très grands haut-parleurs se sont mis à diffuser à plein volume des chants du Fatah et tout de suite après une immense parade a commencé à descendre la rue pleine d'enfants juchés sur des barils et brandissant d'énormes drapeaux du Fatah… Je n'étais pas d'humeur à regarder le Fatah fêter son 44e anniversaire, ça me faisait l'effet de danser sur les tombes des gens de Gaza. Incidemment, j'avais entendu dire que les festivités pour l'anniversaire du Fatah avaient été annulées aujourd'hui à cause de ce qui se passe à Gaza; apparemment les habitants de Naplouse n'avaient pas reçu la note de service.

Ned est à Ramallah, et blogue sur Oranges and Olives [7] (anglais) :

Certes, nul ne peut dire qu'au Hamas ce sont des anges. Ils n'en sont pas. Mais n'est-ce pas absurde que, pendant que les F-16 et les Apaches bombardent Gaza et pendant que les tanks prennent position autour de la bande, les appels à cesser la violence s'adressent au Hamas ? Mais l'aspect surréaliste, en tant que contraste frappant entre les éléments, ne peut dans notre cas qu'être renforcé par un troisième élément. Ce qui à mon sens amplifie cet aspect surréaliste ne se trouve ni dans la réaction mondiale, ni dans la réaction arabe, mais dans celle de l'Autorité Palestinienne à Ramallah. Un petit défilé se forme au centre de Ramallah, et il apparaît infesté d'agents de l'appareil de renseignement. C'était répugnant de voir les partisans du Hamas arrêtés au coeur de Ramallah par des Palestiniens. Ce qui a ajouté à la tristesse c'était la vision d'une rangée de la police anti-émeute barrant la route de la Muqata'a (le complexe de la Présidence). Si nous-mêmes traitons une manifestation pacifique d'une façon qui exige le recours à la police anti-émeutes, alors à quoi pouvons-nous nous attendre de la part des autres ? […] Tout le monde a tort, personne ne fait ce qu'il faudrait, mais les choses sont entrées dans une spirale de torts et d'accusations telle qu'il est maintenant impossible de dire qu'une seule chose suffirait à tout arrêter. C'est pourquoi ma réflexion retourne à la racine du problème, au moins à sa racine de notre côté du jeu. La conclusion de mon analyse, c'est que nous n'avons pas de dirigeants sincères. Personne ne s'intéresse sincèrement au bien des Palestiniens, même pas les leaders palestiniens eux-mêmes. D'une part, on ne peut pas s'attendre à ce que l'Autorité palestinienne se prononce vigoureusement contre une opération militaire susceptible de restaurer son pouvoir dans la bande. Ni à ce que les chefs du Hamas abandonnent leur trône après avoir réussi à y monter. Et nous, en tant que peuple, nous ne sommes pas assez intelligents pour nous dresser contre ce leadership catastrophique et en créer un nouveau qui nous représente. Ça a l'air tellement sans espoir.

Elena est une Italienne qui travaille à Raallah et blogue sur Fazzo Io!, et elle a publié un poème écrit par son amie Raya [8] (anglais) :

Last night I had my last drop of coffee
My last dream, my last piece of bread
Tomorrow morning I will witness my last dawn
Listen to my daughter's last heart beat
Say I love you for the first, the very last time
[…]
Few minutes ago I was invisible no one knew about me
No one heard my screams, felt my fears
No one held my freezing shaking small hand
No one told me it will be ok
Soon it will be ok
No one saw me, no one felt me
I was invisible, no one knew about me!
Few minutes later I'm on TV
Everyone talks about me
Even the CNN mentioned me!!
[…]
Yesterday I died!
As an old man buried in his tomb,
As fetus dead in her mother's womb
Yesterday I died 360 times!

La nuit dernière j'ai eu ma dernière goutte de café
Mon dernier rêve, mon dernier morceau de pain
Demain matin je verrai ma dernière aurore
J'écouterai le dernier battement de coeur de ma fille
Je dirai je t'aime pour la première et toute dernière fois
[…]
Il y a quelques minutes j'étais invisible personne ne me connaissait
Personne n'entendait mes cris, ne ressentait mes peurs
Personne ne tenait ma petite main gelée et tremblante
Personne ne me disait que tout irait bien
Bientôt tout ira bien
Personne ne me voyait, personne ne me touchait
J'était invisible, personne ne me connaissait !
Quelques minutes plus tard, je suis à la télé
Tout le monde parle de moi
Même CNN m'a mentionnée !!
[…]
Hier je suis morte !
Comme un vieillard enterré dans sa tombe
Comme un foetus mort dans le sein de sa mère
Hier je suis morte 360 fois !