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Blogs de Gaza : “A Gaza, nous sommes les sujets des actualités, mais nous n'avons pas la télé”(mercredi 7 janvier)

Catégories: Israël, Palestine, Action humanitaire, Dernière Heure, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Réfugiés, Relations internationales

[Revue de blogs de Gaza du mercredi 7 janvier, traduction française mise en ligne le 8 janvier à 20h30 heure de Paris] Hier, (6 janvier), une école des Nations-Unies dans le camp de réfugié de [1]Jabaliya [1], qui était utilisée comme refuge, a été frappée par des obus israéliens [2] et 40 personnes ont [officiellement] été tuées. Le mercredi 7 janvier, l'armée israélienne a suspendu ses opérations militaires [3] pendant trois heures, pour permettre à l'aide humanitaire de rentrer dans la bande de Gaza. Cette revue de blogs rassemble les mises à jour des blogueurs actuellement sur place à Gaza.

Le Professeur Saïd Abdelwahed, qui enseigne l'anglais à l'université Al-Azhar (voir nos éditions précédentes [4]), écrit sur le blog Moments of Gaza [5] (en anglais):

Des milliers de Palestiniens avait trouvé refuge dans les écoles de l’UNRWA [6] (ONU). 40 d'entre eux ont été tués durant un raid aérien aujourd'hui sur cette école !! Il semble que même le drapeau de l'ONU n'a aucune signification aux yeux d'Israël ! Comment peut-il se dire membre de la communauté internationale ?!

 Eva Bartlett, activiste canadienne présente à Gaza, sur le blog In Gaza [7] (en anglais) :

Si votre pays incroyablement petit et surpeuplé était terrorisé, pulvérisé par les bombes de la 4ème plus grande puissance militaire du monde, et vos frontières étaient bouclées : si votre maison n'était pas sûre, la mosquée (l'église) pas sûre, l'école pas sûre, la rue pas sûre, le camp de réfugiés de l'ONU pas sûr…Où iriez-vous, où fuiriez-vous, où vous cacheriez-vous ? Plus de 15 000 personnes ont été transformées en sans-abri, en “réfugiés internes” par les frappes israéliennes sur les maisons, par les obus, et les tirs. Certains de ces réfugiés étaient hébergés dans des écoles de l'ONU sur la bande de Gaza. A Jabaliya, aujourd'hui, les avions israéliens ont bombardé une de ces écoles. Le directeur de l'hôpital Shifa a communiqué un bilan prudent de 40 morts, dix blessés. Ça doit être plus. […] Le directeur de l'hôpital Shifa m'a dit aussi que les urgentistes ne peuvent pas atteindre l'immeuble de Zaytoun qui a été bombardé hier matin, avec les habitants piégés à l'intérieur. Ici, à Gaza [voir carte interactive de Al Jazeera TV [8]], j'ai entendu deux versions principales, toutes les deux criminelles [de ce qui s'est passé dans cet immeuble] . Première version : les soldats israéliens ont rassemblé les habitants de cet immeuble, séparé les hommes – 15, on m'a dit – et les ont abattus à bout portant devant les femmes et les enfants de la famille, 20 personnes, on m'a dit. Puis ils ont disposé des explosifs autour de l'immeuble et l'ont fait sauter avec à l'intérieur ce qui restait de la famille. Deuxième version : les soldats israéliens ont rassemblé les résidents de l'immeuble, les ont enfermés dans une pièce toute la journée, et les ont bombardés le matin suivant. Quelles que soient les versions rapportées, des soldats israéliens auraient volontairement emprisonnés puis bombardés les habitants de cet immeuble. Et empêchent les équipes médicales d'atteindre les survivants éventuels. Elles ont essayé de se coordonner avec le Comité International de la Croix Rouge (CICR), sans succès : personne ne peut approcher de l'immeuble. [Voir témoignage d'une des survivantes, publié ensuite par B'tselem [9], site des défenseurs israëliens des droits de l'Homme dans les territoires occupés, le 7 janvier] 

Philip Rizk, égyptien et allemand, sur le blogTabula Gaza, rapporte sa conversation [par messagerie électronique instantanée ou téléphone mobile] avec le Docteur Attalah Tarazi à Gaza [10] :

Le nombre de morts et de blessés communiqué par les médias est bien au-dessous de la réalité, car les médias ne peuvent pas couvrir les événements en temps réel. Je connais des exemples où les maisons ont été encerclées par l'armée israélienne et où les personnes à l'intérieur se sont rendues, et ont été abattues alors qu'elle sortaient. […] Nous avons été témoins d'utilisation d'armes que nous n'avions jamais vues avant dans notre vie. Certaines explosent dans le ciel et dissémine des bombes partout. Par moments, j'ai senti des odeurs sur les grands brûlés et les plaies que je n'avais jamais senties avant […] Puisse Dieu nous protéger, puisse Dieu avoir pitié de nous.

Dans une autre mise à jour publiée [mercredi], le Professeur Saïd Abdelwahed relate [11] (en anglais) :

La trêve humanitaire entre 13 h et 16 h heure locale a apporté un peu de soulagement aux civils dans la ville. La plus grande priorité des personnes était d'aller chercher de l'eau dans les points de distribution. Il y avait de longues file d'attente de gens qui attendaient d'avoir de l'eau potable dans des cruches en plastique ! Les tanks et l'artillerie opèrent toujours aux abords de Gaza-Ville ! Encore plus de personnes ont du évacuer leur habitation et se réfugier chez des proches et dans les écoles de l'ONU…. Mais avec les obus de hier (sur les écoles), tout le monde a trop peur de dormir dans les écoles ! Aujourd'hui, il y a eu des camions d'aide alimentaire d'urgence et des fournitures médicales ont été autorisées à entrer depuis Rafah dans la bande de Gaza. A Gaza, nous sommes les sujets des actualités et nous n'avons pas la télévision. Nous apprenons ce qui se passe via des proches qui nous appellent par téléphone de l'étranger. Nous sommes toujours sans électricité ou eau, et en plus, beaucoup de gens doivent faire la cuisine sans gaz !

Le photo-reporter palestinien Sameh Habeeb qui publie ses mises à jour sur Gaza Strip, The Untold Story, précise dans quelles conditions il travaille [12]:

chers rédacteurs en chef, journalistes et amis,
Certains d'entre vous se demandent comment je peux envoyer le boulot dans de telles conditions. C'est vraiment compliqué de vous envoyer cette mise à jour à cause du manque de courant. Je fais quatre kilomètres à pied par jour dans cette cruelle guerre pour recharger les batteries de mon ordinateur portable et vous envoyer ce travail ! C'est vraiment risqué, les obus tombent et les drones sont suspendus au-dessus de moi ! Je vais continuer.

Laila El-Haddad, dont les parents sont à Gaza, décrit sur son blog Raising Yousuf and Noor [Élever Youssouf et Nour], une conversation avec son père à Gaza, enregistrée en direct entre les Etats-Unis, où elle vit, et son père à Gaza, à la demande de Canadian Broadcasting [13] (en anglais) :

Je lui ai demandé s'il était sorti au moins une fois – il a dit que ma mère n'a pas mis les pieds dehors depuis des jours, mais qu'ils avaient besoin de tomates pour le diner. “Les magasins sont vides, il y a très peu de choses sur les étagères ; et quelque chose comme trois cents personnes faisaient la queue devant la boulangerie Shanti”. C'est surprenant, a-t-il dit, mais les gens essaient de continuer à vivre leur vie. Ce sont les détails ordinaires, quotidiens, qui nous sauvent souvent de la folie, qui vous aident à vivre avec la terreur. Et ce n'est pas une petite chose qu'il faut subir : savoir que, autant par l'intention que par son importance, il s'agit d'une guerre moderne sans précédent, contre un état occupé, sans représentation – et contre des réfugiés, pour la plupart.  

Safa Joudeh raconte sur le blog Lamentations-Gaza  [en anglais] comment on arrive à profiter de moments ordinaires [14] :

Je me suis réveillée avec l'odeur du pain fraichement cuit, autour de midi, aujourd'hui. J'étais debout presque toute la nuit, et je récupère pendant quelques heures quand le soleil se lève.  […] Ma mère a pris l'habitude de pétrir son propre pain ces dix derniers jours. Grâce à sa gestion économe du peu de gaz pour la cuisine qui nous reste, et à son idée d'acheter une cuisinière à gaz, en prévision d'une invasion israélienne, quelques jours seulement avant le début des offensives, elle peut de temps en temps pétrir du pain. De plus, nous avons trouvé un magasin avec sa porte entr'ouverte dans notre quartier, il y a quelques jours, et nous avons pu stocker de la farine. Après avoir déjeuné avec mes frères et soeurs et mes parents de pain, de fromage, d'oeufs, et d'un reste de pattes, nous sommes sortis sur le balcon, et quelle belle journée ensoleillée c'était ! Le froid s'était un peu dissipé avec le soleil du matin, les rares arbres dehors étaient verts et lumineux et les oiseaux chantaient ! Nous avons pu rester là pendant environ une demi-heure, à regarder à travers les barreaux de métal, comme des oiseaux en cage. On entendait une explosion de temps en temps au loin mais ça ne nous a pas empêchés de rester là, à respirer cet air frais dont nous avions tellement envie.

Le blogueur RafahKid  est totalement incrédule [15]:

que dire ? qui aurait cru ça en octobre quand nous avons donné notre premier concert [16] à Gaza. La vie est dure quand vous êtes retenu prisonnier toute votre vie, même si vous êtes reconnu comme une victime. Mais nous essayons d'avoir une vie et nous étudions beaucoup. Dire que le Hamas est la cause de tout ça est comme accuser la victime d'un viol de l'avoir cherché par sa tenue vestimentaire. 

Vittorio Arrigoni, activiste italien à gaza, a mis a jour son blog Guerrilla Radio [17] (en italien) :

Ho scattato alcune fotografie in bianco e nero ieri, alle carovane di carretti trascinati dai muli, carichi all'inverosimile di bambini sventolanti un drappo bianco rivolto verso il cielo, i volti pallidi, terrorizzati. Riguardano oggi quegli scatti di profughi in fuga, mi sono corsi i brividi lungo la schiena. Se potessero essere sovrapposte a quelle fotografie che testimoniano la Nakba del 1948, la catastrofe palestinese, coinciderebbero perfettamente. Nel vile immobilismo di Stati e governi che si definiscono democratici, c'è una nuova catastrofe in corso da queste parti, una nuova Nakba, una nuova pulizia etnica che sta colpendo la popolazione palestinese.

Hier j'ai pris quelques photo en noir et blancs d'une file de chariots tirés par des mules, et chargé de façon suréaliste d'enfants brandissant un drapeau blanc vers le ciel, des visages blêmes, terrifiés. A regarder aujourd'hui ces clichés de refugiés en fuite, j'ai des frissons dans le dos. Si ces photos pouvaient être surimposées sur les photos qui témoignent de la ‘Nakba [18]‘ de 1948, la catastrophe de la Palestine, elles se surimposeraient dessus parfaitement. Dans la répugnante inertie des états et des gouvernements qui se disent démocratiques, il y a une nouvelle catastrophe en train de se passer, une autre Nakba, un nouveau “nettoyage ethnique” en cours de la population palestienne.

Dans une autre mise à jour, Eva Bartlett écrit [19] :

Marcher dans Gaza-Ville maintenant est marcher dans une ville fantôme, passer à côté de ce qui reste des immeubles, les rues pleines de gravats, les magasins fermés, les rues vides de toute vie. Avant qu'Israël n'attaque cette densément peuplée bande de Gaza, le 27 décembre, Gaza-Ville était tout à fait différente : elle était étouffée par le blocus […] mais les Palestiniens de Gaza marchaient toujours dans les rues, fréquentaient les squares et les lieux publics, continuaient à étudier dans la bande et célébraient des mariages. N'importe quel jour, la rue principale, Omar Mukthar, était bondée avec des taxis conduisant le long de la route est-ouest, des enfants allant ou revenant de l'école, des commerçants et des clients. Marcher dans Omar Mukthar maintenant est sinistre […] Dans les premiers jours, après que les missiles aient frappé les commissariats, les mosqués, les bâtiments des administrations, les bâtiments de la commune, les voitures, les maisons, les ateliers où l'on fabriquait des métaux, et les universités tout au long de cette mince bande de terre de Gaza, les gens marchaient avec prudence, évitant les sites bombardés, très conscients qu'ils pouvaient être re-bombardés… […] Mais maintenant, on en est arrivé à un tel point, toute la bande de Gaza est si complètement et si minutieusement bombardée, que les itinéraires que nous suivions ne servent plus à rien : il y a tout simplement trop d'immeubles et de lieux bombardés pour se donner la peine d'éviter certaines rues. […] Donc, une population bombardée, déjà assiégée, avec nulle part où s'enfuir, abattue ou pilonnée tandis qu'elle fuit nulle part, déjà privée de médicaments et de soins médicaux, a maintenant atteint un niveau nouveau de faim, de privation d'eau (70 % des gens sont sans eau) et continue à être psychologiquement traumatisée par les frappes aériennes et les bombardements. Où marcher ? De toute façon, ça n'a pas vraiment d'importance.

Fida Qishta, qui publie sur le blog Sunshine (en anglais) est une journaliste indépendante, documentariste et activiste qui vit à Rafah, au sud de la bande de Gaza [20] :

L'aide humanitaire est toujours un gros problème, dont le manque de médicaments et de nourriture. Le gouvernement israélien dit qu'ils ont ouvert les points frontières pour permettre aux Palestiniens d'aller se faire soigner en Egypte et à l'aide humanitaire d'entrer sur la bande de Gaza. C'est un peu comme le loup qui tue l'agneau pour ensuite vendre sa peau tannée.  Pourquoi ont-ils tiré sur eux s'ils voulaient les garder en bonne santé ? Pourquoi n'ont-ils pas fait cesser les frappes aériennes avant de tuer et de blesser tous ces civils ? Ils disent au monde que les camions de nourriture entrent dans la bande de Gaza. Vous savez combien de camions ? Vous savez que la bande de Gaza est coupée en deux maintenant par l'armée israélienne ? Cela signifie que si l'aide humanitaire arrive par Rafah, elle n'arrivera jamais à Gaza-Ville, car ils ont bloqué la route principale en deux endroits.cela me rappelle le point-frontière Abu Holy [21]qui coupait la bande de Gaza en deux. Avec mes amis, on devait attendre des heures et des heures pour aller à l'université. Et à la fin de la journée, on rentrait chez nous sans avoir pu assister à un seul cours. Notre seul cours était sur l'art d'attendre. Ma mère est assise dans l'entrée de notre maison, elle compte les drones et les avions F16. Je pense que si je lui demandais de compter les frappes aériennes, elle le ferait.

Nader Houella, qui gère le blog collectif Moments of Gaza, publie un billet pour orienter ceux qui souhaitent agir [22].