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Japon : Les intérimaires souffrent de la crise

Catégories: Japon, Action humanitaire, Catastrophe naturelle/attentat, Economie et entreprises, Média et journalisme, Médias citoyens, Travail

Plus de 300 personnes ont passé leurs nuits, entre le 31 décembre 2008 et le 5 janvier 2009, dans un campement de tentes installé à Hibiya Park [1] [en anglais], au centre de Tôkyô. Ce campement a été baptisé [en japonais] 年越し派遣村 [2] (toshikoshi hakenmura, littéralement le “village des travailleurs intérimaires du Nouvel An”). Le campement de Hakenmura était occupé par des travailleurs intérimaires (派遣社員, haken shain), des Japonais, hommes ou femmes, de tous âges, ayant travaillé dans différentes branches d'activité, qui ont vu leurs contrats de travail ne pas être renouvelés ces derniers mois (selon certaines prévisions [3] [en anglais], 85 012 intérimaires devraient avoir perdu leur emploi entre octobre 2008 et mars 2009), en partie à cause de la crise économique mondiale [4] [en anglais], et en partie à cause d'une mauvaise administration [5] [en anglais] de la législation concernant le travail temporaire [6] [en japonais].

Les causes, qui viennent d'être mentionnées ci-dessus, de cette situation, ne sont pourtant pas souvent évoquées par les médias traditionnels japonais. Certains blogueurs ont mis en avant d'autres causes, dénonçant les commissions importantes payées par les entreprises aux agence de travail temporaire. Idaten Tasuke [7](韋 駄天太助), par exemple, qui explique que le système du travail temporaire est basé sur la précarité, souligne que les médias japonais ont montré du doigt le système social sans tenir compte d'autres éléments importants pour comprendre le problème des “intérimaires sans travail” [en japonais] :

毎日メディアで派遣切りのニュースが報道されています。
切実な問題なのでしっかり報道して欲しいと思うが、自分より若い世代が住む場所も失い路上生活に身を落としてしまうのを見ているのは辛い。
しかしながら、メディアは問題にしっかり切り込んでいるのかと疑問も感じる。

Tous les jours les médias nous parlent des intérimaires sans emploi. Puisqu'il s'agit d'un problème brûlant, j'aimerais qu'ils en parlent correctement. C'est très difficile de voir des gens plus jeunes que moi à la rue. Mais je doute que les médias abordent sérieusement ce problème.

[…]

メディアに違和感を感じるのは派遣契約を解除した企業に批判的だが(それはそれで良いのですけど)、何故に派遣会社の責任を問わないのか?
(私の接した情報が偏っているだけですかね?)
企業は派遣会社と契約しているのであって、派遣社員のAさんとは何の契約もしていない。
Aさんに時給何円払うかを決めるのは派遣会社であり、企業は派遣会社との契約で派遣会社に時間極めの人材派遣費用を払います。

La raison pour laquelle je ne me sens pas très à l'aise avec les médias est que, bien qu'ils soient très critiques envers les entreprises qui ont mis fin aux contrats des intérimaires (et je suis d'accord sur ce point), je me demande pourquoi ils ne posent pas également la question de la responsabilité des agences d'intérim ?
(Ou peut-être que cela n'est vrai que dans les médias que j'ai consultés ?)
Les entreprises ont un contrat avec ces agences, mais pas individuellement avec les travailleurs intérimaires.
C'est l'agence d'intérim qui décide du salaire horaire de M. X, et l'entreprise paie les dépenses de personnel à l'agence d'intérim pour le temps travaillé, selon le contrat qu'elle a avec l'agence.

[…]

派遣会社はそれだけ取って、何をしてくれたかと言えば、派遣社員を企業に送っただけです。
[…]
派遣会社が何かトレーニングして送ってくれるかと言えば、そんなものはない。
これだけで(?)、派遣社員が企業に派遣されている限り、毎日(寝ていても?)売上が上がるシステムになっています。
企業が派遣社員を切るなと言われれば、じゃあ派遣社員を頼まないよという話になります。
ボロイ商売、いや、収益性の高いビジネスモデルの派遣会社が批判を受けないのは何故なのか?
派遣社員は安いから使っているのではなく(決して安くない)、ストレートに言えばいつでも契約を切れるから使っているのです。

Le mérite des agences se limite à ça, et pour le dire simplement, ce qu'elles font réellement, c'est juste d'envoyer des intérimaires aux entreprises.
[…]
Sans aucune formation préalable ou rien d'autre.
Sans rien faire d'autre que ça (?), tant que des intérimaires sont envoyés dans les entreprises, leur chiffre d'affaires augmente chaque jour (même si elles dorment). C'est le système.
Si on demande aux entreprises de ne pas licencier d'intérimaires, elles n'auront tout simplement plus recours à eux.
Alors pourquoi ce genre d'activité florissante, un modèle économique hautement lucratif, en fait, n'est-il pas du tout critiqué ?
La raison pour laquelle on emploie des intérimaires n'est pas parce qu'ils ne sont pas coûteux (ils ne sont pas du tout bon marché) mais, à dire vrai, parce qu'on peut se passer d'eux à tout moment.

[…]

景気の良い時は、この奇妙な三角関係(?)はうまく機能します。
今回の問題は、同時期に大量に契約が解除され、派遣会社が派遣社員に次の派遣先を紹介できないという状況だからです。
セーフティネットを強く求められべきは、企業側ではなく派遣会社だと思うのですが、私の接したメディアは派遣先企業の社会的責任を問う声ばかりです。

Quand l'activité économique est bonne, ce fragile triangle [entreprise/agence d'intérim/intérimaire] fonctionne bien.
Mais en ce moment il y a des problèmes parce que beaucoup de contrats ont été annulés au même moment, et les agences d'intérim n'arrivent pas à trouver des emplois dans d'autres entreprises pour les intérimaires.
Je pense que s'il y a une forte demande pour un filet social, on doit l'exiger des agences d'intérim, pas des entreprises. Mais ce n'est pas ce que j'ai entendu dans les médias.

De même, Shino Kichi [8] (篠キチ), qui se base sur son expérience passée de travailleur intérimaire, émet des doutes sur la nature du débat qui a lieu depuis peu sur la question du travail intérimaire [en japonais] :

派遣の問題であまり話題になってるのを見たことがないんですが、派遣会社が取ってる手数料って相当高い気がするんですよ。
トヨタやキャノンはどうか知りませんが、僕が派遣社員をスタッフとして採用したときは35%~40%くらい取られてました。[…]
これを低くすることって議論されないんでしょうか。

C'est la première fois que je vois la question du travail temporaire aussi débattue. Je pense que les commissions prises par les agences sont plutôt élevées.
Je ne connais pas les exemples de Toyota ou de Canon mais, quand j'étais intérimaire, l'agence prenait environ 35-40 % [de l'argent versé par l'entreprise pour l'emploi d'un intérimaire]. […] Pourquoi ne discute-t-on pas de réduire cette commission ?

La nuit du 1er janvier 2009 @ Hakenmura
Le blogueur de Canada de Nihongo [9] (カ ナダで日本語) a pris un reportage sur la vie au village Hakenmura pendant les fêtes comme point de départ d'un billet qui souligne les responsabilités politiques de ceux qui ont permis que tout ça se produise [en japonais] :

予想通り、日比谷公園の「年越し派遣村」には、想定していた人数の倍の300人の派遣切りされた労働者が集まったそうだ。200人分の食事しか用意してい ないということだったので、足りるのかなと不安に思っていたら、やはり、日比谷公園の施設はパンク状態となり、政府は、近くにある厚生労働省の講堂を解放 せざるを得なくなったそうだ。

Comme attendu, environ 300 personnes qui ont eu leur contrat d'intérimaire annulé se sont rassemblées au “village des intérimaires du Nouvel An” à Hibiya Park à partir de la nuit du Nouvel An : c'était le double de ce qu'ils avaient imaginé. Ayant préparé des repas pour 200 personnes, [les organisateurs] ont réalisé qu'ils n'avaient pas assez, et que ce n'était pas assez sûr, car les équipements de Hibiya Park étaient sur le point d'atteindre leur limite, et les autorités ont été semble-t-il obligées d'ouvrir une salle de conférence du Ministère de la Santé et du Travail, qui se trouve à côté.

[…]

今回も、対応の遅れが目立った政府だが、黙っていたら、厚生労働省が「年越し派遣村」のために講堂を解放するどころか何の対策も取ろうとしなかっただろ う。与党の政策の失敗で犠牲になった労働者なのに、派遣切りなんて他人事と思っている政府や与党の下心がよくわかる出来事だった。

On remarque dans cette affaire la réponse tardive du gouvernement, mais si on n'en n'avait pas parlé, je doute que le Ministère de la Santé et du Travail aurait ouvert la salle de conférence, au contraire, il n'aurait probablement pris aucune disposition. Bien que les travailleurs intérimaires soient victimes de la politique désastreuse du parti au pouvoir [le Parti Libéral Démocrate [10]], c'est un bon exemple montrant comment le parti au pouvoir considère au fond de lui-même le “licenciement des intérimaires” comme un problème qui ne le regarde pas.

Au “village du Nouvel An pour les Travailleurs Intérimaires”, 200 bénévoles ont aidé les organisateurs pour la gestion quotidienne de la communauté, distribuant des repas aux sans-abris ou bien leur préparant leur hébergement pour la nuit, etc. L'un de ces bénévoles a tenu un journal [en japonais] de ces journées (avec beaucoup de photos), sur le blog Tone Nikki [11] (とね日記). Le 2 janvier 2009, il notait [12] son sentiment personnel à propos de la couverture du village par les médias japonais [en japonais] :

今日は民主党の菅直人さんもお見えになり、かなり長い時間を使って村民と直接話をしたり、メディアのインタビューに答えていた。[…] メディアは菅さんや「派遣村の村長」の湯浅さんなど有名人の撮影がメインだ。もっと村民や「委員」、ボランティアの状況をレポートすればよいのにと思っ た。カメラマンしか来ておらず、レポーターが来ていないからだと僕は思った。

Aujourd'hui M. Naoto Kan [13] du Minshutô [Parti Démocrate [14]] est venu [au Village] et a passé plusieurs heures à parler avec les sans-abris, à donner des interviews à la presse, etc. […] L'intérêt des médias était principalement tourné vers M. Kan ou M. Yuasa (le reponsable du Village), et d'autres personnalités. J'ai pensé qu'ils auraient mieux fait de parler plus des sans-abris et des “membres du comité”, ainsi que du travail des bénévoles. C'est sans doute parce que seuls des cadreurs sont venus prendre des images, il n'y a eu aucun journaliste.

Plus loin, toujours dans ce même billet du jour, le bénévole rapporte une conversation avec un jeune homme, un ami de M. T (un sans-abri dont il s'occupait), qui lui expliquait la dure réalité de ceux qui sont en situation difficile, surtout les femmes :

Tさんの知り合いの青年(30歳くらい?)とも話をした、派遣切りされかけた後、交渉の末に仕事に戻れたそうだが、彼はネットカフェ難民経験者である。彼 によると若い女性にも同じ状況の人はたくさんいるそうで、その多くが性風俗産業に流れるか個人営業しているということだ。そしてそういう商売ができない人 は明け方のマクドナルドやネットカフェにたくさんいるということだ。そこまでするんだったら親元に戻ったほうがいいのにと僕が言うと、彼は「戻れない人た ちばかりなんですよ。ほとんどの女性がいろいろな事情を持っているから。」と教えてくれた。絶句。。。それじゃ逃げ場がない。

J'ai aussi discuté avec un jeune (autour de 30ans ?), une connaissance de M. T. Après avoir été licencié, à la suite des négociations qui ont suivi, il a semble-t-il réussi à retrouver son travail, mais néanmoins il a eu le temps d'être lui-même un dormeur des cafés Internet [15] [en anglais]. Selon M. T, il y a beaucoup de jeunes femmes dans la même situation. Beaucoup d'entre elles finissent par travailler dans l'industrie du sexe ou par travailler à leur compte. Les jeunes femmes qui ne peuvent pas faire ce genre de travail passent leurs nuits dans les Macdos ou les cafés Internet. Et quand j'ai dit que ces jeunes femmes feraient mieux de retourner dans leur famille au lieu de vivre comme ça, il m'a expliqué qu'il y a “des gens qui ne peuvent pas retourner dans leur famille, car la plupart ont des problèmes [dans leur passé qui les empêchent de retourner dans leur famille]”. Je suis resté sans voix… Dans ce cas, elles n'ont pas d'échappatoire.
id:Photowalker [16] met en ligne sur sa page personnelle sur Flickr de nombreuses photos intéressantes sur Hakenmura et la manifestation des intérimaires [en japonais].