Blogs de Gaza : “Je n'ai pas d'armes. Je me bats en disant la vérité” (mercredi 14 janvier)

[Traduction française mise en ligne jeudi 15 janvier à 03h00]. Dans cette revue des blogs de Gaza du 14 janvier, nous écoutons un chauffeur d'ambulance évoquer ses peurs, nous découvrons l'effet produit par les avertissements diffusés par l'IDF [armée israélienne] sur les stations locales de radio et de télévision – et celui de la perspective de quitter la bande de Gaza, la seule chose qui permette à un travailleur d'une organisation humanitaire de tenir.

 Sharyn Lock, une activiste australienne présente à Gaza, écrit sur son blog Tales to Tell [en anglais] :

Ce soir, mardi, j'ai pu me faire conduire par l'ambulance de S. pour prendre mon tour de garde,  mais le trajet s'est transformé de façon inattendue en convoyage du corps d'un résistant mort. C'était en fait la première fois, durant toutes ses journées, depuis que j'ai commencé à accompagner les ambulanciers, que je voyais un résistant dans mon ambulance. Comme nous n'étions que deux, j'ai aidé S. à charger ce qui restait du corps sur le brancard – et cela ne comprenait pas une tête ou le haut de son torse. J'était contente qu'il fasse sombre, l'obscurité gommait les détails, mais cela m'a aussi rendue très consciente que chacun de nos mouvements dans ce terrain vague, apparemment vide, était surveillé. […] Plus tard dans la nuit, le secouriste E. m'a demandé plus précisément ce que j'avais ressenti en voyant le résistant chahid (martyr). […] Il a commencé à me parler de ses propres sentiments. Il a 36 ans, il est secouriste depuis dix ans. Il a une femme et quatre enfants. Il dit qu'il n'a jamais vu rien d'aussi terrible que ces jours-ci, en tout ce temps. Et il dit que la plupart du temps, il a très peur. Tellement peur, parfois, si la zone est dangereuse, qu'il ne peut presque pas s'obliger à continuer à conduire vers le lieu de l'appel. Il a parlé d'une sortie, durant la nuit où nous avons travaillé ensemble (peut-être croyait-il que j'avais remarqué son hésitation), en disant qu'il a d'abord pensé qu'il n'allait pas y arriver ; il a du s'arrêter, se raisonner pour calmer la peur, puis continuer avec le ramassage, en s'attendant à ce qu'une roquette le fasse exploser à tout moment. Il semble qu'avec la technologie des drônes de surveillance, ils peuvent vraiment vous adresser des roquettes avec votre nom écrit dessus.
[…]
Ce soir, nous sommes allés chercher deux hommes, portant une petite fille de 13 mois. Elle était encore chaude, mais E.B. n'a trouvé aucun poul. Si j'ai bien compris, elle avait des difficultés respiratoires depuis sa naissance, et dans l'attaque à la roquette qui vient d'avoir lieu, sa mère l'a serrée si fort contre elle qu'elle n'a pas pu trouver assez d'air. Je demande plusieurs fois que l'on clarifie cette histoire, car je veux penser que j'ai mal compris.

Le professeur Saïd Abdelwahed, qui enseigne l'anglais à l'université Al-Azhar, (voir nos éditions précédentes) écrit sur le blog Moments of Gaza [en anglais]:

Un médecin m'a dit que des centaines de blessés ne se remettraient jamais et n'auraient jamais une vie normale ! J'ai vu une vidéo qu'une adolescente de 15 ans, les jambes mutilées à partir des genoux, et une autre, avec une seule jambe, et d'autres…La situation sanitaire se détériore, avec la capacité limitée des blocs opératoires et les moyens très limités. Environ 60-70 docteurs des pays arabes et quelques Européens, pour aider les chirurgiens palestiniens, c'est une aide, mais cela n'empêche pas que certains blessés ne peuvent pas être soignés à Gaza, même si on le voulait.… Et treize secouristes et ambulanciers ont perdu la vie durant leur travail : beaucoup d'ambulances ont été visées et touchées, alors qu'ils voulaient sauver les blessés et évacuer les morts ! Ce n'est qu'une suite de points d'exclamation !

Nous reproduisons des extraits des chroniques de Safa Joudeh (voir quelques informations sur Safa Joudeh ici), publiées sur le blog collectif Lamentations-Gaza ; certaines de ses chroniques quotidiennes ont également été publiées sur le blog Syria Comment [en anglais]:

L'armée israélienne (IDF) a infiltré les ondes des radios et télévisions locales. Alors que nous regardons les informations, tout à coup, l'écran devient noir et un message de l'IDF apparaît : “Vous serez témoins du déferlement de notre colère!!”.Nous éteignons la télé et allumons la radio, quelques instants plus tard, le programme est interrompu et une voix dure sort des haut-parleurs : “Quittez votre quartier et rassemblez-vous au centre de votre ville ! Nous vous avertissons pour votre propre sécurité ! Ceci est l'IDF”. Où les gens sont-ils supposés aller ? Ceux qui sont dans le centre d'une agglomération, comme ma famille, sont déjà bombardés, et chaque foyer héberge déjà une ou deux familles qui ont fui leur quartier. Les refuges de l'UNRWA (ONU) sont déjà pleins et les rues ne sont pas sûres. Donc, nous sommes ceux qui sont prévenus, quand, en réalité, nous n'avons pas d'autre choix que de rester là où nous sommes. Beaucoup de gens trouvent qu'il serait plus charitable de ne pas être avertis des morts imminentes. 
[…]
Chez moi, nous accueillons autant de nos parents que possible, qui vivent dans des zones plus dangereuses que la nôtre, comme on peut. Au moment des repas, plusieurs personnes se rassemblent en deux cercles, autour de deux tables, pour manger, tandis que les autres attendent leur tour. Nous mangeons en trois services. Quand il est temps de dormir, certains dorment sur les divans, d'autres sur des chaises et d'autres sur des couvertures, par terre. Au cours des seize derniers jours, comme tous les habitants de Gaza, nous avons appris à vivre avec le confort le plus minimal, et nous avons connu les duretés d'une vie de pauvreté dans toute ses dimensions. Quand les lignes électriques ont été réparées, il y a deux jours, l'électricité et l'eau sont revenus dans nos appartements pendant six heures par jour. A l'instant où l'électricité est revenue dans notre quartier, on pouvait entendre les cris de joie et de réjouissances sortir de chaque maison et appartement à portée d'oreilles, malgré le bombardement en cours.

Mohammed Ali, qui travaille pour l'ONG Oxfam, écrit sur le blog d'Oxfam depuis son domicile à Gaza-ville [en anglais]:

Ce matin, j'ai entendu des gens chanter à l'extérieur, je me suis demandé ce que c'était et puis, les lumières se sont allumées – l'électricité était revenue, hourra ! J'ai immédiatement allumé la télévision, mis mon téléphone portable en charge, lu mes e-mails. Pendant un moment, je me suis senti presque libéré. Ces choses que nous prenons souvent pour dûes sont devenues précieuses dernièrement. Nous n'avons plus d'eau propre. Notre réservoir d'eau est vide. Mon père ne pouvait pas fermer la porte devant le nombre grandissant de personnes qui frappaient avec des jerricans vides. Les magasins n'ont presque plus d'eau : nous n'avons pas pu en trouver dans notre quartier. Nous pouvons utiliser l'eau non potable, mais il faudrait la faire bouillir avant, pour ne pas tomber malade, et là, nous nous trouvons devant un nouvel obstacle : nous n'avons plus que très peu de gaz. Il nous faudra boire de l'eau non potable pour économiser ce qui reste de gaz, pour cuisiner.  A propos, si vous avez jamais cuisiné sur un réchaud à gaz, je peux vous dire que la nourriture prend un gout d'essence, le café a le gout d'essence, même nous, nous sentons maintenant l'essence. […] J'ai fait une demande pour une bourse en Grande-Bretagne, il y a plusieurs mois. J'attendais de savoir fin janvier si ma candidature était retenue ou non. J'attends avec impatience, depuis des jours. […] La perspective de pouvoir aller au Royaume-Uni me donne l'espoir dont j'ai besoin pour vivre. Ma femme pense que je suis fou, car je lui parle comme s'il était sûr que nous partions ; je décris les amis que nous aurons, les restaurants où nous irons manger, les promenades autour des parcs…au moins, si je meurs, je mourrai avec un peu d'espoir, l'espoir de la chance d'avoir une meilleure vie, même si pour l'instant, ce n'est qu'un rêve.  

Adham Khalil, du camp de réfugiés de Jabaliya, qui écrit sur le blog Free Palestine, a publié un article, d'abord paru sur le blog Electronic Intifada, rassemblant les transcriptions de ses textos et appels téléphoniques [en anglais]:

La plupart du temps, nous n'avons pas de courant chez nous. Alors, quand l'électricité revient pendant une heure ou deux, toute la famille s'affaire. Nous rechargeons les téléphones protables, pompons de l'eau pour le réservoir, faisons du pain. Mais j'ai vu tant de choses horribles à la télé que quelquefois, je préfèrerais ne pas avoir d'électricité. Jusqu'ici, ma propre famille est ok, mais cela m'embête de dire ma famille. Tout Gaza est ma famille. Nous souffrons collectivement tandis que nous sommes punis et oubliés collectivement, et tandis que nous mourons. […] Ce n'est pas vrai de dire qu'il s'agit d'une guerre entre le Hamas et Israël. Je suis un témoin à Gaza, et même si vous pensez que Gaza est un pays et le Hamas une grande et puissante armée, ce sont des mensonges. Les factions palestiniennes ne possèdent pas de tanks, d'avions de guerre, ou de bateaux de guerre. Ils ont des roquettes fabriquées à la maison, des armes rudimentaires. Il ne peuvent rien contre la grande et puissante armée d'Israël. Nous vivons sous un siège complet, avec des meurtres quotidiens, et nos maisons détruites. Le Hamas et les autres factions palestiniennes essaient de défendre les Palestiniens des massacres continus, des invasions et des raids aériens. L'occupation israélienne et ses agissements à Gaza sont des actes de terrorisme, comme beaucoups de ses actes et de ses politiques, depuis sa campagne de nettoyage ethnique en 1948. Je n'ai pas d'armes. Je me bats en disant simplement la vérité”.

2 commentaires

  • decembre

    Frères palestiniens,

    C’est terribel de vous lire. Nous compatissons avec votre douleur. Il est terrible pour nous aussi d’être aussi impuissantsdevant votre malheur. Continuez de nous informer, continuez d’espérer. Un ami du Canada.

  • Michel

    Bonsoir,
    voilà plus de deux semaines que je lis ces témoignages effarants, presque en direct… C’est dur à dire et à avaler, mais c’est indispensable et salutaire pour ne pas se laisser bercer par les doux euphémismes des frappes et autres intensification du conflit que nous servent les médias traditionnels.
    Que faire d’ici à part manifester une fois par semaine en descendant à la ville ? (j’habite à la montagne, et une manif’ dans mon village, hein :=)

    Je vais m’attabler tout à l’heure avec mes enfants, au chaud, sans craindre autre chose du ciel que des flocons de neige… je ne sais pas comment leur dire, comment leur faire passer ce que je ressens, ils ont le droit d’être insouciants après tout.

    Habitants de Gaza, je vous dédie notre gratin aux endives et espère que nous pourrons un jour le partager.

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