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Blogs de Gaza : Le jour d'après (dimanche 18 janvier)

Catégories: Israël, Palestine, Guerre/Conflit, Réfugiés, Relations internationales

Le dimanche 18 janvier au soir, les Forces de Défense Israéliennes ont commencé a retirer leurs troupes [1] de Gaza, après trois semaines continues de bombardements. Le retrait unilatéral décidé par Israël avait été annoncé plus tôt dans la journée [1], et le Hamas y a répondu par un engagement de cessez-le-feu d'une semaine, dont voici le texte intégral [2] [en anglais]. Les blogueurs de Gaza, qui pour la première fois depuis des semaines ont pu sortir en sécurité, décrivent les événements de la journée de dimanche.

Le photo-reporter palestinien Sameh Habeeb sur son blog Gaza Strip, The Untold Story [3] :

Des milliers de personnes ont refait surface dans les rues de Gaza. Chacun essaie de découvrir ce qui est arrivé à ses proches, aux maisons et aux quartiers. J'ai photographié des destructions massives dans l'est, le nord, et l'ouest de la bande de Gaza. Les ravages ont touché tout ce qui est nécessaire à une vie normale. Maisons, écoles, hôpitaux, dispensaires, commissariats de police, bureaux des associations humanitaires, universités, et rues sont totalement ou partiellement détruites. 

Sharyn Lock, activiste australienne présente à Gaza, nous a donné des nouvelles [4] sur le blog Tales to Tell [en anglais] :

Vous vous souvenez que j'ai écrit ceci [5] le mercredi 14 janvier au matin :
“Pendant que j'étais là, entendu crier, suis montée dans escaliers, ai découvert le secouriste S., couvert de sang, il venait d'apporter une petite fille de la rue que les snipers avaient blessée par balles au visage et à l'estomac. Nous avons vu son père s'écrouler sur les marches devant l'hôpital, il a été touché aux jambes. La mère paniquait, hurlait qu'il y avait une autre de leurs filles laissée derrière.  S., d'autres secouristes et moi-même sommes alIés la chercher, on l'a trouvée pas loin, S. l'a mise en travers de ses épaules et l'a portée jusqu'à l'intérieur de l'hôpital. Les autres secouristes et moi, on a réalisé qu'ils s'agissait juste du début d'un flot de gens désespérés qui fuyaient leurs immeubles, qui étaient en feu.”
C'était la famille Batran. Faddel al Batran, 54 ans, était touché à la jambe. Yasmine, 12 ans, était la petite fille que nous sommes allés chercher. Haneen, 9 ans, était celle touchée par balles au visage et à l'abdomen : je savais qu'elle avait été amenée directement au bloc opératoire de l'hôpital Al Quds. Aujourd'hui [17 janvier], j'ai appris qu'elle avait été transférée à l'hôpital Al-Shifa, où elle est morte peu après.  

La nuit dernière [16 janvier] ils ont bombardé une autre école de l’UNRWA [6] (ONU), dans laquelle les sans-abris avaient trouvé refuge, à Beit Lahia. Il y a 36 blessés, dont 14 enfants. Deux garçons, âgés de 3 et 8 ans, sont morts. John Ging, le directeur de l'UNRWA, était à la télévision, il était d'une fureur glaciale. Mais alors que je tape ça (je lirai ce texte au téléphone pour qu'on le mette en ligne depuis le Royaume-Uni), une trêve a apparemment commencé. C'est étrangement calme. Chacun veut désespérement croire que cela signifiera quelque chose.

Dans une mise à jour publiée en ligne le dimanche 18 janvier, elle dit [7] :

Les avions bourdonnent toujours au-dessus, mais il n'y a pas eu d'explosions près de moi aujourd'hui. Mais ce prétendu cessez-le-feu du côté israélien depuis 2h du matin ne semble pas inclure le secteur de Beit Hanoun, où il y a eu des bombardements ce matin et où les avions F16 ont attaqué.

Eva Bartlett, une activiste canadienne (voir également nos éditions précédentes [8]), a écrit sur le blog In Gaza [9] :

Aujourd'hui [18 janvier] a été le premier jour où les équipes médicales et les journalistes ont pu se rendre dans les zones occupées par les troupes d'occupation israéliennes. Les Palestiniens de ces coins, depuis des semaines, recherchent désespérement un semblant de vie normale, bien que la normalité, par ici, ne ressemble vraiment pas à la normalité de partout ailleurs. Ils étaient à bout de patience pour rentrer chez eux, évaluer les dégâts et si possible les réparer,  retrouver des proches déplacés, ou leurs dépouilles, ainsi que leurs voisins, leurs amis. Tous ne sont pas rentrés chez eux pour y rester. On en voyait beaucoup qui retournaient où leur maison avait été, s'était dressée, pour récupérer ce qui pouvait l'être. Les chariots à ânes et les taxis débordaient de couvertures, de vêtements, de casseroles, de placards, de meubles, de gens… […] J'ai tellement à dire, tellement de photos qui ne rendent pas justice à la souffrance, aux coeurs brisés, aux traumatismes, aux dégâts psychologiques, au désespoir des gens d'ici. Tellement d'odeurs imprimées dans ma mémoire, qui, quand je les respire, ramènent les images des enfants morts, des maisons brulées, des produits chimiques qui flambent. Les portes qui claquent me rappelleront pour toujours les missiles qui frappent le sol et la vie au-dessous d'eux.  […] Les bombardements se sont peut-être arrêtés, mais pour l'heure, la terreur est toujours là. Les  F-16s volaient toujours très bas, bas à faire peur, aujourd'hui, si bruyants, si imprévisibles. Personne ici n'a aucune raison de croire un mot de ce que les leaders israéliens racontent. Uniquement des raisons de croire au pire. Mais par nécessité, nous devons espérer le mieux.

Mutasharrid (‘sans abri’ ou ‘vagabond’ en arabe) est un étudiant de Khuza'a [10], à l'est de Khan Yunis [11], dans le sud de la bande de Gaza, qui a perdu de nombreux amis [12] :

لا أستطيع أن أغيّب وجوههم عنّي ، وجوه أراها في كل وقت و في كل مكان في هذه البلدة الصغيرة جداً ، لا أستطيع أن أتجاهلك يا سليمان وأنت تتحرك بخفّة محاولاً تجنب النظر إلى نقطة رباطك على ثغر البلدة ، نعم أستطيع أن أميّزك رغم لثامك حينها ، يوميا الساعة الثامنة تماما أراك .. لا أدري ما سرّ هذه الساعة لكن الشباك يكون فيها ملجأي بشكل لا إرادي
نور .. نور ، أيضاً لا أستطيع أن أتجاهل وجهك صباحا في طريقي لمدرستي وأنت لجامعتك ، آخر مرة حدثته فيها كانت قبل أن يحدث هذا كله و سألته كم تبقى لك في الجامعة ؟ أجابني ” هذا الفصل الأخير لأتحرر .. وأتخرج ” ، نِلتَ تخرجك مبكراً يا صاحب الإبتسامة الأوسع ، مبارك لك و عليك يا صديقي
ممدوح .. ممدوح .. ممدوح ، اللعنة ! ماذا أكتب فيك ؟ ولمَ أبدو هذه اللحظة عندما أحاول أن أكتب لك سخيفاً كرئيس دولة في قمة عربية ؟ .. كسرت قلبي يا ممدوح ، كيف لك أن تسرق نفسك منّا ؟ كيف تحرمنا من إبتسامتك و حضورك المازح دوماً .. لن أسامحك ، أؤمن بأنه كانت لديك فرصة لتنجو لكنك آثرت الرحيل ، فرصة لم يحظى بها غسّان [13] مثلا ..
Je n'arrive pas à oublier leurs visages, les visages que je vois partout et dans tous les coins de cette toute petite ville. Je ne peux pas fermer les yeux devant toi, Souleyman, qui te déplace légèrement : j'essaie d'éviter de regarder les endroits où tu tenais ta position, à l'entrée de la ville – oui, je peux te reconnaître, même si ton écharpe te recouvre. Chaque jour, à 8 heures exactement, je te vois. Je ne sais pas quel est le secret de ce moment-là, mais la fenêtre devient mon refuge, même si je ne le veux pas.
Nour… Nour, je ne peux pas ignorer ton visage non plus, le matin, sur le chemin de mon école et toi, celui de l'université. La dernière fois que je lui ai parlé est avant que tout ceci ne commence, et je lui ai demandé, “Il te reste combien de temps à faire à l'université ?”. Il m'a répondu : “C'est mon dernier cours et après je suis libre, je serai diplômé.” Tu as eu ton diplôme en avance, mon ami au grand sourire, félicitations à toi. Mamdouh… Mamdouh… Mamdouh… Merde ! Qu'est-ce que je vais t'écrire ! Pourquoi je pense à ce moment où, pour plaisanter, j'ai essayé de t'écrire comme si tu étais un chef d'Etat lors d'un Sommet des chefs d'états arabes ? … Tu m'as brisé le coeur, Mamdouh – comment tu as pu permettre qu'on te vole à nous ? Comment as-tu pu nous priver de ton sourire et de ta présence, toujours en train de blaguer… Je ne t'oublierai jamais, je crois que tu avais une chance de sauver ta peau, mais que tu as choisi la mort, un choix que Ghassan [13] n'a pas eu, lui…