Blogs de Gaza : “Seuls les morts ont vu la fin de cette guerre” (19, 20 et 21 janvier)

Les habitants de Gaza prennent la mesure des ravages accomplis par trois semaines de raids aériens et d'invasion israélienne et commencent peu à peu à reconstruire leur existence. Certains blogueurs de Gaza s'interrogent sur les cicatrices psychologiques invisibles et les dégâts psychologiques. L'une d'entre eux demande : “Quelle sera la récompense pour se relever et recommencer, une fois de plus ?”

 Sharyn Lock, une activiste australienne présente à Gaza durant toute la guerre (voir nos éditions précédentes), écrit sur son blog Tales to Tell [en anglais] :

Mardi  [20 janv]: J'ai été réveillée aujourd'hui par les tirs d'obus depuis les bateaux de guerre israéliens. Je ne suis pas sûre qu'ils comprennent bien le concept de ce cessez-le-feu, même si, bien sûr, ce n'est rien comparé à ce que ça a été. Dans la zone du port, samedi soir, nous avons eu des tracts largués, qui disaient quelque chose comme :

Israël cessera unilatéralement ses attaques à 2h du matin heure locale le dimanche 18 janvier. Ne vous approchez pas de nous. Ne vous approchez pas des positions du Hamas. Nous n'attaquons pas les civils, uniquement le Hamas…Vous devez savoir que le calme amènera le calme. Vous avez le choix.

Ouais ouais.

Eva Bartlett, une activiste canadienne, écrit [le 20 janvier] sur le blog In Gaza [en anglais]:

Tant de Palestiniens n'ont pas vraiment la possibilité de panser les souffrances et les cicatrices psychologiques. Surtout qu'ils ont enduré des invasions répétées, ainsi que d'autre choses traumatisantes psychologiquement, comme vivre sous occupation militaire, être emprisonné ou avoir des proches en prison, vivre sous un siège, les frontières fermées, pour n'en citer que quelques uns.
Abdoullah, l'un des petit-fils d'Abou N., pleure à peu près tout le temps, quand je le vois. Il était un petit garçon assez déluré de 6 ans quand je l'ai rencontré, il y a deux mois. Maintenant, il semble figé dans les souvenirs des explosions des bombes et le bruit des drones (pour les drones, je peux comprendre ce qu'il éprouve : même maintenant, à près de minuit le 20 janvier, deux jours après le cessez-le-feu, les drones tournent en cercle. Le bruit très particulier que les drones font ici n'est pas un bruit que je peux dissocier des trois semaines de bombardements ciblés et de mort qui l'ont accompagné). Et très probablement, il [Abdoullah] n'aura aucun suivi psychologique pour tout ça, même si sa famille est très attentive, et il aura à porter ce bagage, ainsi d'autres bagages à venir, comme auront à le faire la majorité des gens d'ici. Les aspects les plus visibles de cette guerre contre Gaza sont les cratères énormes, les maisons et immeubles démolis, dans toutes les directions, dans chaque ville et village, les entrepôts, les magasins, les chambres d'hôpitaux, les écoles, les voitures, tous carbonisés…et les membres amputés, les peaux brûlées, les incendies toujours en cours. Mais ces très profondes blessures psychologiques, c'était ce qui était voulu, pour blesser une communauté encore plus profondément qu'avec des ravages matériels.  

Louisa Waugh, qui vivait à Gaza jusqu'à récemment, écrit pour le New Internationalist cet article via le Gaza Blog [en anglais, daté du 19 janvier]:

Mes amis me disent que Gaza est changée pour toujours, en deuil et en ruine, et qu'il n'y a toujours aucune perspective d'ouverture des point-frontières pour que les habitants puissent être libérés de cette prison. “Nous avons tout perdu”, me dit au téléphone Mohammed, un de mes amis du camp de réfugiés de Jabaliya. ‘Tout mon quartier a été détruit. Mais dis-leur, dis-le au monde, nous ne voulons pas de nourriture ou d'argent – nous voulons juste récupérer nos vies, et nous voulons notre liberté.

Vittorio Arrigoni [en français], un activiste italien présent à Gaza, sur son blog Guerrilla Radio [en italien], le 21 janvier :

A Gaza solo i morti hanno visto la fine della guerra. Per i vivi non c'è tregua che tenga alla battaglia quotidiana per la sopravvivenza. Senza più acqua, senza più gas, senza più corrente elettrica, senza più pane e latte per nutrire i propri figli. Migliaia di persone hanno perduto la casa. Dai valichi entrano aiuti umanitari col contagocce, e si ha come la sensazione che la benevolenza dei complici di chi ha ucciso sia solo momentanea.

A Gaza, seuls les morts ont vu la fin de cette guerre. Pour ceux qui ont survécu, il n'y a pas de cessez-le-feu dans la bataille quotidienne pour la seule survie – à cause de l'absence totale d'eau, d'électricité, de pain et de lait pour leurs enfants. Plusieurs milliers de personne n'ont plus de logement. Seule un peu d'aide humanitaire peut filtrer à travers quelques point-frontières, et on a l'impression que la bienveillance des complices des tueurs est seulement temporaire.

Le Professeur Saïd Abdelwahed, qui enseigne l'anglais à l'université de Al-Azhar, à écrit [le dimanche 18 janvier] sur le blog Moments of Gaza [en anglais]:

Toute la communauté de Gaza est déprimée, pour la perte de ces âmes, le chaos, la devastation, les ravages, les morts et l'erradication ! D'énormes dégâts ont été vus dans les champs de culture, dans les maisons des fermiers, et partout autour d'eux ! La dépression, le traumatisme, l'état de choc et la souffrance sont partout chez les civils ! Je suis atterré par l'état psychologique autour de moi ! Partout où les soldats israéliens ont attaqué dans les quartiers d'habitation, ils ont littéralement ravagé les lieux ! Ils ont couvert les murs de graffitis en hébreu, des menaces de mort, des obscénités, des étoiles de David, et ils ont tagué le livre saint du Coran aussi.  

Ghada Al-Najjar travaille pour l'ONG Oxfam à Gaza, et écrit sur Oxfam blog [en anglais, le 20 janvier] :

Depuis deux semaines maintenant, je n'avais pas mis les pieds chez moi. J'ai du fuir après une explosion violente toute proche qui a fait exploser les vitres et cassé les portes. Même si j'avais réparé les carreaux cassés avec du plastique, qu'est-ce qui m'aurait protégée des explosions ? Il fallait que j'essaie de me mettre à l'abri, comme l'a dit ma maman, alors je me suis réfugiée chez des parents. Cela fait un jour qu'il y a le cessez-le-feu et je suis maintenant rentrée à la maison, et je l'ai trouvée en partie détruite. […] (Je) Suis reconnaissante d'avoir été en sécurité à la fin. Malheureusement, pas le cas de toute ma famille. Quatre personnes ont été tuées. […] Dégâts irréparables ont été faits à nos vies. Je peux peut-être remettre des vitres aux fenêtres, mais je ne pourrai jamais faire revenir les morts.

Abou el Sharif écrit sur le blog Shajar El Ba6a6a [en arabe, billet daté du 19 janvier]:

مبدئيا إنتهت الحرب…مش مهم ازا كتنت انتهت لحين و حترجع…بالوقت الراهن وقف الموت و وقف الخوف…
غالبا عدد الزيارات اللي بتجيني علبطاطا رح تقل…مهو خلصت المصايب !!
اليوم نزلت لفة مبدئية على السوق لسة مش مرتاح إنو أبعد…كأنو إعصار ضرب السوق…المحلات مخلعة من مكانها مباني متهدمة و محلات مقصوفة من أصلها…ضايل
منها الفراع اللي كان فيه المحل…
كل اللي كان بالسوق كانو بشتركو بسؤال واحد بتحسو واضح وين ما رحت…
من هادي النقطة : كيف ممكن نكمل ؟
إيش الواحد لازم يعمل عشان تستمر الحياة ؟
و بتهيألي كل واحد بدو يدور على الإجابة بطريقتو…
واحد بكنس الواجهة المكسورة بتاعت محلو…
الناس طوابير على البنك…يمكن شوية مصاري رح تعطي شوية حلول للأسئلة…
حتى الشحاتين كانو مكانهم…
تخيلو…مشاواري بالسوق كان يمكن ساعة..شفت فيهم حادثين سيارات !!
فيمكن هادا هو حل الأسئلة المعقدة هادي…
الكارثة عملاقة و الدمار لسة مش قادرين نتصوروا و الجرح رح يكون غميق و تقيل…
بس حال الدنيا دايما هيك…
مشاكلنا الصغيرة رح تلهينا عن الصدمة هادي…
رح ننصدمها فش مجال…
بس برضو رح ننساها شوي شوي…
مش عارف ايش قاعد بخبص…بس جد الكلام مرتب بعقلي…
و المصيبة إنو منطقي !!
En principe, la guerre est finie…Ce n'est pas important si elle est finie temporairement et si elle recommencera. Pour l'heure, la mort et la peur sont terminées. Les visites des internautes sur Ba6a6a [ce blog] vont diminuer…puisque la catastrophe est terminée!!
Aujourd'hui, j'ai fait un tour de reconnaissance sur la place du marché. Mais je ne me sens toujours pas capable de m'aventurer plus loin. On dirait qu'un cyclone a frappé le marché. Les magasins ont été déplacés et les immeubles ont été complètement détruits, comme les commerces qu'on a fait sauter. Tout ce qui reste est le vide où il y avait les boutiques… Les gens sur la place du marché avaient tous la même question à la bouche, où que l'on aille .
A partir de ce moment, comment pouvons-nous continuer ?
Que pouvons-nous faire pour que la vie continue ?
Et j'imagine que chacun cherche une réponse à sa manière. 
Quelqu'un balayait les débris des vitres cassées dans sa boutique. 
Les gens faisaient la queue devant la banque…Peut-être qu'un peu d'argent leur donnera quelques réponses à leurs questions …
Même les mendiants étaient à leur poste.
Vous y croyez ?…J'étais sur la place du marché pendant environ une heure…et j'ai assisté à deux accidents de voiture !
Peut-être que c'est la solution à ces questions compliquées…
La catastrophe est massive et les destructions sont au-delà de l'imagination et la blessure est très profonde et encombrante… Mais la vie continue comme ça…Nos petits problèmes nous garderont l'esprit occupé, à distance du grand choc qu'il nous faudra soigner… Cependant, nous l'oublierons quand même, petit bout par petit bout …
Je ne sais pas ce que je raconte…mais j'ai les mots bien arrangés dans ma tête…et le plus tragique est que ça sonne logique!!

Laila El-Haddad, [qui vit aux Etats-Unis et] dont les parents sont à Gaza, écrit sur son blog Raising Yousuf and Noor [en anglais, le 19 janvier]:

Il y a un calme étrange à Gaza aujourd'hui, me dit mon père. Pas d'avions F-16 qui déchirent le ciel. Pas d'explosions ravageuses. Il y a le temps de s'écouter penser. Un genre d'anesthésie. Une pause dans cette brutalité démente et calculée  – pour accorder aux [êtres humains]   jetables, en cage, un moment pour réfléchir aux alternatives qu'ils ont  – pour créer l'illusion qu'ils en ont malgré tout.

“Ce siège se poursuivra, jusqu'au moment où nous serons totalement persuadés de choisir, bien sûr en toute liberté, un esclavage désarmé !!”

[…]

“Ils ont tout détruit sur leur chemin – les gens, les immeubles, les rues…rien n'a été laissé intact” a dit mon père. “Tout est calme, pour l'instant. Nous dormons, en ce moment. Mais le siège continue. Et ne vous y trompez pas – Gaza se relèvera.”

Sharyn Lock écrit dans une mise a jour du 21 janvier [en anglais]:

La force des Gazaouis me stupéfie. Aujourdhui, tout le monde était dehors en train de réparer. Refaire des conduites d'eau, déblayer les gravats. Mettre de côté la pensé des enfants qui sont morts, sourire pour ceux qui sont encore vivants. Comment font-ils ? Où trouvent-ils le courage ? Et quelle sera leur récompense pour se relever et continuer ?

MaRiAm, qui écrit sur le blog A World Called Contradiction [en arabe] (عالم عنوانه التناقض), reproduit un dicton [le 20 janvier]:

“نحن كمسمار كلما طرقته زاد ثباتاً”
Nous sommes comme un clou : chaque fois que vous tapez dessus, il devient plus solide.

Sharyn Lock a mis en ligne des photos de la zone dévastée de Azbet à Jabaliya ici. Lina Al Sharif, qui publie sur le blog360 km2 of chaos [en anglais], a mis en ligne des vidéos qu'elle a tournées pour enregistrer son témoignage, que l'on peut visionner ici.

2 commentaires

  • Mr anick Roschi

    Deux Acrostiches pour la Paix:

    Impossible la vie
    Sans
    Revenir
    À l’
    Echo des
    Lumières
    Et
    Perdue la vie
    Aux douleurs des
    Larmes
    Exilées
    Sur une
    Terre murée,
    Isolée,
    Niée,
    Encore abandonnée.

    Impossibile la vita
    Senza
    Ritornare
    All’
    Eco delle
    Luci
    E
    Perduta la vita
    Ai dolori delle
    Lacrime
    Esiliate
    Su una
    Terra murata,
    Isolata,
    Negata,
    Ancora abbandonata.

    Mr.Anick Roschi le 11.01.09

    **

    GAZAGAZA

    Per il grande teatro della memoria…….

    Guardare
    Al cielo la stella,
    Zitta,
    Appuntata a questo nuovo
    Ghetto
    Al odore dello
    Zolfo delle nostre memorie
    Addormentate.

    Regardez
    Au ciel l’ étoile,
    Silencieuse,
    Epinglée à ce nouveau
    Ghetto à l’odeur du
    Soufre de nos mémoires
    Endormies.

    **
    Mr.Anick Roschi le 17 .01 . 09

  • […] A Gaza, seuls les morts ont vu la fin de cette guerre. Pour ceux qui ont survécu, il n’y a pas de cessez-le-feu dans la bataille quotidienne pour la seule survie – à cause de l’absence totale d’eau, d’électricité, de pain et de lait pour leurs enfants. Plusieurs milliers de personne n’ont plus de logement. Seule un peu d’aide humanitaire peut filtrer à travers quelques point-frontières, et on a l’impression que la bienveillance des complices des tueurs est seulement temporaire. fr.globalvoicesonline.org/2009/01/22/1588/ […]

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