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L'Italie en effervescence après le refus du Brésil d'extrader Cesare Battisti

Catégories: Amérique latine, Brésil, Italie, Dernière Heure, Droit, Médias citoyens, Réfugiés, Relations internationales

Les Italiens continuent de débattre autour de la décision controversée prise par le gouvernement brésilien [1] garantissant l'asile politique à Cesare Battisti [2] – reconnu coupable de crime – et ce en dépit d'une demande d'extradition émise par le ministère des Affaires étrangères italien.

La décision de lui accorder l'asile est en ce moment même examinée [3] [en italien] par la Cour suprême du Brésil. En Italie, Battisti a été jugé et condamné par contumace à la prison à vie pour une série de crimes, dont des assassinats, commis dans la péninsule italienne à la fin des années 70. Il était alors membre du groupe d'extrême-gauche Les Prolétaires armés pour le communisme [4].

Battisti s'est évadé de sa prison italienne en 1981 et a alors fui vers la France, où il a fondé une famille et démarré une carrière de romancier. En 2002, il rejoint le Brésil, avec l'aide présumée des services secrets français [5][en italien]. Cinq ans plus tard, en 2007, il est arrêté à Rio de Janeiro pour être entré dans le pays avec un faux passeport et est actuellement en prison à Brasilia.

Un fugitif qui tente d'échapper à la justice?

En Italie, l'affaire a fait la une de la plupart des médias ces deux dernières semaines et la cybersphère locale est en proie à des discussions pour le moins animées. La plupart des Italiens s'exprimant sur internet semblent être favorables à l'extradition de Battisti [6][en italien] et critiquent sévèrement la décision brésilienne.

Sur le blog collectif Atomo del Male, le blogueur Il gorgonauta écrit [7] [en italien]:

Un rifugiato politico secondo wikipedia è chi è fuggito o è stato espulso a causa di discriminazioni politiche, religiose o razziali dal proprio Paese e trova ospitalità in un Paese straniero. Peccato che questa definizione non calzi molto alla situazione attuale: uccidere un macellaio o un poliziotto è un delitto politico? Una rapina è politica? Battisti è stato condannato per degli omicidi o delle opinioni? E l’Italia lo vuole per discriminarlo politicamente o per eseguire un condanna? Ma forse in Brasile hanno una giustizia tutta loro e l’imbelle ministro vive in mondo tutto suo.

D'après Wikipédia [8], un réfugié politique est quelqu'un qui a fui ou bien a été expulsé de son propre pays pour des raisons politiques, religieuses ou raciales et qui est accueilli par un pays étranger. Dommage qu'une telle définition ne s'applique pas vraiment à la situation actuelle: est-ce que tuer un boucher ou un policier est un crime politique? Le vol est-il une action politique? Battisti a-t-il été condamné pour ses meurtres ou ses opinions? Peut-être que les Brésiliens ont une conception particulière de la justice et que ce lâche de ministre vit dans un monde à part.

Sur son blog, Gery Palazotto soutient [9] [en italien] que les intellectuels défendant Battisti comme l'un des leurs sont malavisés:

Il terrorismo ha fatto in Italia quasi 350 morti e circa 750 feriti (cifre dell’Associazione vittime del terrorismo). Le pallottole sono di piombo e, anche se accompagnate da una citazione filosofica, da una frase di Bernard-Henri Lévy o da una semplice preghiera, generalmente uccidono. Gli ideali non sono né giubbotto antiproiettile né lasciapassare.

Le bilan des années de terreur [10][en anglais] semée par le terrorisme en Italie s'élève à 350 morts et près de 750 blessés (selon l'Association des victimes du terrorisme). Les balles tirées étaient en plomb et même accompagnées d'un communiqué philosophique, d'une déclaration de Bernard-Henri Lévy ou d'une simple prière, elles ont quoiqu'il en soit tué des gens. Aucun idéal ne peut être pris pour un gilet pare-balles ou un quelconque laissez-passer.

La France également montrée du doigt:

Plusieurs personnes critiquent le comportement passé de la France. Après avoir lu une lettre récemment écrite par Battisti  [11][en italien] et dans laquelle il dit que “les services secrets français m'ont aidé à fuir vers l'Amérique latine”, l'auteur du blog Il Jester montre du doigt les gouvernements français et brésilien [12][en italien], car chacun:

…permettono e hanno permesso che un assassino resti libero e si goda la vita come premio per quel che ha fatto e causato: morte e dolore. Vorrei proprio che Mr. Lula e Sarkozy spiegassero (…) a chi ha sofferto la scomparsa insensata dei loro cari: “I vostri compianti sono morti per causa di un ideale politico di un uomo. Lui non ne ha colpa. (…)”
Una vergogna! E l’Italia non solo non dovrebbe giocare la partita con un Brasile che ha davvero poco di amichevole, ma dovrebbe persino protestare sonoramente contro una Francia che si è sempre rivelata poco amica del nostro Paese (…)

….permet ou a permis à un meurtrier de rester libre et de profiter de la vie, ce comme en récompense de ses actes et de leurs conséquences: semer la mort et engendrer la douleur. J'aimerais vraiment bien voir Messieurs Lula et Sarkozy expliquer (…) à ceux qui ont subi la perte absurde de leurs proches quelque chose comme: “Ceux que vous aimiez sont mort à cause des idées politiques d'un homme en particulier. Mais celui-ci n'est pourtant pas coupable…” Quel déshonneur! L'Italie ne devrait d'ailleurs pas accepter de jouer un match de football avec un Brésil témoignant de si peu d'amitié, mais devrait en revanche déposer d'officielles et fortes protestations à l'encontre de la France, qui n'est même pas capable de se comporter en ami de notre pays… 

Le blogueur fait ici référence à une rencontre amicale devant opposer l'Italie au Brésil le 10 février prochain à Londres. Plusieurs grands titres de la presse ont réalisé des sondages sur le sujet : A la question “Devons-nous jouer le match contre le Brésil?”, une majorité des sondés (59 à 62 %) continuent de répondre “oui”, alors que le ministre italien de la Défense Ignazio La Russa [13]prône le boycott public de la rencontre – alimentant ainsi d'âpres discussions.

Peu d'internautes défendent Battisti

Il existe une quarantaine de groupes sur Facebook supportant l'idée d'extrader Battisti et le plus populaire d'entre eux,  Cesare Battisti deve tornare in Italie per scontare l'erstolo [14] (Cesare Battisti doit rentrer en Italie afin de purger sa peine de prison à vie) [en italien] rassemble plus de 20 000 membres.

L'un des deux seuls groupes défendant son droit à la liberté, Liberta per Cesare Battisti [15] [15](Liberté pour Cesare Battisti) [en italien], accuse les médias d'exploiter l'affaire:

Crediamo si tratti dell'ennesimo capro espiatorio, del mostro (creato da pennivendoli e strumenti di disinformazione) da dare in pasto per placare la sete di giustizia. A qualcuno ovviamente fa comodo che gli italiani, invece di indignarsi per le ingiustizie sofferte quotidianamente, ingiustizie di natura economica e sociale, si indignino per fatti di 30 anni fa, che non hanno nessun impatto sulla loro esistenza.

Nous sommes persuadés qu'il s'agit ici d'un autre bouc émissaire, d'un nouveau “monstre” (créé par de médiocres journalistes et lié à une stratégie de désinformation) que l'on jette en pâture au peuple afin d'apaiser sa soif de justice. Visiblement, quelqu'un préfère voir les Italiens scandalisés par des événements datant de 30 ans – et qui n'ont aucun impact aujourd'hui sur leur vie quotidienne – plutôt qu'indignés par les injustices économiques et sociales actuelles.

De la même manière, Titus estime sur le blog Selvas [16] [en italien] que cette affaire est utilisée par le gouvernement italien (centre-droit) comme “une incroyable arme de distraction massive”, détournant l'attention de la crise économique. Parallèlement, un autre blog dédié à la littérature et aux brèves de comptoir, Carmilla On Line [17][en italien], a mis en ligne un très détaillé FAQ (frequently asked questions) sur l'affaire Battisti [18][en italien]. L'une des réponses donne les raisons pour lesquelles son procès ne fut pas juste, avançant notamment l'utilisation présumée de la torture pour extorquer des aveux.

Sur son blog Panni di piombo [19][en italien], un ancien membre d'un groupe armé, Mario Ferrandi, met en avant une affaire du même type mais dans laquelle l'Italie joue un rôle opposé :

Il “nostro Cesare Battisti” è uruguayano, anche se da qualche anno ha la nazionalità italiana. Si chiama Jorge Troccoli. (…) È stato capitano dei Fucilieri Navali dell’Uruguay, ed è accusato di aver fatto sparire un numero imprecisato di persone nel suo Paese tra il 1975 e il 1983. Tra questi sei cittadini italiani. Il governo Berlusconi, nel settembre scorso, ha respinto la sua richiesta di estradizione.

“Notre Cesare Battisti” est d'origine urugayenne, même s'il  a obtenu la citoyenneté italienne il y a quelques années. Il s'appelle Jorge Troccoli. (…) Il était fusilier marin en Uruguay et est accusé d'être impliqué dans la disparition d'un certains nombre de personnes, parmi lesquelles six ressortissants italiens, dans son propre pays entre 1975 et 1983. En septembre dernier, le gouvernement Berlusconi a rejeté la demande d'extradition formulée par l'Uruguay à son encontre.

Vous trouverez également sur Global Voices des avis de blogueurs brésiliens  [1]sur la demande d'extradition italienne.

 Mise à jour (05/02) : La Cour suprême fédérale brésilienne a estimé hier  que l'actuel statut de réfugié politque dont bénéficie Battisti ne doit pas stopper ni empêcher une procédure de demande d'extradition. La situation reste pour l'essentiel inchangée : les juges et les hommes politiques ont des opinions opposées, mais en fin de compte, la décision est entre les mains du gouvernement brésilien.

Ce billet a été écrit en collaboration avec Stefano Ignone [20].