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Brésil : L'héritage de Chico Mendes, 20 ans après sa mort

Catégories: Amérique latine, Brésil, Economie et entreprises, Environnement, Histoire, Manifestations, Médias citoyens

“No começo, pensei que estivesse lutando para salvar seringueiras, depois pensei que estava lutando para salvar a floresta amazônica. Agora, percebo que estou lutando pela humanidade”

“D'abord, je croyais que je me battais pour sauver les hévéas, puis, je croyais me battre pour sauver la forêt d'Amazonie. Maintenant, je réalise que je me battais pour l'humanité”.  – Chico Mendes [1]

 

Le 15 décembre 1944, Francisco Alves Mendes Filho, mieux connu comme Chico Mendes [1] naissait à  Xapuri, dans l'état d'Acre [2], au Brésil. Seringueiro (récolteur de latex, en portugais), syndicaliste, écologiste, il ne s'est pas seulement battu contre la déforestation et les brulis des éleveurs de bétail en Amazonie – qui est toujours un problème grave dans cette zone. Il a également fondé le Syndicat national des récolteurs de latex, pour protéger leur profession, il a été un dirigeant en vue, un précurseur qui a parlé avant l'heure de développement durable pour la forêt, un membre important du Parti des Travailleurs [3] (PT).

Le 6 décembre 1988, durant un séminaire sur l'Amazonie organisé par l'université de  São Paulo, Chico Mendes a prononcé un discours célèbre, dont les derniers mots étaient malheureusement prémonitoires [4]:

“Je ne veux pas de fleurs, parce que je sais que vous les cueillerez dans la forêt. La seule chose que je désire, c'est que ma mort aide à mettre un terme à l'impunité des meurtriers protégés par la police de l'état d'Acre. Depuis 1975, ils ont assassiné plus que cinquante personnes dans les zones rurales. Des représentants seringueiro, comme moi, avons tout mis en oeuvre pour sauver la forêt amazonienne et pour prouver que le progrès sans destruction est possible.

Après avoir été emprisonné, condamné à des amendes et menacé pour ses activités durant la dictature au Brésil, Chico Mendes a été assassiné d'une balle dans la poitrine en sortant de chez lui, au soir du 22 décembre 1988 – une semaine après son quarante-quatrième anniversaire  – par Darcy Alves de Silva, fils de l'exploitant Darly Alves de Silva, qui déforestait une zone destinée à devenir un parc naturel.

Vingt ans plus tard, lesseringueiros [5] d'aujourd'hui et les blogueurs lui rendent hommage et refont souffler l'esprit de résistance pour défendre la forêt amazonienne, en rappelant une vie de combats en faveur des tribus amazoniennes, combat inachevé. Altino Machado [6] [en portugais] a toujours consacré des billets de son blog à Chico Mendes. Le jour du vingtième anniversaire de la disparition de Chico Mendes, il a publié une lettre de sa fille, Elenira Mendes :

Infelizmente, ainda continuamos apenas sonhando em busca de uma sociedade melhor. Já se passaram 20 anos desde aquela noite, quando o vi pela ultima vez, se debatendo no chão, tentando nos dizer, a mim e minha mãe, algo que nunca saberei exatamente o que era.
Pai, tenha a certeza de que sua luta não foi em vão. Os seus sonhos já não são somente seus. São também meus e de todos os que ainda acreditam nos seus ideais.
Você ainda é a vanguarda da esperança da Amazônia e do nosso amado Acre.

Malheureusement, nous ne faisons toujours que rêver d'une société meilleure. Vingt ans ont passé depuis cette nuit, quand je t'ai vu pour la dernière fois, secoué de soubressauts sur le sol, essayant de nous dire , à ma mère et moi, quelque chose que nous n'avons jamais vraiment saisi. Père, sois bien sûr que tu ne t'es pas battu en vain. Tes rêves ne t'appartiennent plus qu'à toi. Ils sont aussi les miens, et ceux des personnes qui croient toujours dans tes idéaux.

Tu es toujours le messager d'espoir pour l'Amazone et notre bien-aimé Acre.

Chico et Elenira Mendes, photo du Chico Mendes Committee [7]

Le blog Babel das Artes [8] [en portugais] écrit que la cause pour laquelle Chico Mendes a vécu, combattu, et est mort, brûle toujours, bien que lui ait été oublié par beaucoup au Brésil.

O seringueiro Francisco Alves Mendes Filho, o Chico Mendes, defendia o direito à exploração dos recursos naturais, mas sem seu esgotamento. A preocupação com o desenvolvimento sustentável, duas décadas depois de sua morte ainda são necessárias e urgentes.
A luta contra a transformação da floresta em pasto para criação de gado, intensificada a partir do fim da década de 1970, deu visibilidade aos seringueiros do Acre, que liderados por Chico Mendes formavam barreiras humanas para impedir o trabalho das motosserras. Sua figura e suas ações — mais evidentes e comentadas no exterior do que aqui no Brasil — chamaram a atenção da imprensa mundial. Como consequência, em 1987, foi o primeiro brasileiro a receber o prêmio Global 500, da Organização das Nações Unidas (ONU).

Le seringueiro Francisco Alves Mendes Filho, connu aussi comme Chico Mendes, a défendu le droit d'exploiter les ressources naturelles sans les épuiser. Il est toujours aussi nécessaire et urgent de prêter attention au développement durable, vingt ans après sa mort.
Le combat contre la transformation de la forêt en pâtures pour le bétail, qui s'est intensifié à la fin des années 70, a fait connaître les seringueiros d'Acre qui, conduits par Chico Mendes, ont formé des chaînes humaines pour barrer la route aux scies. Sa figure, et ses actions – plus connues et commentées à l'étranger qu'ici au Brésil – a attiré l'attention des médias internationaux. C'est pour cela qu'en1987 il a été le premier Brésilien a recevoir le Prix Global 500 des Nations Unies.
“Chico Mendes vit !” Image du Chico Mendes Committee, qui propose une interview de lui traduite en anglais [9], publiée en 1988, l'année de sa mort. 

Cândido Cunha [10] [en portugais] a publié sur son blog un texte élaboré, présentant sa mort dans un contexte plus large. Pour lui, la forêt amazonienne n'existe que grâce à ses habitants (note de la traductrice : les tribus indiennes), une population culturellement différente, à qui nous devons l'entretien de la forêt amazonienne, dont ils tiraient leur subsistance sans la détruire. 

A morte de Chico Mendes em 1988 significou que na luta de concepções territoriais distintas não estava em disputa “ecologistas” contra “desenvolvimentistas”, mas os povos da floresta contra a expansão capitalista sobre a Amazônia. Não eram homens “bonzinhos” e “conscientes” agarrados misticamente a árvores contra “bárbaros” pecuaristas ávidos por lucrar em cima da floresta derrubada. Eram campesinos florestais contra capitalistas; trabalhadores autônomos de antigos seringais contra a “Sociedade Anônima”; os “excluídos” e esquecidos pelo Estado contra os incentivos fiscais deste mesmo Estado. Portanto, uma luta de classes. A transformação de Chico Mendes em “mártir da ecologia” serviu de alerta para o que vinha acontecendo em regiões remotas do Brasil e sem dúvida deu um novo olhar para a Amazônia. Contudo, não é forçoso dizer que houve um esvaziamento do conteúdo classista da luta, em especial com a espetacularização de sua morte ao mesmo tempo em que outros aspectos da luta eram sintomaticamente obscurecidos.

La mort de Chico Mendes en 1988 signifie que le combat entre des mentalités différentes autour de ce territoire n'étaient pas entre “partisans du développement” et “écologistes”, mais entre gens de la forêt et  développement capitalistique de l'Amazone. Ceux-ci n'étaient pas des personnes “gentilles” et  “inspirées”, des mystiques qui s'accrochaient aux arbres contre les exploitants “barbares” avides de profits forrestiers. Ils étaient des paysans de la forêt contre les capitalistes, des travailleurs indépendants du commerce du caoutchouc contre la “corporation”, les “exclus” et les oubliés de l'état, contre les bonus fiscaux de ce même état.  Ainsi, c'était une lutte de classes. La transformation de Chico Mendes en “martyr écologiste” a permis une prise de conscience de ce qui se passaient dans des régions lointaines et ignorées du Brésil, et a sans aucun doute apporté une nouvelle perspective sur l'Amazone.  Mais il n'est pas exagéré de dire que l'aspect de lutte des classes a été effacé. La dramatisation de sa mort a diminué d'autres aspects du combat.

Selon le blog de vigilance Catholic Land Pastoral [11], plus de 1 100 militants, petits paysans, juges, prêtes, travailleurs des zones rurales ont été tués dans des conflits autour de la préservation des terres amazoniennes depuis le meurtre de Chico Mendes. Aucun des meurtriers n'est actuellement en prison.  La destruction de la forêt amazonienne continue. L'outil de cartographie du gouvernement brésilien témoigne que les terres boisées partiellement détruites, en 2008, ont connu une augmentation de 66 pour cent par rapport à 2007. Les meurtriers de Chico Mendes, Darly et Darcy Alves de Silva, ont été condamnés et emprisonnés. Ils se sont échappés quelques années plus tard, ont été arrêtés et incarcérés à nouveau. Darly a depuis été libéré pour raisons de santé. Darcy est toujours en prison. Pedro Vicente Costa Sobrinho [12] [en portugais], qui a eu la possibilité de rencontrer et d'interviewer Chico Mendes, estime qu'une justice à moitié rendue, dans ce cas, ne durera pas longtemps :  

Os mandantes e assassinos de Chico Mendes não esperavam o clamor que suscitou a sua morte. De todos os recantos do planeta se pediu justiça, punição para os criminosos. Os mandantes e coniventes ficaram impunes. Os criminosos diretos foram presos e julgados, mas poderão a qualquer momento estar soltos. Confiam na falta de memória do povo brasileiro e na impunidade reinante no país.

Les commanditaires et les hommes de main du meurtre de Chico Mendes ne s'attendaient pas à l'émotion qu'à soulevé sa mort. De tous les coins de la planète, des gens exigeaient justice et que les meurtriers soient punis.  Les commanditaires et leurs sbires n'ont pas été punis. Les hommes de main ont été arrêtés et jugés, mais ils peuvent être libérés à tout moment. Ils font confiance au manque de mémoire des Brésiliens et à l'impunité dont ils jouissent dans leur pays.
Marcelo Grossi [13] [en portugais] s'interroge :

Assassinado em 22 de dezembro de 1988, Chico Mendes, analfabeto até os vinte anos de idade, escreveu mais um capítulo da tragédia fundiária brasileira. Quanto vale a vida humana e quanto custa a terra?

Assassiné le 22 décembre 1988, Chico Mendes, qui ne savait pas lire ou écrire jusqu'à sa vingtième année, a écrit un autre chapitre de la tragédie de la terre au Brésil. Combien vaut une vie humaine, et combien vaut un morceau de terre ?

Chico Mendes a commencé à travailler comme seringueiro à l'âge de 9 ans. Photo du Chico Mendes Committee [7]

Le 10 décembre 2008, le bureau des amnisties du Ministère brésilien de la Justice a concédé un pardon posthume à Chico Mendes. L'Etat a de son côté demandé pardon pour les persécutions qu'il a subi sous la dictature pour “incitation aux désordres et aux crimes”.