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Monde arabe : En deuil de l'écrivain soudanais Tayeb Salih

Catégories: Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Liban, Maroc, Soudan, Yémen, Arts et Culture, Littérature, Médias citoyens

Le monde arabe est en deuil après le décès [1] du romancier soudanais Tayeb Salih [2].

L'écrivain, âgé de 80 ans, qui est mort à Londres, était surtout célèbre pour son roman Saison de la migration vers le Nord, élu [3] (anglais) roman arabe le plus important du Xxe siècle par l'Académie littéraire arabe, à Damas. Les obsèques [4] (anglais) nationales de Tayeb Salih ont eu lieu à Om Durman, au Soudan, en présence du Président soudanais Omar Al Bachir.

La nouvelle de sa mort est rapidement parvenue aux blogs et forums en ligne arabes, sur lesquels des blogueurs qui l'ont rencontré, et d'autres qui s'apprêtaient à le faire, ont rendu hommage à l'écrivain.

Le soudanais  Tajooj2 [5], qui vit en Arabie saoudite, écrit :

فإنّ عبقريّ الرواية الرائع الطيب صالح .. قرّر الهجرة اليوم ، ومضى

لندن كانت شاهدة الحدثْ ، والموسم للهجرةِ إلى الشمال ، تحوّل للموسمِ للهجرةِ إلى السماء !
Le romancier de génie Tayeb Salih a décidé d'émigrer aujourd'hui et Londres a été le témoin de l'événement !
La saison de la migration vers le Nord est devenue la saison de la migration au paradis.

Tajooj2 poursuit :

ه همومه العربيّة الإفريقيّة ، السياسيّة الاجتماعية ، كانت تحاصر كلّ أحرفه ، هذا الخروج من الإفريقي ، ومرحلة اللادخول العربي ، أتعبته كثيرا ، وكتب عنها أكثر. للسودان أن تفرح كثيرا ، بهذا الابن “الضال” الذي هاجر حيّا وميّتا !
مات درويش قبل ثمانية أشهر بهيوستن ، وكرّر عين الفعلة الطيّب ، ومن قبلهما تدور قائمة المصحّات الغربيّة بأسماء الكثيرين من مبدعين عرب ، يمارسون المنفى حياةُ وموتا ، هل قدر العربيّ المبدع كذلك .. لست أدري !
Ses préoccupations étaient africaines et arabes, sociales et politiques, et elles enveloppaient tous ses mots. [Cette situation où l'on] cesse d'être africain, sans arriver pour autant à devenir arabe, a été le thème de son travail, et il a beaucoup écrit là-dessus. Le Soudan peut se réjouir de ce fils «perdu», qui a émigré à la vie à la mort.
[Le poète palestinien Mahmoud] Darwich est mort huit mois avant lui à Houston, Tayeb Salih a fait de même, et avant eux, de nombreux hôpitaux occidentaux ont regorgé des noms d'intellectuels arabes qui ont choisi l'exil, morts ou vifs. Est-ce là le destin des intellectuels arabes ? Je l'ignore.

Sur Salih,Fadhul Al Naqeeb [6] [Ar] le yéménite écrit :

«الطيِّب» نِسْمَةٌ عَطِرَةٌ في حياتنا كالربيع، ومُنذُ أن قرأناه في رائعته «موسم الهجرة إلى الشمال» انعقدت بيننا وبينه عُرى صداقةٍ عميقة، ومُروج محبَّةٍ شاسعة، ووشائج ثقافةٍ مُمتدَّة، فقد جاءنا بالنيل السُّوداني محمولاً في مُهَجٍ من الحكايات الرائعة ووشائج من العلاقات الإنسانية الدافقة بلُغةٍ باذخةٍ بالغة الأناقة كأنَّها مكسوَّةٌ برقائق الذهب ومُضمَّخةٌ بالزعفران وأجود عُطور جزيرة العرب.

Al Tayeb était dans notre vie une brise printanière parfumée. Depuis la lecure de sa merveille «Saison de la migration vers le Nord», un profond lien d'amitié s'est tissé entre nous et de vastes paturages d'amour et de relations culturelles illimitées se sont ouverts. Il nous est venu du Nil soudanais, riche d'histoires extraordinaires et d'engagements humanitaires, qu'il narrait dans une langue élégante, comme s'ils avaient été chamarrés d'or et amplifiés par le safran et les meilleurs parfums de l'Arabie.

Le blogueur écrit plus loin :

وداعاً أيُّها «الطيِّب صالح»، وسيبقى طِيْبُكَ ما بقي الحرف والقلم.

Adieu, Al Tayeb Salih. Tes bienfaits continueront aussi longtemps qu'il existera des lettres et des plumes pour les écrire.

Le Libanais Dr. Assad Abou Khalil, qui blogue sur The Angry Arab [7] (anglais), rend un hommage approprié et écrit sur l'oeuvre de Salih et sa rencontre avec lui :

Le romancier soudanais Tayib Salih est mort. J'ai appris cette nouvelle avec une grande tristesse. J'ai lu sa Saison de la migration vers le Nord (disponible dans une excellente traduction anglaise supervisée par Salih lui-même) à l'université et en ai été influencé. Ce n'est pas son style en arabe qui m'a affecté, mais ses thèmes : la colère et même l'agressivité. J'ai été assez perturbé par l'agression sexuelle et je n'arrivais pas à comprendre pourquoi Salih utilisait cet élément, mais ensuite j'ai compris que c'était 1) une métaphore des rapports des Arabes avec les colonisateurs, même si je n'aimais pas l'utilisation du sexe comme arme ; 2) à moitié auto-biographique. J'ai rencontré Salih dans les années 80, et personne n'aurait pu être plus pacifique, doux et gentil. Je l'ai immédiatement aimé. J'ai déjà dit que certains des intellectuels les plus impressionnants et les plus raffinés que j'ai rencontrés viennent du Soudan. Je ne sais comment l'expliquer : le Soudan est un endroit qui déborde d'idées. Souvenez-vous, dans les années 60, le parti communiste soudanais était l'un des plus gros partis politiques du continent.
Les Soudanais aim[ai]ent les idées et les débats, jusqu'à ce que le dictateur Jaafar An-Nuayri, soutenu par les Américains, ait eu le feu vert pour imposer sa version de l'Islamisme (avec l'aide du brillant mais dangereux Hassan Tourabi), en échange de l'ouverture du pays aux entreprises et au renseignement américains, et du retour des Falashas. Les Soudanais se sentent à l'aise dans la sphère des concepts et sont capables de mener une discussion d'une manière différente de la nôtre au Machrek [Proche-Orient] : nous finissons par crier et nous échauffer, tandis qu'eux peuvent débattre pendant des heures en sirotant et en grignotant, dans le plus grand calme. Je sais, je me lance dans des généralisations culturelles, mais je m'accorde – moi, et non l'Homme Blanc – ce privilège. J'ai vu une fois Tayib Salih à Washington DC, grâce à son ami Halim Barakat. Avec Halim Barakat, Hicham Charabi et le critique littéraire arabe Kamal Abou Dib, je suis allé l'écouter. Salih (un des meilleurs causeurs que j'aie connus) […], était extrêmement intéressant et amusant.

Un autre auteur, la Marocaine Laila Lalami [8], qui vit aux Etats-Unis, a elle aussi été  émue par la nouvelle. Elle écrit (anglais) :

J'ai été extrêmement attristée d'apprendre que le grand romancier, nouvelliste et critique littéraire soudanais Tayeb Salih est décédé hier à Londres. Il avait quatre-vingts ans. Il y a quelques mois, quand je préparais ma préface à la nouvelle édition [9] de Saison de la migration vers le Nord, j'avais envisagé de me rendre à Londres pour l'interviewer. Mais ensuite, la vie s'est mise en travers : j'étais très occupée et je me suis dit que je pourrais le rencontrer à un autre moment. Ce moment n'est jamais venu. Il n'a publié qu'une poignée de romans, mais chacun avait autant de beauté et de complexité que des dizaines d'oeuvres littéraires.

Sudanese Optimist [10] est affligé par la nouvelle, et écrit (anglais) :

Le Soudan a perdu un compatriote précieux, qui a apporté une formidable contribution à la littérature soudanaise et arabe. Son oeuvre la plus acclamée est son roman de 1966 «Saison de la migration vers le Nord.» Ce roman a été, à un moment, censuré au Soudan pour avoir inclus des scènes sexuelles, et pourtant il a été proclamé «roman arabe le plus important du XXe siècle» par l'Académie littéraire arabe, dont le siège est à Damas, en Syrie.

Il y a quelques mois, l'Union générale des écrivains soudanais avait demandé que Al Tayel Salih soit inscrit sur la liste préliminaire pour le Prix Nobel de littérature 2009.

La mort de Al Tayeb Salih laissera incontestablement un grand vide dans le monde littéraire soudanais.

A l'instar de nombreux forums en ligne à travers le monde arabe, Arabian Leopard, sur le Emirates Economy Forum [11] [Ar], note :

الله يرحمه و يغفر له.
رواياته جميلة تأخذك في رحلة الى الثقافة السودانية و حياة الأرياف هناك

Qu'Allah accorde le repos à son âme et lui pardonne.
Ses romans sont magnifiques, et vous emmènent pour un voyage dans la culture soudanaise et la vie des campagnes de ce pays.

Note de la traductrice : Saison de la migration vers le Nord est publié, en français, chez Babel-Actes Sud. (une présentation du roman ici [12] ) Deux autres de ses oeuvres, Bandarchâh, et Noces de zeyn, sont disponibles chez Sindbad-Actes Sud.