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Inde : Les limites de la liberté d'expression sur Internet

Catégories: Inde, Cyber-activisme, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Religion, Technologie, Advox
Introduction : la Liberté d'Expression dans la blogosphère indienne
La blogosphère indienne est en effervescence [1] [en anglais] à propos de la liberté d'expression après que la Cour Suprême ait refusé [2] [en anglais] d'annuler les poursuites pour diffamation lancées par le Shiv Sena  contre un étudiant en informatique de 19 ans, Ajith D.

Toutefois, les réactions de la blogosphère indienne sur cette affaire s'appuient surtout sur les reportages, de très mauvaise qualité, que la presse indienne a faits sur cette affaire, avec peu de détails et presqu'aucune information de fond. Par conséquent, les blogueurs réagissent en s'appuyant sur une information incomplète.

C'est pourquoi, avant de faire le tour des réactions de la blogosphère indienne sur ce sujet et de donner mon point de vue, il faut tout d'abord présenter les faits.

Les traditions violentes du Shiv Sena

Le Shiv Sena [3] est un parti d'extrême-droite du Maharashtra [4] qui s'est développé parmi les marathes dans les années soixante sur la base de l'idéologie que le Maharashtra appartenait aux marathes et que les immigrants en provenance des autres états indiens devaient être mis dehors. À partir des années soixante-dix, le Shiv Sena a évolué vers une idéologie fortement en faveur de l’Hindutva [5] (et anti-musulmane), évolution renforcéée dans les années quatre-vingt dix, lorsqu'il est devenu un des membres de la coalition d'extrême-droite menée par le Bharatiya Janata Party [6].

Le Shiv Sena a souvent été accusé d'être impliqué dans la coordination de violences politiques contre des non-marathes et des non-hindoux. Il est de notoriété publique que le dirigeant du Shiv Sena, Bal Thackery [7] [en anglais], qui est révéré par ses partisans, a contribué à inciter à de telles violences à de nombreuses occasions. Le Shiv Sena a également une longue histoire, bien connue, de violentes protestations à l'encontre des journalistes, écrivains et artistes qui s'expriment contre son idéologie extrémiste (voir [en anglais] BBC 1 [8], BBC 2 [9], BBC 3 [10], BBC 4 [11], NYT 1 [12], NYT 2 [13], NYT 3 [14], NYT 4 [15], Guardian 1 [16], Guardian 2 [17]).

Il est important de resituer la colère du Shiv Sena contre Orkut dans le contexte de sa longue histoire d'intolérance idéologique et de manifestations violentes.

Les relations tendues entre le Shiv Sena et Orkut

L'affaire a démarré en novembre 2006, quand des militants du Shiv Sena sont tombés par hasard sur un groupe anti-Shivaji sur Orkut [18]. Shivaji [19] était un souverain hindou du XVIIe siècle, qui a combattu les Moghols musulmans qui dominaient alors une grande partie de l'Inde, et fondé l’Empire marathe [20]. C'est un personnage très important pour les marathes. La police de Pune [21] a alors demandé aux propriétaires des cybercafés de bloquer le groupe anti-Shivaji après des violences commises par le Shiv Sena. Une plainte dans l'intérêt du public a également été déposée devant la Haute Cour de Bombay pour interdire à Orkut d'héberger le groupe anti-Shivaji (voir [en anglais] TOI 1 [22], TOI 2 [23], Rediff 1 [24], Rediff 2 [25], NDTV [26], Financial Express [27]).

En janvier 2007, le gouvernement du Maharashtra a demandé au Computer Emergency Response Team (CERT-In) [28] [en anglais], un organisme de régulation de la capitale, dépendant du Ministère de l'Information et de la Technologie, de supprimer ce contenu insultant. Selon la législation indienne, le CERT doit instruire les demandes de blocage de sites émanant d'agents déclarés du gouvernement de l'Union ou des gouvernements des états. S'il trouve que le site pose problème, il informe de sa décision l'unité des licences et de la régulation de la direction des télécommunications afin de transmettre aux fournisseurs d'accès à Internet l'ordre de bloquer le site (voir [en anglais] Indian Express [29], Live Mint [30]).

Le Shiv Sena a aussi demandé à ses partisans de signaler ces groupes sur Orkut, afin qu'ils puissent être supprimés (voir [en anglais] fil de discussion Orkut 1 [31], fil de discussion Orkut 2 [32]). Cela a entraîné une bataille sur Orkut, où les utilisateurs pro-Sena et anti-Sena dénonçaient les groupes opposés. Pendant un petit moment, beaucoup de groupes pro-Sena et anti-Sena ont été interdits par Google, mais la plupart ont rapidement été rétablis (voir[en anglais] fil de discussion Orkut [33]).

Le Shiv Sena a aussi écrit à Google et aux fournisseurs d'accès indiens pour bloquer ces groupes, et ils ont même rencontré des responsables de Google, avec des représentants du gouvernement du Maharashtra et de la police de Mumbai (Bombay).

En janvier 2007, Google a décidé de coopérer avec la police de Mumbai et a mis en place une disposition informelle appelée Priority Reporting Tool qui permettait à la police de Mumbai de signaler directement à Google les contenus litigieux et aussi de lui demander les adresses IP et les fournisseurs d'accès. Sur les recommandations de la police de Mumbai, Google a supprimé les groupes contre Shivaji, Bal Thackeray et le dirigeant des intouchables B. R. Ambedkar [34] (voir [en anglais] TOI [35], IHT [36], Indian Express [37]).

Cependant, même si Google a supprimé des groupes dont les contenus étaient diffamatoires, il a d'abord refusé de supprimer plusieurs autres groupes opposés aux dirigeants ou aux idées du Shiv Sena. Résultat, Abhijit Phanse, le président du Bharatiya Vidyarthi Sena, l'organisation étudiante du Shiv Sena, a pris l'affaire en mains personnellement et a mené une violente campagne contre Orkut.

En mai 2007, le Sena a écrit aux cafés Internet en les menaçant d'attaquer leur établissement s'ils n'empêchaient pas leurs clients d'accéder à ces groupes Orkut. En juin 2006, il avait mis ses menaces à exécution en saccageant plusieurs cybercafés à Mumbai et en molestant leurs propriétaires et leurs clients. La police de Mumbai a également demandé aux propriétaires de cafés Internet à Mumbai et Thane [38] d'interdire à leurs clients l'accès à Orkut. Conséquence, les cybercafés de Mumbai ont enregistré une chute de leur fréquentation et ont été obligés de mettre en place des avertissements demandant à leur client de ne pas allers sur Orkut.

Le Sena a même annoncé qu'il mettait au point un logiciel spécial que les fournisseurs d'accès à Internet pouvaient installer pour bloquer tout message contenant certains mots ou phrases tels que “je déteste” ou bien “je méprise”.

Ces incidents ont été largement développés dans les médias indiens (voir [en anglais] Reuters 1 [39], Rediff 1 [40], Rediff 2 [41], IBN Live [42], NDTV [43], Indian Express 1 [44], Indian Express 2 [45], Indian Express 3 [46], Indian Express 4 [47], Indian Express 5 [48], Economic Times [49], Business Standard 1 [50], Business Standard 2 [51], TOI [52]) et fait l'objet de débats dans la blogosphère indienne et la communauté Orkut (The Hindu [53] [en anglais]). L'opinion à ce sujet de Amit Varma [54], sur LiveMint [en anglais], et de Sevathi Ninan [55], sur The Hindu [en anglais], qui critiquent ces évolutions, est particulièrement intéressante.

La presse ne donne pas de détails concernant la décision du CERT sur l'interdiction d'Orkut, ou sur l'arrangement final entre le Shiv Sena et Orkut, mais depuis plusieurs groupes anti-Shiv Sena ont été supprimés.

La police de Mumbai et Pune a également fait bon usage de son accord avec Google depuis sa conclusion.

En septembre/octobre 2007, la police de Pune a arrêté quatre informaticiens de Bangalore, Lakshmana Kailash, 25 ans, Manjunath Betegowda, 23 ans, Harish Shetty, 23 ans, et Kiran Reddy, 22 ans, pour avoir mis en ligne un portrait obscène de Shivaji sur Orkut, le montrant revêtu de sous-vêtements féminins (voir [en anglais] Economic Times [56], TOI [57]). On s'est aperçu plus tard que l'arrestation de Lakshmana Kailash, qui a été détenu pendant 50 jours, se basait sur une adresse IP erronée communiquée par Bharti Airtel (voir [en anglais] TOI 1 [58], TOI 2 [59], TOI 3 [60], The Hindu [61], Rediff [62]). Lakshmana a alors poursuivi Bharti Airtel, les autorités du Maharashtra et la police de Mumbai et demandé 200 millions de roupies [3 millions d'euros] de dommages et intérêts (voir [en anglais] IBN Live [63], TOI [64]). L'état actuel de son affaire judiciaire n'est pas clair selon les informations.

En août 2008, la police de Mumbai a arrêté l'informaticien de Ghaziabad [65] [en anglais] Adarsh Sinha pour avoir envoyé par courrier électronique des menaces de mort contre Bal Thackeray en utilisant une fausse identité (Faizab Farooqi). Elle a aussi arrêté à Mumbai Suresh Shetty, modérateur de son groupe (voir TOI [66] [en anglais]).

La plainte du Shiv Sena contre Ajith D.

Ajith D., un étudiant en informatique de 19 ans du Kerala [67], a lancé un groupe appelé “je déteste le Shiv Sena” sur Orkut. L'un des commentateurs anonymes du site a publié des menaces de mort contre Bal Thackeray. Il semble d'après les médias que la police de Mumbai a poursuivi Ajith à la fois pour menaces de mort et atteinte aux convictions religieuses.

La police de Mumbai a surveillé les comptes Orkut et Gmail de Ajith pendant une semaine pour vérifier son adresse et a envoyé des policiers l'arrêter, en août 2008, dans sa ville de Cherthala [68]. Mais les chaînes de télévision ont diffusé la nouvelle de leur arrivée, si bien que Ajith s'est enfui et que les policiers n'ont pu que confisquer le disque dur de son ordinateur. Les policiers ont aussi affirmé qu'ils surveillaient les messages sur Orkut et les activité sur Internet d'environ 50 autres membres du groupe (voir The Hindu [69] [en anglais]).

Par la suite, Ajith a obtenu une liberté sous caution par anticipation de la Haute Cour du Kerala et a porté l'affaire devant la Cour Suprême, par les soins de son avocat, Jogy Scaria, afin d'obtenir l'annulation de la plainte, en s'appuyant sur le fait qu'il n'avait pas publié les menaces de mort et que le groupe en lui-même n'était pas diffamatoire. Mais les magistrats de la Cour Suprême, y compris son président K. G. Balakrishnan, et le juge P. Sathasivam, ont refusé de le protéger et ont déclaré : “si quelqu'un intente des poursuites qui se fondent sur le contenu, vous devrez en répondre. Vous devez aller vous expliquer devant le tribunal.” (voir [en anglais] TOI [70], The Guardian [71], The Hindu [72]).

Résumé des blogs discutant de l'affaire Ajith D.

Comme mentionné précédemment, un certain nombre de blogueurs ont réagi avec vigueur à la décision de la Cour Suprême, en s'appuyant souvent sur des informations partielles (voir [en anglais] CXOToday [73]).

Sur Kafila, l'avocat Lawrence Liang [74] publie [en anglais] un article détaillé traitant de la diffamation  (doit-elle relever de la justice civile ou de la justice pénale ?) et faisant un historique des poursuites pour diffamation à l'encontre des blogueurs indiens. Il donne également un point de vue pertinent sur l'affaire Ajith D.

Quand des associations telles que le Shiv Sena et le Sri Ram Sene [75] [en anglais] ont commencé à utiliser la diffamation, j'ai trouvé ça culotté. La définition du culot, c'est quand quelqu'un tue ses parents, puis demande la clémence parce qu'il est orphelin. De quelle autre façon qualifier le comportement étrange de machos enclins à la violence [76], qui tout à coup se plaignent de la violation de leurs droits et de leur réputation ternie ?

Patrix [77] [en anglais] pense que le système judiciaire indien a un parti pris contre la liberté d'expression.

Comme vous pouvez le constater, tout ce qui existe sous le soleil peut être utilisé comme une restriction de votre liberté d'expression. Si je dis quelque chose d'anodin et que cela mène à une paire de vitrines curieusement brisées dans la ville, ce qui m'amènera des ennuis c'est la curieuse affirmation que mes paroles auront provoqué cela. Ma liberté d'expression sera restreinte au nom de “l'ordre public” ou de l'interdiction de “l'incitation à l'injure”. Ne devrait-on pas punir les actes plutôt que les paroles ?

Sur RWW, Marshall Kirkpatrick [78] pense [en anglais] que la décision de la Cour Suprême a des répercussions sur les blogueurs de toutes les sociétés démocratiques.

C'est une bonne chose que nous, en tant qu'individus utilisateurs du web,  nous remémorions que même si la nouvelle technologie Internet apporte tant d'information et permet à tant de voix de s'exprimer librement, la liberté en ligne peut n'être qu'à une décision de justice répressive d'être mise gravement en danger, même dans une démocratie reconnue. Peu importe où vous vivez, pensez-vous que votre système judiciaire comprendrait les problèmes soulevés dans un case similaire ? Nous ne le croyons pas.

Nikhil Moro [79], sur le Civic & Citizen Journalism Interest Group, pense [en anglais] que la liberté d'expression a perdu un procès en Inde.

Historiquement la Cour Suprême indienne plaçait la liberté d'expression en haut de la hiérarchie des libertés, mais comme le montre l'affaire malheureuse de M. Ajit, les activistes des médias sociaux attendraient de l'état qu'il utilise une multitude de lois autres que la diffamation.

Sanjukta [80] considère [en anglais] que la décision de la Cour Suprême est bonne pour les blogueurs indiens.

Cela permettra de nettoyer le paquet de #@%$ que l'on trouve dans la blogosphère, de devenir des auteurs plus responsables et adultes, et ainsi de donner plus de crédibilité à l'opinion des blogueurs, et surtout cela mettra fin à l'habitude épouvantable d'écrire toute sorte de choses indécentes, barbares, injurieuses de façon anonyme dans les commentaires. Cela obligera aussi le propriétaire d'un blog ou d'un groupe de discussion à le garder propre, et sans injures. Cela imposera aux blogueurs la discipline de l'auto-régulation, n'est-ce pas un bon objectif.

Sur Mutiny, 2s [81] met en garde [en anglais] contre un débat simpliste à propos de la liberté d'expression.

Les lois du pays doivent trouver de meilleures façons de contrôler ce qui est dit ou écrit sur un forum public que les interdictions et les menaces de poursuites contre les blogueurs. Les blogueurs, en Inde, doivent ensemble appeler à une approche et des lois que je considèrerais plus adultes concernant les commentaires diffamatoires publics sur Internet. Les blogueurs ne sont pas, après tout, des personnalités “publiques” comme les responsables politiques le sont, et de les juger tous à la même aune n'est peut être pas la meilleure méthode. En outre, cela est-il limité juste aux billets sur les blogs ? Qu'en est-il des commentaires sur ces billets ? Et des tweets ?

Pramit Singh [82] pense [en anglais] que la décision de la Cour Suprême ne devrait pas inquiéter les blogueurs indiens.

Certains peuvent penser que l'époque des groupes Orkut gratuits et pour tous est révolue. D'autres diront qu'ils ont peur d'aller contre les gens qui ont du pouvoir, les politiciens, les grandes entreprises, pratiquement tous ceux qui ont une armée d'avocats, et qui, dans cette affaire essaient de répandre la peur de comparaître devant les tribunaux pour Dieu sait combien de fois, et choisissent du coup “d'écrire prudemment”.

Mais j'ai confiance en notre Justice. Les blogueurs ne vont pas subir des millions de poursuites en Inde.

Dhananjay Nene [83] pense [en anglais] que la décision de la Cour Suprême n'est pas un coup décisif contre les droits des blogueurs.

L'une des choses importantes qu'il est peut-être facile de perdre de vue dans ce débat est que la Cour Suprême n'a pas jugé de la culpabilité ou de l'innocence dans cette affaire, mais que cette personne ne devait pas avoir peur de prendre ses responsabilités pour soutenir les accusations devant le tribunal.

L'avocat Praveen Dalal [84] affirme également [en anglais] que l'on ne doit pas surinterpréter la décision de la Cour Suprême.

Avec les Garanties Constitutionnelles aux côtés des blogueurs il doit y avoir de très solides raisons pour punir quelqu'un pour Diffamation ou pour trouble à la Concorde Religieuse. L'affaire est jugée en première instance, c'est aussi un tribunal qui doit établir les faits. Ce n'est qu'après que le tribunal de première instance se soit prononcé que nous pourrons aller plus loin, soit pour acquitter, soit pour condamner le blogueur accusé. La Cour Suprême de l'Inde n'a pas trouvé de raisons pour annuler les poursuites contre l'accusé et en l'absence des éléments complets de l'affaire, ainsi que de la copie du jugement, il est très difficile d'apprécier sa justesse ou non. Toutefois, selon toute probabilité l'accusé devrait être soit acquitté, soit libéré après avoir reçu un rappel à la loi.

Dans un courriel [en anglais] reproduit dans un billet [en anglais] de Vijay Mohanty [85], l'influent blogueur et journaliste Prem Panicker [86] [en anglais] pense également que le verdict de la cour suprême n'est pas une affaire importante.

La Cour Suprême a seulement dit qu'elle ne pouvait, de son propre chef, annuler des poursuites.

Elle n'a pas déclaré que les poursuites sont justifiées, c'est au tribunal de le juger en se fondant sur la la législation actuelle.

Conclusion : les limites de la liberté d'expression dans une Inde intolérante

En ce qui me concerne, je considère l'affaire Ajith D. comme un élément d'une tendance beaucoup plus forte, qui est à l'œuvre à plusieurs niveaux.

Tout au moins, nous devrions considérer cette affaire comme faisant partie de la croisade de la police de Mumbai et de Pune contre les groupes incendiaires sur Orkut. Seize utilisateurs d'Orkut ont été arrêtés ces deux dernières années, accusés de menaces et d'atteinte aux convictions religieuses (voir [en anglais] Indian Express [87]), et l'un d'entre eux a passé 50 jours en garde à vue sur la base d'une erreur d'identification d'adrese IP ! C'est une croisade grave, qui deviendra seulement moins intense dans un futur proche, et qui soulève plusieurs questions importantes.

Pour commencer, voulons-nous vraiment défendre un blogueur, ou le propriétaire d'un groupe, ou un commentateur, qui a publié des menaces de mort contre un simple citoyen ou une personnalité publique, et permettre à ces commentaires d'être publiés et donc de refuser de les effacer ?

En allant plus loin, est-ce que le système judiciaire indien doit appliquer les mêmes règles concernant la diffamation pour un simple citoyen et une personnalité publique, surtout une personnalité publique aussi controversée que Bal Thackeray ?

Comment pouvons-nous laisser un parti politique comme le Shiv Sena, qui a atteint des niveaux jamais vus dans les discours religieux incendiaires (et les actes violents pour les appuyer), se plaindre de billets sur des blogs ou de commentaires de groupes Internet heurtant les sentiments religieux ?

Et, pour finir, étant donné la volonté de Google de court-circuiter la Justice indienne et de fournir des informations personnelles d'Orkut et de Gmail à la police de Mumbai et de Pune, comment pouvons-nous nous sentir à l'aise en bâtissant l'intégralité de notre présence en ligne avec les services Google ?

Sur un autre plan, nous devrions considérer cette affaire comme faisant partie d'une tendance, en Inde et dans d'autres pays démocratiques, qui voit des institutions traditionnelles lutter contre Internet et essayer de restreindre ses libertés.

Les menaces de poursuites de Barkha Dutt et de NDTV contre le blogueur Chetan Kunte [88] pour diffamation [en anglais] font partie de cette tendance. Les menaces du Shri Ram Sena, qui après avoir frappé des femmes dans un pub de Mangalore [89] [en anglais] veut poursuivre les organisateurs de la campagne des culottes roses [90] font partie de cette tendance. Les sénateurs américains qui refusent de croire que les prédateurs d'enfants ne sont pas pour ces deniers la menace la plus importante sur Internet [91] [en anglais ]font partie de cette tendance. Les gouvernements américain, britannique, australien [92] [en anglais] et indien qui mettent en place une censure et des lois contre la cybercriminalité sévères [93] [en anglais] font également partie de cette tendance.

Toutes ces actions, individuellement ou collectivement, limitent nos libertés individuelles ou collectives et également notre capacité à nous battre pour ces libertés. En menaçant de poursuivre un blogueur, NDTV a limité la capacité des médias indiens à critiquer les violations de la liberté d'expression en Inde. De façon similaire, en limitant Internet dans leur propre pays, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et l'Inde ont limité leur capacité à critiquer les violations de la liberté d'expression en Iran ou en Chine.

Ainsi donc, ce qui se passe dans l'affaire de Ajith D. est important en soi, mais également important comme une partie de ce qui se passe pour Internet en son entier. Il est essentiel que nous nous efforcions d'ouvrir les yeux pour voir ce qu'il y a derrière tout ça avant qu'il ne soit trop tard.