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Guinée-Bissau : Sentiments contradictoires après les meurtres du président et du chef de l'armée

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Guinée-Bissau, Développement, Élections, Gouvernance, Histoire, Médias citoyens, Politique

Le président du parlement de Guinée-Bissau, RaimundoPereira [1], a prêté serment en tant que chef d'état intérimaire après [2]l'assassinat [2]le lundi 2 mars [2] du président Joao Bernardo Vieira [3], survenu quelques heures après le meurtre du chef de l'armée Batista Tagme Na Waie [4]. Selon la constitution du pays, le président par intérim a deux mois pour organiser une nouvelle élection présidentielle. Les soldats se sont retirés des rues, et les blogueurs ont relevé que la vie avait repris son cours normal dans la capitale  moins de 24 heures après les assassinats. Mais ce qui s'est passé, comme ce que sera le futur immédiat, est toujours incertain.

La situation a beau s'être calmée depuis le 2 mars, beaucoup de gens restent très inquiets, craignant un retour de la guerre. Une enseignante portugaise vivant en Guniée-Bissau, Ana Claudia [5][en portugais], rapporte sur son blog la conversation qu'elle a eu avec sa meilleure amie au lendemain de l'assassinat:

Foi a olhar para ela e a ouvir as explicações dela que “acordei” do estado de ignorância ou inconsciência em que estava até então. Veio carregar o telemóvel. Depois com olhos de quem tinha estado a chorar e com voz de assustada contou: “Não dormi. Toda a noite muitos tiros. (…) Os meninos ficaram em casa. (…) Sim, vou voltar para casa depois de carregar o telemóvel, vou ficar com os meninos. (…) Ninguém dormiu nada. Todas as pessoas estão muito assustadas. Algumas pessoas já começaram a fugir.”
A fugir? Então atingiu-me. As pessoas estavam com medo.
Ainda na 5ª feira passada, à tarde, ouvi guineenses louvar e chamar com alegria pelo Presidente Nino / General Cabi que passava na Avenida 14 de Novembro ao regressar ao país após duas semanas de ausência, e por isso muitos guineenses choram a sua morte e estão muito tristes, mas mais do que isso esta madrugada o povo guineense assustou-se, reviveu os momentos de terror da guerra que acabou há menos de 10 anos.

Je suis allée la voir et ai entendu une explication qui m'a sortie de l'état d'ignorance ou de stupidité dans lequel je me maintenais jusque là. Elle est venue mettre à charger son téléphone portable. Ensuite, elle a dit d'une voix effrayée et avec les yeux de quelqu'un qui avait pleuré : “Je n'ai pas dormi. [Il y a eu] Beaucoup de tirs tout au long de la nuit. (…) Les garçons sont à la maison. (…) Oui, je rentrerai à la maison après avoir rechargé mon mobile, je resterai avec les garçons. (…) Personne n'a pu dormir. Tout le monde est terrifié. Quelques personnes ont commencé à fuir.” A fuir ? Et là, j'ai compris. Les gens avaient peur. Jeudi dernier encore, j'entendais le peuple bissau-guinéen faire l'éloge du président Nino et du général Cabi qui descendaient l'avenue (principale) du 14-Novembre pour leur retour au pays, après deux semaines d'absence. Il y a tant de Bissau-Guinéens qui ont pleuré sa mort et sont très attristés, mais au delà de cela, le peuple craint ce matin de revivre les moments de terreur de la guerre qui a pris fin il y a 10 ans.

HPC [6] [en portugais], une autre femme portugaise vivant en Guinée-Bissau, confirme sur son blog cette impression  de peur, d'espoir et de fatigue mélangés. Elle dit qu'elle a remarqué combien les gens étaient tristes mais pense que seuls les Bissau-Guinéens peuvent “continuer et garder le sourire” dans une telle situation. Elle a eu envie de prendre des photos mais la police ne le lui a pas permis:

Houve medo nos bairros de Bissau. Lá está-se vulnerável pois não há grossas paredes para proteger nem que seja do estrondo das bombas. Está-se rente ao chão … à mercê.

Para além do medo há vergonha. Vergonha de terem um país que só é notícia pelas piores razões (como se diz em linguagem de noticiário). Um país onde se matam os dirigentes políticos e onde nunca se sabe quem o fez. E não há nada mais triste do que ver os guineenses com vergonha.

Quanto aos acontecimentos, depois de uma segunda-feira de reclusão, hoje fui tentar trabalhar e tive que fugir para casa porque havia confusão no Bandim. Primeiro constou que sem tiros, logo a seguir já os havia. Vim por atalhos porque a polícia tinha cortado o trânsito na Chapa. Passei por bairros e pensei “Tenho que fotografar isto para o blog” e senti-me culpada por esse olhar de repórter de meia-tigela.

La peur était palpable dans les quartiers de [la capitale] Bissau. Les gens sont vulnérables car les murs ne sont pas assez épais pour les protéger, même du bruit des bombes. Ils sont exposés… cloués au sol. Derrière la peur, il ya la honte. Ils ont honte de leur pays dont on ne parle que pour les pires raisons (comme on dit dans le jargon des médias). Un pays dans lequel les dirigeants politiques se font tuer sans qu'on ne sache jamais par qui. Et il n'y a rien de plus triste que de voir un Bissau-Guinéen honteux. En raison des événements, j'ai passé le lundi à la maison. Aujourd'hui, j'ai tenté d'aller travailler mais ai dû rebrousser chemin et rentrer car la confusion régnait à Bandim. Au début, il n'y avait pas de tirs mais ils ont commencé peu après. Je suis revenue à la maison en prenant des raccourcis car la police avait interrompu la circulation à Chapa. J'ai traversé quelques quartiers en me disant “Il faut que je prenne ça en photo pour le blog” et me suis sentie coupable d'avoir pensé comme un journaliste à deux balles.

Le 3 mars, le blog Ana e Simão [7][en portugais] signalait que la ville était plus calme :

As estradas de entrada e saída da cidade reabriram, sem militares nos controlos. O comércio voltou a funcionar. Mas tudo é imprevisível. A pessoas revelam uma alegria e alívio contidos (morreu um homem sanguinário, responsável em grande parte pela situação a que o país chegou). Contêm também a tensão e a expectativa, foi aparentemente um bom acontecimento, mas a Guiné sempre foi imprevisível. Volta-se a tentar fazer a vida normal, volta-se a ter esperança:
-”É agora que o país levanta – (onde é que já ouvi isto?). Que Nino descanse em paz e nos deixe descansar.”

Les voies d'accès et de sortie de la ville ont été réouvertes, sans plus de contrôles militaires. Les affaires ont repris. Mais les choses restent imprévisibles. Les gens font preuvent d'une joie et d'un soulagement modérés (un homme assoiffé de sang est mort, il est grandement responsable de l'état dans lequel se trouve le pays). Ils tentent de limiter les tensions comme les attentes ; ce qui s'est passé semble apparemment positif, mais la Guinée-Bissau a toujours été imprévisible. On tente de vivre de nouveau normalement, de recommencer à espérer: -“A présent, le pays se relève – (où ai-je entendu cela?). J'espère que Nino reposera en paix et nous laissera tranquilles.”

Sur le même blog, on peut lire le 5 mars un billet [8]traitant des attentes des gens pour les élections à venir:

É impossível sabermos a curto prazo – e provavelmente a longo prazo – pormenores sobre os assassinatos. O que sabemos é que os funerais estão marcados para sábado (Tagme Na Waye) e 3ª feira (Nino Vieira). Sabemos que se vão marcar eleições ainda este ano e sabemos que Kumba Yalá se vai candidatar e com certeza proporcionar campanhas animadas. Sabemos que a melhor alternativa é o Dr. Henrique Rosa, mas tem pouca aceitação fora de Bissau.

Il est impossible de connaître les circonstances des meurtres à court terme, ni, probablement, à long terme. Ce que nous savons, c'est que les funérailles sont prévues samedi pour Tagme Na Waye et mardi pour Nino Vieira. Nous savons que des élections seront organisées cette année et nous savons que [l'ancien président] Kumba Yala [9]sera candidat à l'élection présidentielle et qu'il mènera sans aucun doute une campagne active. Nous savons que la meilleure alternative est représentée par Henrique Rosa [10], mais il ne bénéficie que de peu de support à l'extérieur de [la capitale] Bissau.

L'un des blogueurs les plus actifs pendant ce conflit, António Aly Silva [11][en portugais], a mis en ligne quelques i photos [12] montrant le lieu où le Président a été assassiné. Il écrit qu'il aurait aimé que son blog attire l'attention pour de moins tristes raisons,  et ce n'est pas la première fois :

Desde o fim da guerra de 1998/99, já assistimos a quantos assassinatos na Guiné-Bissau? Antes mesmo dessa guerra, quantas personalidades deste País desapareceram em circunstâncias ainda hoje por esclarecer? Quantos filhos desta terra, os mais bem intencionados, foram eliminados? Quantos não vimos partir, um por um, traídos, submetidos a julgamentos humilhantes, muitas vezes sumários e, de seguida, abatidos como gado? Se o povo guineense não se erguer, será espezinhado e humilhado. Como tem sido desde 1973.

Depuis la fin de la guerre de 1998/99, de combien de meurtres avons-nous été témoins en Guinée-Bissau ? Et même avant cette guerre, combien de personnalités ont disparu dans des circonstances non éclaircies dans ce pays ? Combien d'enfants de cette terre, individus munis des meilleures intentions, ont été éliminés ? Combien en avons-nous vu disparaître, les uns après les autres, trahis, auxquels ont été intentés des procès humiliants, souvent réduits au silence, avant d'être abattu comme du bétail ? Si le peuple de Guinée-Bissau ne réagit pas, il sera piétiné et humilié. Comme il l'est depuis 1973.

Dans un autre billet [13][en portugais], au lendemain de l'assassinat du Président, António redoute une poussée de violence:

Ex-ministros guineenses ligados a “Nino” Vieira estão a receber ameaças de prisão ou de morte na sequência dos assassínios no país, disse hoje o antigo chefe da diplomacia do país, Soares Sambú.

Há “pelo menos nove nomes” de personalidades políticas que estão a ser “perseguidas”.

Segundo Soares Sambú, a “lista” inclui nomes como os ex-ministros da Defesa Helder Proença, Marciano Barbeiro e Daniel Gomes, o ex-ministro da Economia e Finanças Issufo Sanhá, os dos antigos secretários de Estado Isabel Buscardini, Roberto Cacheu e Baciro Dabó (antigo chefe da antiga secreta guineense) e ainda o empresário Manuel dos Santos (”Manecas”), além do próprio Soares Sambú.

Sobre o paradeiro de João Cardoso, ex-chefe de gabinete do Presidente da República, Soares Sambú afirmou desconhecê-lo, admitindo porém que o homem forte do regime esteja em segurança, mas em local desconhecido.

D'anciens ministres bissau-guinéens liés à “Nino” Vieira ont reçu des menaces d'emprisonnement ou de mort après les meurtres perpétrés dans le pays, a déclaré aujourd'hui l'ancien chef de la diplomatie du pays, Soares Sambú. Il y a “au moins neuf noms” d'hommes politiques victimes de “persécutions”. Selon Soares Sambú, la “liste” compte les  noms des anciens ministres de la Défense Helder Proença, Marciano Barber et Daniel Gomes, celui de l'ancien ministre de l'économie et des Finances Issufo Sanhá, ceux des anciens secrétaires d'État Isabel Buscardini, Roberto Cacheu et Baciro Dabó (ex-ministre de l'Intérieur) et celui de l'entrepreneur Manuel dos Santos (“Maneco”) sans oublier celui de Soares Sambú. Quant à l'endroit où se trouverait João Cardoso, ancien chef de cabinet du Président, Soares Sambú affirme ne pas le connaître mais suppose que l'homme solide qu'il est est sain et sauf, même si on ne sait pas où.

Nino Vieira a connu une carrière politique agitée. Il a été président entre 1980 et 1999 et de nouveau de 2005 à 2009. En 1980, Vieira s'empare du pouvoir et dirige le pays pendant 19 ans. En 1994, il remporte l'élection présidentielle mais se fait évincer à la fin de la guerre civile de 1998/1999. Il fait son retour en politique en gagnant la présidentielle de 2005 et n'a pas quitté le pouvoir depuis. Apparemment, le dirigeant ne manquera pas à tout le monde. Dans un commentaire laissé sur le site portugais de Global Voices, Miguel Angelo [14]appelle à la confiscation des avoirs du Président:

Como Gunieense, essa triste notícia vem abalar mais ainda a nossa penosa reputação.
O nosso país tem até hoje a fama de lugar intolerante e de gente que não se entende. Como pode isso? O verdaeiro culpado disso é o prórpio Nino. Ele se transformou em ditador sem mais nem menos. Depois do golpe que ele deu em 14 de Novembro de 1980, prometeu na altura que iria fazer eleições livres e que não estava interessado a ficar no poder. Ficou direto 18 anos. DEZOITO ANOS!!!! Ninguém merece!!!

Uma geração inteira Somado a mais esses anos, só deu vergonha ao País. Agora a Guiné é um país de tráfico, do medo, da corrupção no mais alto nível e sem contar as roubalheiras e sem vergonhices de todo o tipo. Parece que não são pessoas capazes de entender que sem rotatividade no governo, não há democracia de verdade. São sempre as mesmas pessoas, o mesmo Nino e a sua corja.

Pour un Bissau-Guinéen, cette triste nouvelle vient saper un peu plus notre déjà mauvaise réputation. Notre pays est aujourd'hui tristement célèbre pour son intolérance envers ceux qui ne comprennent pas le “n'importe quoi”. Comment cela est-il possible? Le coupable n'est autre que Nino lui-même. Il est devenu un dictateur en un rien de temps. Après son coup d'état du 14 novembre 1980, il a promis qu'il organiserait des élections libres et a clamé haut et fort que le pouvoir ne l'intéressait pas. Il est resté au pouvoir 18 ans d'affilée. DIX-HUIT ANS! Enfin, quoi! Une génération entière. Au bout de toutes ces années, il n'a apporté que la honte à notre nation. Aujourd'hui, la Guinée-Bissau est un pays de trafiquants, où règne la peur, la corruption à son plus haut niveau, sans compter les escroqueries et mensonges de toutes sortes. Il semble que les gens ne soient pas capables de comprendre qu'il n'y a pas de réelle démocratie sans changement de gouvernement. Ce sont toujours les mêmes personnes, le même Nino et sa clique.