Rasha Helwa est une Palestinienne d'Israël vivant à Acre (elle se définit comme habitant en Palestine), qui a écrit sur son blog Zaghroda une série de brefs billets relatant ses impressions lors de trajets faits en taxis collectifs et évoquant l'importance de la langue – l'arabe ou l'hébreu – choisie par le chauffeur pour communiquer.
Dans son premier billet, Rasha s'interroge [en arabe comme les autres billets cités]:
ليش شوفير التاكسي دايمًا متعصبن؟
وليش شوفير التاكسي العربي بحكي مع زميله كمان شوفير تاكسي عربي باللغة العبرية؟
وليش شوفير التاكسي العربي بحط دايمًا موسيقى أو نشرة أخبار بالعبري؟
وليش أنا لما أفوت عَ التاكسي دايمًا بحكي مع الشوفير باللغة العربية؟
وطيب ليش هو بردّ عليّ بالعبري؟وليش شوفير التاكسي اليهودي بحسه دايمًا رايق؟
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طيب ليش أنا متوقعة إشي تاني يعني؟…
Et pourquoi un chauffeur de taxi arabe s'adresse-t-il à son collègue, également arabe, en hébreu ?
Et pourquoi les chauffeurs arabes mettent-ils toujours de la musique ou les informations en hébreu ?
Et pourquoi est-ce que je parle toujours au chauffeur en arabe lorsque je monte dans un taxi ?
Mais alors, pourquoi me répond-il en hébreu ?
Et pourquoi ai-je le sentiment que les chauffeurs de taxi juifs sont toujours à l'aise ?
Mais alors, pourquoi est-ce que j'attends toujours autre chose ?
Dans un deuxième billet, elle relate un incident particulier :
مبارح، وأنا بالطريق من حيفا لعكا، بالتاكسي طبعًا..
ومع شوفير تاكسي عربي.
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طلعت صبية سمرا بالطريق معنا بالتاكسي، الصبية عكاوية، هيك لاحظت من لهجتها.
أول ما ركبت بالتاكسي، مقدرتش تسكت (شكلها اللي بقلبها عَ راس لسانها!) وسألته بنبرة قوية:”إنتِ ليش حاطط أخبار بالعبراني؟ ومرة بتحطوا أغاني بالعبراني؟ شو قصتكو؟”
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الشوفير العربي، ضلت أعصابه هادي، وردّ عليها بالردّ المتوقع:”لو إحنا مسافرين من عكا لقرية المكر كُنت بحط أغاني عربي..بس من حيفا لعكا بزبطش!”
الصبية السمرا جاوبته بسرعة:”هاد إسمه ضعف شخصية!”
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كل واحد بقدر يحط مليون جملة غير اللي قالتها الصبية السمرا، وبتزبط.
وأنا ضحكت بقلبي وقتها
Une fille à la peau sombre est montée avec nous en cours de route, une fille de Acre à ce que j'ai pu en déduire par son dialecte.
A peine entrée dans le taxi, elle n'a pas réussi à garder le silence (c'était comme si ce qu'elle avait sur le cœur, elle l'avait aussi sur le bout de la langue !). Et elle lui (au chauffeur) a demandé, avec un fort accent : “Pourquoi avez-vous mis les informations en hébreu ? Une autre fois, vous aviez mis des chansons en hébreu. C'est quoi ce plan ?”
Le conducteur arabe est resté calme et lui a répondu de manière prévisible : “Si nous allions d'Acre vers le village d'Al Maker [à l'est d'Acre], j'aurais mis des chansons arabes… Mais ça ne marche pas entre Haïfa et Acre !”
La fille à la peau sombre lui a immédiatement rétorqué : “C'est ce qu'on appelle de la faiblesse de caractère.”
Chacun a à l'esprit des millions de phrases autres que celle qu'elle a dite et qui auraient convenu. Quant-à moi, j'ai ri au fond de mon cœur.
Dans son troisième billet, Rasha reste sans réponse :
اليوم، كان شوي رمادي
سافرت من حيفا لعكا، بالتاكسي أكيد.
مقدرتش أعرف بالزبط شو هوية الشوفير.
يمكن لأنه ما حكى مع الرُكاب
يمكن لأنه مصرخش على ولا أي شوفير
ويمكن لأنه كان حاطط موسيقي بدون كلمات.
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ويمكن لأنه الموسيقى شغلتلي بالي أكتر من أي إشي تاني
Je me suis rendue de Haïfa à Acre, en taxi bien sûr.
Je n'ai pas réussi à déterminer l'identité du chauffeur.
Peut-être parce qu'il n'a pas parlé aux passagers.
Peut-être parce qu'il ne m'a pas crié dessus ni sur un autre chauffeur.
Peut-être parce qu'il a mis de la musique sans paroles.
Et peut-être parce que la musique a accaparé mes pensées plus que tout autre chose.