La passation du pouvoir le 17 mars à Madagascar n'a pas mis un terme à l'agitation sur la grande île. 15 000 manifestants ont protesté contre le coup d'état samedi pour le sixième jour consécutif et ont été dispersés à coup de grenades lacrymogènes par l'armée trois jours de suite. Samedi 28, la police a tiré à balles réelles sur les manifestants. Le bilan s'élève à 34 blessés et quelques personnes dont on est sans nouvelles.
Stephen Ellis, co-auteur avec Solofo Randrianja de Madagascar: A Short History, et professeur à l'Université libre d'Amsterdam, explique les racines du mécontentement à Madagascar :
L'instabilité de Madagascar résulte en grande partie de l'addition d'une extrême pauvreté (qui touche 70% de la population) et d'un des taux de natalité les plus importants au monde sur l'île (la population est passé de moins de 3 millions de personnes vers 1900 à 6 millions en 1960, et 20 millions aujourd'hui). L'arrivée sur le marché du travail, chaque année, d'un grand nombre de jeune, a créé un climat volatile à Antananarivo [..] Marc Ravalomanana a été élu pour un second mandat en 2006. Mais même en tant que président, il a continué à privilégier ses intérêts personnels d’homme d'affaires , l'un des plus puissants du pays, et il ne fait pas de doute que cela a grandement contribué à sa chute [..] Il a aussi commis une grave erreur en négociant avec un groupe sud-coréen qui cherchait à louer une superficie énorme de terres agricoles pour des cultures destinées à l'export. Ceci a soulevé des craintes sur la propriété des terres, dans un pays où les gens sont intensément attaché à leur terre ancestrale.
Ethan Zuckerman [en anglais] explique la relation entre l'accord avorté de location de terres agricoles au groupe sud-coréen Daewoo Logistics et les troubles actuels :
Le groupe coréen a récemment signé un accord jamais vu auparavant pour louer 1,3 million d'hectares de terres cultivables à Madagascar pour 12 US dollars l'acre [1 acre = 0.404]. Daewoo avait l'intention de cultiver surtout du maïs pour l'exporter vers la Corée du sud ; le reste allant à la culture pour l'huile de palme, dans l'espoir d'exporter cette huile sur les marchés des bio-carburants. C'est un accord très étrange, quand on sait que Madagascar est un pays en proie à l'insécurité alimentaire et que sa population, dans sa grande majorité, est composée de fermiers qui pratiquent une agriculture de subsistance.[..] Etant donné la fragilité écologique de l'île, il semble que les terres non-cultivées sont une ressource que la nation voudrait protéger pour le long terme [note de la traductrice : l'accord est pour l'heure suspendu] .
Le 17 mars, le président déposé Marc Ravalomanana a transmis ses pouvoirs à un comité militaire, afin qu'un référendum sur l'état de la nation puisse être organisé. Ce qui était alors l'opposition a rejeté cette proposition et le pouvoir a été transféré au leader de l'opposition Andry Rajoelina.
A propos de ce transfert éclair du pouvoir, le nouveau gouvernement affirme qu'il ne s'agit pas d'un coup d'état, une opinion que la communauté internationale ne partage pas. L'ambassadeur des Etats-Unis Niels Marquardt a déclaré au journal Midi Madagasikara qu'il avait été témoin direct de l'usage de moyens militaines et de menaces durant le coup de force :
J'ai pu voir de mes propres yeux jusqu'à quel point on a eu recours à la force dans ce coup d'Etat. Moi-même, j'ai été menacé verbalement et avec des fusils. Ce n'est pas normal que les militaires d'un gouvernement menacent les diplomates accrédités dans le pays.
Voici une vidéo des événements, relatés par l'ambassadeur des Etats-Unis :
Quelques jours plus tard, plusieurs pays ont gelé leur aide à Madagascar.
Les conséquences de ce gel des fonds ont immédiatement été ressentis par les entrepreneurs malgaches. Andriatefihasina Hary a écrit, en réponse à la question posée sur Facebook : Craignez-vous la suspension des aides extérieures ? :
A titre personnel, je trouve problématique la suspension des aides extérieures. A titre d'exemple, nous faisons un chantier financé par la banque mondiale. Si leur retrait se confirme, nous serons obligé de licencier tout le monde.
L'exemple de Hary est un parmi beaucoup. Eric Koller, directeur de la fédération des hôtels et restaurant de Madagascar a expliqué à la BBC [en anglais] :
Quatre-vingt pour cent des hôtels ferment et les provinces ont été particulièrement frappées. La plupart des hôtels ont réduit leur personnel de moitié, et certains ont renvoyé les employés sans leur verser leur salaire.
Même la célèbre biodiversité de Madagascar est menacée de près. Revkin, sur le blog New York Times Dot Earth blog explique que le parc national Marojejy, célèbre pour ses espèces animales en danger d'extinction, est envahi par des coupeurs de bois, et que ses directeurs sont menacés[en anglais] .
Le 28 mars a constitué un autre tournant dans l'interminable crise politique malgache.
Des vidéos tournées durant la manifestation contre le coup d'état montre la police dispersant les manifestations avec des grenades lacrymogènes :
Un manifestant, nommé Razily, qui portait le drapeau malgache, a beaucoup frappé la blogosphère malgache. Il a été filmé marchant seul vers l'armée, tandis que des balles ricochaient sur le sol autour de lui, jusqu'à ce qu'il soit poussé dans un camionnette par la police. La vidéo de Razily a également été mise en ligne sur le site du New York Post :
La bravoure de Razily a provoqué de nombreuses réactions sur Twitter :
Hery:
Un manifestant courageux arreté par les militaires à #madagascar
Pour TJ, la vidéo évoque un souvenir [en anglais] :
video de #madagascar : home (seul) avec drapeau malgache, arrêté par militaires, scène qui rappelle tiananmen.
Aliostsy ajoute [en anglais] :
Ce moment “Tiananmen” à #Madagascar pourrait rassembler opposition au nouveau régime de TGV.
Au vu des événements des deux derniers jours à Madagascar, la tension ne semble pas en voie d'apaisement. The Economist souligne que le nouveau gouvernement est toujours en terrain délicat [en anglais] .
Examinant les causes de la crise, Alex Evans, sur le blog Global Dashboard, rapporte que la Corée du Sud ne semble toujours pas comprendre les raisons de ces désordres [en anglais] : l'un des plus importants quotidiens coréens, Chosun Ilbo, publie un dessin assez douteux, représentant des visages noirs poursuivant avec des bâtons un semeur coréen.