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Brésil : Au-delà du cyber espace – Quand les blogs deviennent livres et films

Catégories: Amérique latine, Brésil, Arts et Culture, Film, Idées, Littérature, Technologie

Les livres deviennent des e-books, les blogs ou les sites web sont publiés en tant que livres ou deviennent des productions audiovisuelles. Dans ce flux et reflux, le livre imprimé semble pouvoir battre l'écriture virtuelle, contrairement à d'autres médias. Au Brésil, il est très courant de publier en e-book [1]pour attirer des lecteurs et des auteurs. Mais l'inverse existe aussi, grâce auquel les blogs ont atteint les rayons des libraires ainsi que les écrans de cinéma.

En novembre dernier, Para Francisco [2] [en portugais, comme tous les blogs cités, sauf mention contraire] a enrichi sa liste de blogs qui ont fait leurs débuts en livre sur le marché de l'édition, et donné à leurs fans la possibilité de lire leur histoire sous forme de livre imprimé.

Choquée par la mort brutale de son mari juste avant la naissance de leur premier fils, Christina Guerra s'est retrouvée partagée entre le deuil et la joie. Elle a écrit et dédié ses articles  à son fils : “Pour Francisco”. Dans son blog, elle essaie de retenir chaque détail, pensée, sensation. De cette plongée en elle-même, elle émerge avec une perspective positive.
Escuro [3].

Você vai aprender, filho. Que a intensidade pode roubar você de si mesmo. Que é preciso leveza para se pertencer. Você vai aprender a se distrair no meio do caminho – para ter o privilégio de errar. Vai aprender que as descobertas estão nos atalhos. E que é preciso alcançar o escuro denso para estar diante de todas as possibilidades. Você vai aprender a se deitar noite escura e amanhecer ensolarado. E vai entender que na perda mora o verdadeiro começo. Talvez você leve meia vida para isso. Talvez mais, como eu. Mas até lá, olha que sorte: eu vou estar segurando a sua mão.

Obscurité [3].

Mon fils, tu apprendras que l'intensité peut tout te prendre. Tu auras besoin de la lumière pour te dépasser. Tu apprendras à être distrait – pour avoir le privilège de faire des erreurs. Tu apprendras qu'il y a des découvertes dans les raccourcis, et que tu as besoin d'atteindre les ténèbres profondes pour aller au-delà des possibilités. Tu apprendras à t'allonger dans la nuit noire, et à te lever dans le jour ensoleillé. Tu comprendras également que c'est dans les pertes que commence vraiment la vie. Ça te prendra la moitié de ta vie pour l'apprendre. Cela peut prendre même plus comme cela avait été le cas pour moi. Mais regarde combien tu es chanceux – je te tiendrai la main.

Son livre, “Para Francisco” (192 pages, Editions Arx) - a fait l'objet d'articles dans les journaux et les magazines. Elle continue à mettre à jour son blog avec de nouveaux articles enveloppés de réflexions, événements et aperçus sur la vie.

Un autre auteur, Clarah Averbucka, attiré l'attention des lecteurs sur le Net et a publié un livre. Après être partie à l'extrême sud du Brésil, dans le Rio Grande Do Sul [4][en anglais], où elle n'a pas fini ses études, mais  a commencé à écrire sur le Web, jusqu'à la capitale  Sao Paolo [5]. Elle a lancé son premier blog en 2001, le célèbre brazileirapreta [6] et a publié son premier roman Maquina de Pinball (Edition Cadora 2002) l'année suivante. Elle a également écrit Das Coisas Esquecidas Atrás da Estante (Editions 7 Letras, 2003) et Vida de Gato (Editions Paneta, 2004).

Au Brésil, des films et des pièces de théâtre ont été inspirés par ses histoires. L'année dernière, le film “Nome Próprio [7]” dirigé par Murilo Salled a reçu quatre prix au Festival of Gramado [8], dont celui de meilleur film, et de la meilleure actrice pour Leandra Leal, qui joue le rôle principal, celui de l'auteur Camila.

Clara Averbuck est connue pour son écriture à la première personne, et pour inclure dans ses histoires ses propres expériences – le rock'n'roll, le sexe, les bars, l'amour et l'amitié. Elle ne tourne pas autour du pot, et possède une écriture très directe et sincère, elle exprime ses sentiments, jetez un coup d'oeil à Adio Lounge [9]. Son travail est souvent cité comme un exemple de la manière dont les blogs sont devenus un lieu d'expression pour les nouveaux talents. Elle est l'une des icônes des écrivains de la blogosphère. En dépit de ça, elle a déclaré dans une interview :” il n'y a pas vraiment de blogs, l'écriture est l'écriture, le lieu où on écrit importe peu.” On doit également savoir qu'elle ne gagne pas beaucoup d'argent avec ce qu'elle fait ; en fait, elle n'arrive même pas à payer sa facture de téléphone avec le revenu de ses livres. Concernant l'adaptation de son travail pour le cinéma, elle a déclaré [10] :

“(…) tenho repetido isso quando me perguntam o que achei da adaptação dos livros e tudo mais: autor bom é autor morto. (…)autor morto não reclama nos ouvidos dos diretores e nos microfones dos repórteres quando são adaptados e fica tudo diferente. porque eu reclamo. é claro que eu reclamo. é a minha obra, afinal de contas. (…) mas é assim mesmo. ninguém entende nada, adoram criar umas polêmicas que não existem, pintar o autor de ególatra, de personalidade difícil (rarara, adoro, é tão besta que fica engraçado) e inventar umas coisas por total ausência de outra para falar. eu quero mesmo é achar uma casinha pra morar com a cata e ele e os gatos, terminar meus livros, parar de responder as mesmas perguntas e operar os olhos que essas lentes estão me matando. o resto não tem me interessado muito, francamente.

Je l'ai répété à chaque fois qu'il y a eu une adaptation ou quelque chose dans ce genre : un bon auteur est un auteur mort(…) L'auteur mort ne se plaint pas dans l'oreille du metteur en scène ou au micro des reporters quand ils sont adaptés ou même transformés. Parce que moi, je me plains, et je le ferais toujours. Même si ça choque, c'est comme ça, personne ne comprend rien, ils adorent créer des polémiques sur quelque chose qui n'existe pas, comme de dépeindre l'auteur comme un narcissique ou une personne difficile (hahaha, celui là je l'aime, c'est tellement idiot que c'en est drôle.) Ils viennent avec ce genre de chose parce qu'ils n'ont rien d'autre à dire. Ce que je veux vraiment est vivre dans une petite maison avec Cata et les chats, finir mes livres, arrêter de répondre aux mêmes questions, et je voudrais que mes yeux soient opérés parce que ces lentilles de contact sont en train de me tuer. Franchement, le reste ne me concerne pas.

Son plus récent livre est Nossa Senhora da Pequena Morte (Edition do Bispo, 2008), dont le lancement est imminent. Il semble que son blog ne soit plus une priorité. Son dernier long article est daté du 25 octobre 2008 où elle en annonce la fermeture. Mais il y a un commentaire, publié plus tard : ” Je ne me rendrais jamais, je vous aime tous “. Ce dernier commentaire est daté du 2 février 2009. Elle donne aussi des concerts en tant que vocaliste du groupe ” Jazzie e os Vendidos “.

Issu également du monde du rock'n'roll, Gustavo Curry a rassemblé ses articles de blog et a eu le courage de payer de sa poche pour les faire publier sous la forme d'un livre. Né à Bahia [11], il a décidé d'écrire sur sa façon de vivre en tant que musicien de rock, nageur et journaliste. Il a commencé avec son blog Eu Tava Aqui Pensando ou Blá Blá Blá [12], il a franchi une nouvelle étape en publiant le livre Para Colorir. La plupart de ses chroniques ont déjà été publiées sur le web, le livre comprend également 16 illustrations du dessinateur espagnol Ricardo Sans. [13]

Il parle de la ressemblance entre la couverture de son libre et celle du CD du groupe R.E.M :” toute ressemblance est à peine fortuite, mais c'est mon livre qui est sorti le premier, merde !” Avec un grand sens de l'humour, il y décrit sa rencontre avec le célèbre musicien qui a créé l’Axe Music [14], l'un des rythmes les plus populaires dans le pays, et d'autres choses bizarres.

En ce qui concerne son blog, il semble que Gustavo Curry n'ait pas l'intention de l'abandonner.  Il partage avec nous [15] son expérience sur le processus économique de publication de son livre pour le rendre disponible pour le public.

“O resultado de Para Colorir, considero que foi muito interessante. Acredito que o livro cumpriu boa parte do seu objetivo. Do ponto de vista financeiro, diretamente, o livro se pagou. Fiz 1000, vendi 614 e dei 230. Ainda restam 156. Calculando com o preço médio da venda em 30 reais, recebi R$18.420. Porém tem de calcular que, só no lançamento, dos 180 livros vendidos no evento, 40% da venda ficou com a livraria. Culpa de Jorge Amado que disse “livro tem que ser lançado em livraria”. Que merda, hein, seu Jorge? Se eu fizesse no Póstudo ou no Balcão, bares de amigos meus, seria 100% do lucro”.

J'avoue que le résultat de Para colorir a été très intéressant. Je crois que le livre a atteint beaucoup de ses objectifs. D'un point de vue financier, le livre a couvert les frais engagés. J'en ai fait 1000 exemplaires, j'en ai vendu 614 et donné 230. Il reste 156 exemplaires. Partant d'un prix moyen de 30 Reais, j'ai gagné 1420 Reais. Mais il faut prendre en compte que, sur les 180 livres vendus pendant le lancement, 40% de la recette est allée aux libraires. il faut blâmer Jorge Amado [16], qui avait dit une fois que les livres devaient être lancés dans les librairies. Quelle blague, hein, Mr Jorge ! Si je l'avais lancé au Postudo ou au Balcao, des bars appartenant à mes amis, j'aurais encaissé 100% des bénéfices.

Cependant, certains auteurs comme Clarah Averbuck s'occupent rarement de leurs blogs après avoir publié des livres. Ils sont trop occupés par leurs nouvelles responsabilités. Cela a été le cas aussi de Mothern [17], (contraction de mother + modern )le blog d'une mère au foyer moderne : comment concilier les enfants et le travail, quand vos amis et des fêtes vous attendent ? Ceci explique le titre du livre. Pour le style comique et léger, Juliana Sampaio et Laura Guimarães ont été portées aux nues par leurs fans et ont publié deux livres – ?Mothern – Manual da Mãe Moderna? et ?As 500 melhores coisas de ser mãe? (Editions Matriz). Elles ont également lancé une émission télé sur la chaîne GNT. Maintenant, ceux qui ont aimé leurs blogs doivent relire les anciens articles, acheter le livre ou suivre la série télé. Le dernier article date du 19 novembre 2007.

Oui, nous avons complètement disparu de ce blog. Je suis ici [18] et Laura est là-bas [19]. On a des agendas et les esprits trop occupés. Je passe juste vous demander de croiser les doigts, parce que le résultat des Emmy International Award va être bientôt annoncé, et la série-télé Mothern fait partie des 4 finalistes dans la catégorie Fiction.

Il semble que les blogs, les livres et les films soient une source de créativité illimitée. Mais nous ne savons jamais lequel va venir en premier. Comme nous pouvons le voir, certains blogs meurent quand ils passent sous une autre forme. Les blogs peuvent aussi être des brouillons, le papier virtuel où les auteurs rédigent leurs premières lignes, jusqu'à ce que la magie remplisse toutes les pages. Comme l'écrit Deborah Icamiaba sur la réflexion de l'écrivain Paulo Coelho à propos des e-books [20] [en anglais], celui-ci semble avoir saisi et analysé la relation entre les différents supports :”Selon lui, la distribution gratuite des e-books favorise la vente des livres, parce que les lecteurs commencent à lire sur leur ordinateur, ensuite, une fois qu'ils sont plongés dans l'histoire, ils courent acheter le livre. L'une des raisons est qu'on préfère toujours la lecture sur papier. Que vous soyez d'accord ou non avec Paulo Coelho, le fait est qu'on ne peut pas ignorer ses techniques de vente.” Peut-être qu'avoir du succès sur le Web constitue un visa  pour passer sur les rayons des librairies ou sur les écrans.

A propos de livres, voir aussi “Faites le tour du monde en livres” [21]