Brésil : Ecrivains et poètes indiens sur la blogosphère

Il existe, parmi les blogueurs indiens au Brésil, un groupe particulier d'écrivains et de poètes. Bien que certains anthropologues et linguistes considèrent avec suspicion la notion de littérature indigène, car ils rattachent les origines de ce phénomène à une tradition occidentale qui a débuté avec Aristote, ces Indiens brésiliens d'origine amérindienne, tout comme ceux d'ascendance métissée, se sont auto-proclamés écrivains et poètes de littérature autochtone. Plus que cela, ils publient, font traduire leur oeuvres en d'autres langues et sont également des blogueurs prolifiques.

Daniel Munduruku

Daniel Munduruku

La figure la plus éminente du mouvement littéraire indigène au Brésil est Daniel Munduruku [en portugais comme l'ensemble des sites et blogs cités], un écrivain autochtone de la région amazonienne, habitant São Paulo. Ayant publié plus de 30 livres, il est le directeur de l’Inbrapi, un organisme créé en 2001 dans le but de protéger les connaissances traditionnelles contre le bio-piratage et l'exploitation par des tierces personnes. Daniel a un site web bilingue dédié à son oeuvre littéraire, avant tout destinée à la jeunesse, mais aussi un blog qui se consacre à attirer l'attention sur les informations qu'il considère comme importantes pour la cause des peuples indigènes. Ainsi, à l'occasion de la Journée internationale de la Femme, il a écrit cette magnifique déclaration :

Penso compulsivamente nas mulheres. Não se trata de um olhar desejoso, mas corajoso.
Corajoso porque, confesso, morro de inveja delas: da coragem, da obstinação, da intuição, do olhar sempre distante e sempre presente; da fortaleza e da fraqueza que revelam.
Sei que poderão pensar que isso é humano, presente em homens e mulheres. Eu discordo. Conheço o masculino, convivo com ele em mim e sei que por mais esforço que faça percebo um lobo faminto, sem escrúpulos e sem medida.
Acho que o homem masculino devia ouvir mais as mulheres. É claro que alguns dirão que elas falam demais. Isso também é justo e certo, mas talvez falem muito por terem sido ouvidas tão pouco em passado recente e terem, por isso, que gritar para se fazerem ouvidas. Por isso tenho a impressão que nós homens, precisamos exercitar o sagrado direito de fazer silêncio, ouvir, ouvir e ouvir.
Outros oponentes dessa teoria dirão que, assim, viraremos mulheres. Rebato o argumento dizendo: é disso que estou falando!
Ao menos hoje temos que calar para deixar nossa intuição falar. E minha intuição diz que preciso sentir a dor do outro pra compreendê- lo em sua dimensão humana.
Hoje quero ficar assim, miudinho, pequenininho, quietinho só para ver a magnitude do ser – mulher falar coisas que preciso ouvir.

Je pense de façon compulsive aux femmes. C'est moins sous l'aspect du désir que celui du courage. Le courage, parce  que, je l'avoue, je les envie vraiment : leur courage, leur détermination, leur intuition, leur air toujours distant et toujours présent ; la force et la faiblesse qu'elles révèlent.
Je sais que vous pouvez penser que ce sont là des traits humains, présents chez les hommes comme chez les femmes. Je ne suis pas d'accord. Je connais la masculinité, je vis avec elle à l'intérieur de moi, et je sais que j'ai beau m'efforcer, il y a toujours en moi un loup affamé, sans scrupules ni mesure. 
Je pense que l'homme viril devrait écouter les femmes. C'est vrai, d'aucuns diront qu'elles parlent trop. C'est aussi juste et évident, mais, si elles parlent autant, c'est peut-être pour avoir été trop peu écoutées dans le passé récent, et d'avoir eu, pour cette raison, à crier pour se faire entendre. C'est pourquoi j'ai l'impression que nous, les hommes, devons exercer le droit sacré de faire silence, d'écouter, écouter et écouter encore. Les opposants à cette théorie diront qu'ainsi, nous deviendrons des femmes. Je réfute leur argument en répondant : voilà exactement ce que je suis en train de dire!
Aujourd'hui au moins, nous devons nous taire pour laisser parler notre intuition. Et mon intuition dit que je dois ressentir la la douleur de l'autre pour comprendre sa dimension humaine.
Aujourd'hui, c'est ainsi que je veux être : petit, minuscule et tout tranquille, juste pour voir la grandeur de l'être – les femmes qui disent les choses que je dois entendre.

En parlant de femmes, le mouvement littéraire autochtone est merveilleusement représenté par Eliane Potiguara, écrivaine, professeure et militante indianiste, dont le nom a été proposé pour le prix Nobel de la Paix (pour le projet ‘Mille femmes du Monde’). Eliane, qui est originaire de l'Etat de Paraiba mais vit à présent à Rio de Janeiro, a également un site web personnel, sur lequel elle diffuse son oeuvre littéraire. Elle blogue, dans le cadre de son travail sur GRUMIN, un réseau de femmes indigènes qu'elle a contribué à créer, et dont elle est la coordinatrice actuelle. Ce blog est un outil de communication pour les femmes indigènes, sur lequel elle met en ligne un mélange de littérature et d'opportunités de carrières, tout en attirant l'attention sur les épisodes pertinents des épreuves subies par les femmes indigènes. Récemment, Eliane a mis en ligne un très beau texte sur la littérature des exclus, dont elle avait donné lecture lors d'une manifestation littéraire :

A literatura dos excluídos ainda é uma pele de Boto que foi destruído ao longo dos séculos e que está esquecido e abandonado no fundo dos rios a precisar renascer_ ardentemente_ com a força da alma da natureza e humana. Mas essa natureza está envolta nas amarras dos séculos de dor, do obscurantismo, dos grandes enigmas e contradições da própria existência, do divino e do amor. A literatura ainda é um segmento cultural e político que não consegue chegar na totalidade das camadas menos privilegiadas social e economicamente do Brasil e do mundo.
Esse Boto Literário precisa ser salpicado com as lágrimas emocionadas da Natureza, muitas desvairadas lágrimas. Aí sim, essas feridas do mundo¬_ que as mulheres indígenas as eternizaram com seus beijos de cura, bálsamos históricos, histórias não contadas e adormecidas no fundo do rio ou dos oceanos, essas sim, _ serão eternamente curadas, assim como o Boto literário.

The latest book by Eliane Potiguara         

Le dernier livre d'Eliane Potiguara

La littérature des exclus reste un lambeau de peau de Boto, qui a été détruit au long des siècles et gît oublié et abandonné au fond des rivières et qui doit – ardemment – renaître par la force de la nature et de l'âme humaine. Cependant, cette nature a été enveloppée dans des siècles de souffrance, d'obscurantisme, de profondes énigmes et contradictions de notre propre existence, de divin et d'amour. La littérature reste un segment culturel et politique, qui ne parvient pas à atteindre la totalité des couches moins privilégiées économiquement et socialement, brésiliennes et mondiales.
Ce Boto littéraire doit être aspergé des larmes émues de la nature, d'une abondance de larmes désespérées. Ensuite, bien sûr, ces plaies du monde, que les femmes indiennes rendent éternelles avec leurs baisers curatifs, leurs baumes historiques, et les histoires non racontées qui dorment au fond des rivières et des océans, ces plaies seront certes guéries pour l'éternité, comme le sera le Boto littéraire.

Un autre écrivain autochtone actif est Olivio Jekupe, qui a eu une vie incroyable, ayant dù surmonter de nombreux obstacles pour étudier la philosophie et devenir l'écrivain qu'il est aujourd'hui. Ayant publié de nombreux livres, dont certains traduits en italien, Olivio met en avant avec force la question de ses origines métisses, une réalité partagée par de nombreux Indiens du Brésil :

O mestiço é o mais discriminado nesse país, pois tanto eu quanto muitos no Brasil sofrem. Sei que sou mestiço e não tenho culpa de ser, e a miscigenação existe desde a chegada dos portugueses, não sou o primeiro índio não puro e não serei o último. Mesmo não sendo índio puro, quero dizer que tenho orgulho de ser o que sou e não podemos ter vergonha, meso que a sociedade nos discriminem.

Les métis [d'indiens] sont les plus discriminés dans ce pays, car mes semblables et moi sommes nombreux à souffrir au Brésil. Je sais que je suis métis et ce n'est pas de ma faute, le métissage existe depuis l'arrivée des colonisateurs portugais, je ne suis pas le premier Indien à ne pas être de pure race, et je ne serai pas le dernier. Même si je ne suis pas un pur Indien, je dois affirmer que je suis fier de ce que je suis et il nous est impossible d'avoir honte, même si la société nous discrimine.

Dans son blog, Olivio publie des articles sur la littérature indigène, comme par exemple sur l'intéressante histoire de l'origine indigène du Saci, un personnage du folklore très largement représenté dans les livres de Monteiro Lobato comme noir et unijambiste, alors que, selon Olivio, le vrai Saci a en fait deux jambes !

Imagem do Saci Pererê de Monteiro Lobato. Imagem de André Koehne sob licença do Creative Commons

Saci Pererê selon Monteiro Lobato. Image d'André Koehne sous licence Creative Commons 

Não sei se já ouviram falar que o Saci na verdade é um personagem indígena e que tem duas pernas, é provável que não ouviram ainda, pois eu fui o primeiro que escreveu dois livros que fala sobre esse personagem, tenho dois livros com o título – Ajuda do Saci, da Editora DCL, e o outro que se chama – O Saci Verdadeiro, da Editora UEL. Nos meus livros eu tento mostrar que o personagem tem duas pernas e é um índio, diferente da visão de Monteiro Lobato.
E sei que já tem documentários sobre esse tema, e muitas matérias que falei para jornalistas, e até teses de mestrado sobre o tema, como fez a escritora Graça Graúna onde ela fala do meu livro, O Saci Verdadeiro.
É importante que todos possam conhecer esse personagem onde tento mostrar o que nas Aldeias Guarani é comum ouvir sobre ele.
Sei que um dia minhas histórias serão tão conhecida que serei convidado para dar palestras em vários cantos do Brasil, de Norte a Sul do Brasil.
Je ne sais pas si vous avez entendu dire que Saci est en fait un personnage indigène et qu'il a deux jambes. Il est probable que vous ne le sachiez pas encore, car j'ai été le premier à écrire deux livres parlant de ce personnage, j'ai deux livres intitulés, l'un, Aidez le Saci, aux éditions DCL, et l'autre, Le Véritable Saci, publié par la maison EUL. Dans mes livres, j'essaie de démontrer que ce personnage a deux jambes et est indien, à la différence de la vision de Monteiro Lobato. Je sais qu'il y a déjà des documentaires sur ce thème, et j'en ai parlé à des journalistes dans de nombreux articles, des thèses de maîtrise ont même été écrites sur ce sujet, comme celle de l'écrivaine Graça Grauna, où elle cite mon livre, Le Véritable Saci. Il est important que tous puissent connaître ce personnage dont on entend communément parler, comme j'essaie de le montrer, dans les tribus Guarani. Je sais qu'un jour, mes histoires seront tellement connues que je serai invité à en donner lecture du Nord au Sud du Brésil.

Olivio mentionne Graça Graúna, encore une écrivaine indigène, poète, du Nordeste brésilien, originaire de l'Etat du Rio Grande do Norte, mais qui vit actuellement dans l'Etat du Pernambouc. Elle est aussi active dans la vie que sur la blogosphère. Son blog, qui a été récompensé, est très visité et apporte une brassée d'informations sur la littérature autochtone et sa merveilleuse poésie. Parmi de nombreux poèmes, j'ai choisi celui-ci pour le partager avec vous, et c'est aussi une fleur…

aos poetas Carlos e Sônia Brandão
… que Ñanderu* acolha
as pedras da nossa canção.
Que seja pedra enquanto leveza
o sinal: sem poesia os tempos não existirão
Graga Graúna, Nordeste do Brasil, 12 de março de 2009.
* Ñanderu, em guarani, significa Nosso Pai; o Grande Espírito, o Criador.

aux poètes Carlos and Sônia Brandão
… que  Ñanderu* accueille
les pierres de notre chanson.
Qu'elle soit pierre et aussi apesanteur
le signe : sans poésie les temps n'existeront pas   

Graça Graúna, le 12 mars 2009
* Ñanderu, en guarani, signifie Notre Père; le Grand Esprit, le Créateur.

Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur la littérature indigène, le blog NEARIN, tenu par le Noyau d'écrivains et artistes indigènes de l'INBRAPI, vaut la visite. Ce blog vise à fournir un espace de débats autour de la littérature et de l'art indigènes. Il apporte une variété d'informations sur ce thème, enregistrant les événements en rapport se déroulant à travers tout le Brésil, ainsi qu'une liste d'auteurs et de livres sur la littérature indigène. Pour ceux qui se trouveraient à São Paulo le 19 avril, Jour de l'Indien, allez faire un tour au Récital de Poésie Indigène, à la Casa das Rosas, 37, Avenida Paulista, qui débute à 15 heures, heure locale. Ci-dessous, l'invitation :

 

 

Au terme de cette visite fascinante de la blogosphère, posez-vous la question : y a-t-il le moindre doute qu'il existe bien une littérature indigène au Brésil ?

Dans le premier article de cette série, nous avons présenté la blogosphère indienne. Dans le prochain, vous apprendrez comment les Indiens du Brésil se sont servis de la blogosphère pour défendre leurs droits.

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