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Malawi : Deux femmes candidates et le régionalisme dominent les débats sur l'élection présidentielle

Catégories: Malawi, Economie et entreprises, Élections, Ethnicité et racisme, Femmes et genre

Le 19 mai prochain se tiendront au Malawi [1]des élections présidentielle et législatives. La soupe du jour (en français dans le texte) se focalise sur deux sujets : l’arrestation et la remise en liberté sous caution pour malversation d'un ancien président, Monsieur Bakili Muluzi, ainsi que la visite d’une délégation de l’Union africaine composée de deux anciens chefs d’état. Ces événements ont éclipsé une percée significative pour les femmes politiques, qui transforme  le paysage politique.

L'ex-Président Muluzi a déjà effectué deux mandats entre 1994 et 2004, mais il prétend que la Constitution l’autorise à se présenter de nouveau, une prétention a suscité des réactions mitigées dans le pays. Messieurs John Kuffour et Joachim Chissano, respectivement anciens présidents du Ghana et du Mozambique tentent- de manière injustifiée, d’après le blogueur Chingweshole [2] [en anglais, comme tous les blogs cités sauf mention contraire] – de l’en dissuader, afin de prévenir le conflit violent que sa candidature pourrait faire naître.

Bien qu'éclipsés par cette comédie,  deux progrès notables sont intervenus début février. Il s’agit de deux premières au Malawi qui ont alimenté toutes les conversations : une femme comme co-listière sur un ticket présidentiel en bonne position pour être élu,  et une autre femme, directement candidate au mandat de chef d’état. Il s’agit de Madame Joyce Hilda Banda [3] qui occupe actuellement le poste de Ministre des Affaires Étrangères, et de Madame Loveness Gondwe [4] , membre du parlement et présidente de la Nouvelle Coalition Arc-en-ciel qui propose de faire de la politique autrement.

On s’attendait à la candidature de Madame Loveness Gondwe, le 6 février. Ce qui a surpris, lorsque le président actuel, Monsieur Bingu wa Mutharika, a déposé sa candidature devant la Commission Électorale du Malawi a été l'identité de sa colistière [5], Madame Joyce Banda. Le nom des éventuels colistiers avait alimenté la rumeur, chacun des candidats voulant d’abord connaitre le choix de ses adversaires. Ce fut une sélection « orchestrée » et « secrète » d’après le blogueur Boniface Dulani [6] .

Le nom qui revenait le plus souvent lorsque l’on évoquait l’éventuel colistier de Monsieur wa Mutharika était celui de l’actuel Ministre des Finance, Monsieur Goodall Gondwe [7] , un économiste de renom et ancien du Fonds Monétaire International (FMI) considéré, avec Monsieur wa Mutharika, comme étant à l’origine du tournant qu’ont pris depuis 2004 les politiques économique et agricole du Malawi. Monsieur Goodall Gondwe s’est récemment vu décerner le prix du meilleur Ministre africain des finances pour l'année 2008 [8] . Un autre fait semblant confirmer qu’il était le meilleur candidat potentiel est qu’il est originaire du nord du pays – région qui semble marginalisée car faiblement peuplée par rapport aux deux autres régions du centre et du sud.

Le premier chef de l’état, Monsieur Hasting Kamuzu Banda était originaire de la région centrale, région qui a détenu le pouvoir politique pendant ses trentes années de pouvoir. Puis, de 1994 à 2004 le pouvoir s’est déplacé à la région méridionale de l’ancien président Bakili Muluzi. Monsieur Bingu wa Mutharika, qui occupe le poste actuellement, bien que sudiste, est perçu comme celui qui a donné à la région nord une percée politique illustrée par la nomination de Monsieur Goodall Gondwe aux finances. On pensait donc que Monsieur Mutharika choisirait un nordiste comme colistier.

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Madame Joyce Banda–Crédit photo: Hunger Project Photo

La nouvelle a enflammé les forums sur le Web sur lesquels il a tout de suite été noté que le choix de Madame Joyce Banda par Monsieur wa Mutharika allait à l’encontre de la norme établie depuis 2004, à savoir que président et vice-président ne doivent pas être de la même région. Certains y voient une trahison alors que la région nord a toujours été loyale. Le journaliste Bright Sonani [9] remarque sur son blog :

Ce n’est plus un secret. Le synode CCAP du Livingstone a finalement reconnu publiquement sa déception devant le choix de Madame Joyce Banda par le président Bingu wa Mutharika, au lieu de l’actuel ministre des Finances Monsieur Goodall Gondwe, qui semblait le candidat le plus probant comme colistier du leader du DPP.

Certains pensent que le président a joué une carte « régionaliste » [10], alors que d’autres pensent qu’en plus d’être pragmatique, il promeut ainsi la cause des femmes, en faisant remarquer que l’époux de Madame Joyce Banda, Monsieur Richard Banda, ancien Ministre de la justice, est lui même nordiste.

D’autres insistent sur ses réussites et sur son rayonnement en rappelant qu’en 1997 elle a reçu avec Monsieur Joachim Chissano – qui était alors le président du Mozambique – l’Africa Leadership Prize [11] , décerné par le Hunger Project, basé à New-York.

Le blog Malawi Politics [12] va plus loin :

Cette nomination arrive après qu'elle ait servi comme parlementaire, Ministre de l’émancipation féminine, du droit des enfants et des services communautaires où elle a réussi à imposer la loi contre les violences domestiques qui était rejetée depuis 7 ans. Elle a également conçu le cadre de la plateforme nationale concernant les orphelins, les mineurs vulnérables et la campagne tolérance zéro contre les sévices exercés sur les mineurs.
Madame Joyce Banda a marqué le Malawi à jamais en faisant avancer l’arsenal législatif et en fournissant à de nombreuses filles et femmes des possibilités éducatives leur permettant d’atteindre une certaine stabilité.

Mais pour le blogueur Isaac Ziba [13] , qui se dit lui même nordiste, peu importe que Madame Joyce Banda soit du sud. Isaac Ziba voit ce choix comme un « exorcisme » dont le pays a plus que besoin, afin de pouvoir se débarrasser de cette mentalité « régionaliste » [14]:

Je fais partie de ceux qui sont heureux du choix de Madame Joyce Banda comme colistière du président Bingu wa Muntharika dans ces élections. Ceci parce que je crois que le Malawi peut et doit être uni et que le Malawi peut être traité comme une seule nation. Certains pensent que pour exister le Malawi doit contenir trois parties – le nord, le centre et le sud. Cela fait des générations que nous fonctionnons de cette manière et cela me marche pas – nous avons besoin non seulement d’un changement fondamental de direction et d’un changement fondamental dans notre façon de faire de la politique, mais également d’un changement fondamental dans la manière dont nous travaillons – y compris sur le front du développement.

Sur son blog, Mzati Nkolokosa [15], également journaliste, dit qu’il n’est pas du nord et fait la liste de tous ses amis qui en viennent dans un billet intitulé « Mes amis nordistes ». Il dit que sa génération – celle de 25-35 ans – vit dans un Malawi dans lequel les idées comptent plus que le régionalisme. Il souligne que les équipes nationales sportives au Malawi [16] sont actuellement administrés par des gens du nord mais que les gens de sa génération n’y voient aucun problème du moment qu’ils font bien leur travail :

Ma génération se fiche que Mutharika et Banda soit du sud, de la même manière qu’elle n’est en rien gêné par le fait que le Ministre des Sports Monsieur Symon Vuwa Kaunda, l’ancien président Walter Nyamirandu, l’ancien PDG Charles Nyirenda, l’ancien agent administratif Sugzo Nyirenda et l’entraineur des Flames (n.d.t.: équipe nationale de football) Kinnah Phiri soient du nord.
Ma génération se fiche qu’ils tiennent leurs réunions en tumbuka ou en tonga (n.d.t: langues régionales). Tout ce qui nous importe et qu’ils fassent bien leur travail et qu’ils continuent. Ils ont transforme les Malawi Flames  en gagnants. Ils occupent ces postes grâce à leur travail et non à cause de leur région d’origine.