- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Sri Lanka : L'attention internationale, avantages et inconvénients

Catégories: Amérique du Nord, Etats-Unis, Royaume-Uni, Sri Lanka, Action humanitaire, Catastrophe naturelle/attentat, Droits humains, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Relations internationales

Les Tigres de Libération de l'Îlam tamoul (LTTE [1]) s'accrochent encore à une langue de terre au nord du Sri-Lanka, mais l'ONU estime que 50.000 personnes restent prises au piège dans la zone de guerre. Alors que la bataille culmine dans les affres de l'agonie, les inquiétudes pour les civils s'amplifient et les appels à l'attention internationale et à un accord se multiplient sur Internet et dans les rues des villes à travers le monde, comme à Londres [2], Berlin [3] et Paris [4]. Faut-il aider les Tamouls ? est devenu une question brûlante au Canada [tous les liens cités dans l'article sont en anglais].

Un appel à lintervention - manifestation de Tamouls à Ottawa. Photo Mikey G Ottawa, utilisée sous licence Creative Commons

Un appel à l'intervention – manifestation de Tamouls à Ottawa. Photo Mikey G Ottawa, utilisée sous licence Creative Commons

Mais de nombreux blogueurs mettent en question l'information obtenue à l'étranger sur la guerre prolongée dans l'île. Les articles dans les médias internationaux ont été insuffisants ou inexacts, tandis que le gouvernement sri-lankais empêche l'accès des journalistes au Nord [5], là où les civils sont en danger.

L'éminent blogueur sri-lankais et éditorialiste du Sunday LeaderIndi Samarajiva de indi.ca, appelle les LTTE à relâcher les civils qu'ils retiennent et critique la couverture la guerre par les médias internationaux [6] :

Franchement, je pense que la «communauté internationale» et les médias internationaux sont beaucoup trop prompts à proposer des solutions sans examiner la situation. Et ils sont, franchement, largement impuissants et hors de propos. A noter que Al Jazeera fait du vrai journalisme. Ils ont un type physiquement sur le terrain à Palmudai, les présentateurs posent de vraies questions et c'est ainsi qu'ils rapportent que les LTTE tirent sur les gens et les gardent en otage.

Les autres médias semblent du genre, «Nous ne comprenons pas, alors, euh, arrêtez». Sérieusement, sur CNN je vois souvent le présentateur, genre «Je ne sais pas ce qui se passe», et le reporter «Ouais, moi non plus» et moi, «Bravo de bousiller votre boulot en public». Mais Al Jazeera fait du bon travail.

Serendipity renchérit sur la critique, interpellant les médias qui se penchent trop tard [7] sur le cas du Sri-Lanka :

Une fois de plus, le monde des «petites phrases» s'est rappelé à nous au Sri Lanka. L'intensité soudaine avec laquelle les médias mondiaux sont tombés sur les derniers moments des LTTE est un indice de la nature éphémère d'une grande partie du journalisme, qui est un commerce en vue de vendre ou d'attirer une audience, dans le cas de la télévision. C'est pourquoi leurs motivations se situent plutôt dans le sensationnalisme, à l'inverse d'un intérêt sincère pour les informations qu'ils rapportent.

Jeremy Page, le correspondant pour l'Asie du Sud du Times de Londres, a une explication  pour la paralysie des médias internationaux dans la couverture du Sri Lanka. Il s'est fait refouler à l'aéroport de Colombo après avoir essayé d'entrer avec un visa de tourisme. Emmené dans un bureau isolé, il a été retenu jusqu'au lendemain et ensuite renvoyé du pays [8] :

Un message s'est allumé sur son écran : «ENTRÉE DANS LE PAYS INTERDITE.» Sur ce, on m'a confisqué mon passeport, j'ai été escorté vers une pièce de détention, enfermé pour la nuit, et expulsé le lendemain. Je ne dirai pas que cela m'a surpris, même si c'était ma première expulsion en 12 ans de reportages en Chine, en ex-URSS et en Asie du Sud.

Malgré de multiples demandes, on m'a refusé depuis août un visa de journaliste au Sri Lanka. Depuis près de deux ans, le gouvernement sri-lankais empêche la plupart des journalistes indépendants d'approcher la campagne militaire contre les Tigres tamouls. J'ai donc essayé d'entrer comme touriste pour écrire sur les 150.000 civils qui, selon les estimations de l'ONU, sont piégés dans une zone de sécurité avec les restes des Tigres. Les seuls autres pays où, autant que je sache, les journalistes étrangers sont obligés de se faire passer pour des touristes, sont le Zimbabwe, le Turkménistan et la Corée du Nord.

Pourtant, Andrew Stroehlin écrit sur Alerted que ce n'est pas parce que les journalistes n'ont pas d'accès direct à la zone de guerre qu'ils n'ont pas accès à l'information [9] :

Le fait que les journalistes ne soient pas autorisés à pénétrer dans la zone de conflit sri-lankaise ne veut pas dire que nous ne savons pas ce qui s'y passe. Nous avons les images par satellite qui montrent les concentrations importantes de gens pris dans les combats, et nous avons des informations de sources fiables sur le terrain. Des rapports récents selon lesquels un nombre non négligeable de civils se sont échappés n'ont pas changé les chiffres globaux : des sources indépendantes sur le terrain continuent à rapporter que plus ou moins 100.000 personnes restent prises au piège, épuisées, avec un accès limité à la nourriture et aux médicaments, dont beaucoup sous le feu.

Sur le blog du Comité pour la protection des journalistes, le directeur de programme pour l'Asie Bob Dietz met en exergue l'absence aussi bien d'accès que de couverture de la guerre. Il a mis en ligne les commentaires qu'il a faits lors d'une audition devant le Congrès américain sur le Sri Lanka. Il écrivait dans son préambule [10] :

Répondant à la question du manque d'accès, j'ai dit hier devant la commission Lantos qu'une question continue à me trotter dans la tête après une rencontre avec des étudiants sri-lankais à Ottawa en mars. Ils avaient fait le voyage depuis Toronto pour m'interviewer sur des questions relatives aux médias. L'une d'eux a mis en question la faible couverture internationale des combats au Sri Lanka. «Pourquoi, a-t-elle demandé, Anderson Cooper (NdT : journaliste et présentateur américain sur CNN) et ses semblables ne se tiennent-ils pas aussi près qu'ils peuvent de la guerre, tout comme ils l'ont fait quand les journalistes n'étaient pas autorisés à pénétrer à Gaza ?»

Je n'ai pas su lui répondre sur le moment, et pour vous dire la vérité, je n'ai toujours pas de bonne réponse. Les deux bords maintiennent évidemment la presse à l'écart de la zone de guerre, mais les médias d'information mondiaux pourraient faire plus pour rapporter ce qu'ils peuvent et pour poointer les restrictions. C'est une catastrophe humanitaire majeure au coeur de l'Océan Indien, et elle reste pratiquement sous silence, en-dehors des communiqués officiels des belligérants. C'est une recette garantie de désinformation.

Le blog The Lede du New York Times a mis lui aussi son poids dans la balance à propos de l'accès des journalistes au Sri Lanka. Le billet de Robert Mackey «Le monde est-il en train d'ignorer le Srebrenica sri-lankais?» a suscité jusqu'à présent 398 commentaires. Beaucoup d'entre eux appellent à une plus grande attention internationale, mais contestent également la comparaison entre le Sri Lanka et le génocide de 1995 en Bosnie-Herzégovine. Mackey écrit [11] :

Un reportage vidéo des Informations de Channel 4 à Londres jeudi (ci-inclus), montrant des cohortes de victimes civiles tuées la semaine dernière sous les feux croisés des troupes gouvernementales et des rebelles des Tigres tamouls (sous la dénomination officielle de L.T.T.E.), dans une partie du pays interdite d'accès aux journalistes, est insoutenable. Les images sont aussi éprouvantes que celles qui ont rempli les écrans de télévision pendant les guerres en Bosnie dans les années 90, mais, comme l'a souligné Lindsey Hilsum de Channel 4 dans son reportage, cette guerre sanglante, qui connait peut-être à présent ses derniers soubresauts, s'est déroulée largement hors de la vue des médias internationaux.

Comme dans les derniers mois de la guerre en Bosnie, l'incapacité des combattants à s'abstenir de bombarder les poches encerclées et densément peuplées de civils produit des résultats révoltants. Alex Thomson, de Channel 4, a écrit jeudi dans une lettre d'information par courriel : «On est amené à se demander si le Sri Lanka est en train de devenir un nouveau Srebrenica.»

Le commentateur DJ conteste cette comparaison [12] :

En tant que photographe qui a couvert la guerre au Sri Lanka, je trouve effrayante votre association de la situation là-bas avec Srebrenica. La guerre au Sri Lanka est épouvantable et il y a des reproches en abondance à faire des deux côtés. Les dizaines de milliers de civils retenus par les Tigres et bombardés par le gouvernement sont des victimes innocentes. Mais Srebrenica était un génocide organisé et exécuté par les Serbes de Bosnie pour assassiner des musulmans bosniaques innocents. Ils étaient alignés et fusillés, comme avec les Eisengruppen. Le gouvernement sri-lankais n'a aucun désir d'assassiner les civils tamouls pris au piège sur les plages de Mullaitivu. Il méprise dangereusement leur vie. C'est mal. Mais c'est loin d'être la même chose.

Mackey a mis à jour son billet le lendemain pour mettre au clair que la comparaison utilisait Srebrenica comme «un symbole de l'échec massif de la communauté internationale à protéger les civils dans une zone de guerre», et non comme une «dénomination de l'épouvantable massacre qui y a eu lieu après la chute de l'enclave.»

Darini Rajasingham Senanayake fait des observations sur l'attention internationale aux zones de conflit dans sa recension, publiée dans Groundviews, d'une biographie de Dharmaratnam Sivaram (connu sous son nom de plume , Taraki), un journaliste sri-lankais de premier plan qui a été assassiné en 2005. L'ouvrage de Mark Whitaker, Learning Politics from Sivaram: The Life and Death of a Revolutionary Tamil Journalist (Leçons de politique de Sivaram : Vie et mort d'un journaliste révolutionnaire tamoul) (Pluto Press, 2006), dit Senanayake, est une bonne leçon pour ceux qui atterrissent dans des zones de guerre [13] :

Comme correctif aux représentations dominantes sur les zones de conflit, et dédié aux «journalistes sri-lankais qui, comme Sivaram, ont risqué leur vie quotidiennement ou l'ont déjà perdue pour que les choses continuent à se savoir», ce livre devrait être une lecture obligatoire pour les consultants en développement et règlement de paix internationaux qui atterrissent dans les pays déchirés par les conflits, confiants dans la supériorité et l'objectivité de leurs «boîtes à outils» internationales et sûrs de leur production de savoir et de l’ «absence» concomittante de «capacités locales», qui imaginent les pays affectés par les conflits comme peuplés de nobles sauvages, de victimes et de brutes en attente d'aide et d'interventions psycho-sociales, en-dehors d'une mince couche de «société civile» – un mythe fondateur, et financeur, de l'industrie internationale de l'aide.