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Scandale au Brésil: des juges se disputent en direct à la télé

Catégories: Amérique latine, Brésil, Cyber-activisme, Droit, Manifestations, Média et journalisme

La diffusion en direct de la querelle de deux juges de la Cour Suprême du Brésil (STF) choque les Brésiliens. Le président de la Cour Gilmar Mendes [1] et le juge Joaquim Barbosa [2] se sont querellés le 22 avril, durant l’examen d’une loi visant à instaurer des modifications dans les registres civils – loi qui pourrait être contraire à la Constitution. Plusieurs milliers de personnes ont pu assister sur TV Justiça, au débat animé qui s’est retrouvé peu après sur Internet. Sur la blogosphère, le débat est toujours virulent.

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M. Barbosa accuse M. Mendes de « détruire la crédibilité du système judiciaire ». Il l’a également mis au défi de s’adresser au citoyen moyen afin de se rendre compte de son manque de popularité. M. Mendes a répondu à M. Barbosa « que sa moralité ne lui permettait pas de se poser en donneur de leçon ». Voici la vidéo de la chamaillerie [3] [pt]. Marisinha, qui l’a vue en direct, a laissé ce commentaire sur le blog Opus Lurie [4] [pt], disant qu'elle l’a jugé indigne.

Terrível incidente. Se Gilmar está destruindo a Justiça. Barbosa está colaborando para jogá-la no ridículo.

Incident terrible. Si Monsieur Mendes contribue à la destruction du système judiciaire, Monsieur Barbosa quant à lui le ridiculise.

Après l’incident, la session de la Cour a été suspendue et M. Barbosa est parti. M. Mendes a rencontré tous les juges à l’exception de deux (en plus de M. Barbosa, un juge était en vacances). A l’issue de cette réunion ils ont publié un communiqué [5] [pt] exprimant « leur confiance et leur respect » à M. Mendes. Depuis, le président a démenti toute rumeur de crise au sein de la Cour.

Le blogueur Marco Bahé sur Acerto de Contas [6] [pt] dit que la société se doit de réagir et est certain que la majorité des Brésiliens soutient Joaquim Barbosa. Le blog a lancé une pétition enligne [7] [pt] pour le soutenir et plus de 2 000 signatures avaient déjà été récoltées à la date de parution de ce billet.

“As palavras do ministro do Supremo Tribunal Federal Joaquim Barbosa, ontem, dão esperanças ao povo brasileiro. Enfim, um homem sério no Judiciário se pronuncia contra a aberração ética, moral e jurídica que é o senhor Gilmar “Dantas” Mendes. (…)
Gilmar conseguiu arrancar, ainda ontem, a assinatura de apoio de oito dos 11 ministros do STF. Foi uma carta curta que diz o seguinte: “Os ministros do Supremo Tribunal Federal que subscrevem esta nota, reunidos após a sessão plenária de 22 de abril de 2009, reafirmam a confiança e o respeito ao senhor ministro Gilmar Mendes na sua atuação institucional como presidente do Supremo, lamentando o episódio ocorrido nesta data.

« Hier, les mots du juge de la Cour Suprême M. Joaquim Barbosa, ont permis aux Brésiliens d’espérer. Un homme sérieux dans le système judiciaire s'est enfin exprimé contre l'aberration éthique, morale et légale qu’est M. Gilmar “Dantas” Mendes. (…)

M. Gilmar a pu réunir les signatures de huit des onze juges de la STF. Il s’agissait d’une petite lettre ainsi libellée « Les juges de la Cour Suprême du Brésil soussignés, à la suite de la session plénière du 22 avril 2009 renouvellent leur confiance et leur respect à M. Gilmar Mendes dans son rôle institutionnel de Président de la Cour Suprême tout en regrettant l’incident qui s’est produit aujourd’hui ».

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Joaquim Barbosa – Capture d’écran de la vidéo

Huit signatures ressemblent fort à un soutien inconditionnel de la Cour. Cependant, le bloggeur Blog do Melo [8] [pt] souligne un commentaire laissé sur le Blog do Azenha, par Mário de Oliveira [9] qui donne des informations non encore révélées par les principaux journaux : six de ces huit juges [10] sont employés par l’Instituto Brasiliense de Direito Público – IDP, une université privée dont le propriétaire n’est autre que Gilmar Mendes:

“Entre os professores desse instituto estão os senhores Eros Roberto Grau, Marco Aurélio Mendes de Faria Mello, Carlos Ayres Britto, Carlos Alberto Menezes Direito e a senhora Cármen Lúcia Antunes Rocha (cinco Ministros do Supremo). Ou seja, alguns dos Ministros do Supremo também são funcionários, empregados, prestadores de serviço ou contratados, seja lá como possa ser definida legalmente, a relação deles com o IDP do Presidente do Supremo. Também está na relação o Ministro Nelson Jobim.
Será que não estariam ética e moralmente impedidos de se manifestarem acerca do entrevero Joaquim Barbosa X Gilmar Mendes? Nesse caso, não há conflito de interesses já que de alguma maneira os citados têm relação com Presidente do Supremo que envolve remuneração?”

« Parmi les enseignants de cet institut figurent Messieurs Eros Roberto Grau, Marco Aurélio Mendes de Faria Mello, Carlos Ayres Britto, Carlos Alberto Menezes Direito et Madame Carmen Lúcia Antunes Rocha (5 juges de la Cour Suprême). Cela veut dire que certains juges de la Cour Suprême sont également des employés, consultants ou intérimaires, peu importe le terme légal, de l’IDP dont le propriétaire est le président de la Cour Suprême. Le nom du ministre Nelson Jobim apparait également dans cette liste.
Devraient-ils éthiquement et moralement être empêchés de parler de la querelle entre MM. Joaquim Barbosa et Gilmar Mendes ? N’y a-t-il pas dans ce cas un conflit d’intérêt considérant que les susmentionnés ont une relation comportant une rémunération avec le président de la Cour Suprême? »

Mécontente de la note écrite par les juges, la bloggeuse Tandai Ayan [11] [pt] a mis en ligne son propre manifeste :

“Se os oito ministros do STF emitiram nota de apoio ao Min. Gilmar Mendes, Presidente do STF eu, Tandai Ayan, brasileira, eleitora apta em meu município, contribuinte regular dos impostos, dentre estes os que pagam os salários dos eminentes Ministros do STF, quero aqui, MANIFESTAR MEU APOIO, de público, ao MINISTRO JOAQUIM BARBOSA, não somente pelo episódio ocorrido, mas, sobretudo, por traduzir a insatisfação do Povo Brasileiro neste contexto atual do Poder Judiciário, e particularmente de minha pessoa, como cidadã que sou, na defesa dos princípios constitucionais e na moralidade do Poder Judiciário.”

« Si les huit juges ont commis une note en soutien au juge Gilmar Mendes, Président de la STF, moi Tandai Ayano, Brésilienne, électrice dans ma ville, payant régulièrement mes impôts qui servent entre-autres à rémunérer les juges de la STF, par la présente veux publiquement exprimer mon soutien au JUGE JOAQUIM BARBOSA, pas seulement au regard de ce qui s’est passé, mais surtout pour avoir traduit le mécontentement populaire envers le système judiciaire brésilien et, en ce qui me concerne particulièrement, en défense des principes constitutionnels et de la moralité du système judiciaire. »

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Gilmar Mendes – Capture d’écran de la vidéo

Quelques voix se sont également élevées en soutien à Gilmar Mendes. Dont celle d’Adrualdo Catão [12] [pt] qui pense que Gilmar Mendes est un bon juge qui fait son travail et qui a été victime d’une agression en direct à la télévision :

“O Ministro Barbosa precisa pensar um pouco na responsabilidade de sua missão. Sair por aí atirando pedras, simplesmente porque discorda da tese dos outros não é algo próprio de um membro do STF. Muito menos repercutir acusações abstratas de blogueiros e revistas. Se tem algo contra Mendes, que prove.”

« Le juge Barbosa devrait réfléchir un minimum à la responsabilité qui lui incombe du fait de sa mission. Lancer des pierres à l'entour au seul motif qu’il n’est pas d’accord est un peu léger de la part d’un membre de la STF. Propager les accusations de blogueurs et les journaux l’est encore plus. S’il a quelque chose contre M. Mendes, qu’il le prouve. »

Eduardo Graeff [13] [pt] pense que la querelle a soulevé une question fondamentale pour le pays: l’affrontement entre la modernisation et le conservatisme du système judiciaire brésilien. Il dit que Gilmar Mendes pourrait être perçu par certains comme un empêcheur de tourner en rond, mais que pour d'autres dont lui-même, il représente une lueur d’espoir :

“Os conservadores reclamam do ativismo do presidente do STF. Esse pecado é na verdade a grande virtude de Gilmar Mendes. Ele comprou a briga pela modernização da Justiça. Pisou no acelerador das mudanças possibilitadas pela Constituição de 1988 e começadas por Nelson Jobim e Ellen Gracie. Botou o dedo nas feridas do corporativismo, do laxismo, do populismo judicial.”

« Les conservateurs se plaignent de l’activisme du président de la STF. Ce défaut est en fait la plus grande qualité de Gilmar Mendes. Il s’est emparé de la lutte pour la modernisation du système judiciaire. Il a embrayé à toute vitesse sur les changements permis par la Constitution de 1988 et initiés par Nelson Jobim et Ellen Gracie. Il a mis du sel sur les plaies du corporatisme, du laxisme, du populisme judiciaire. »

Réponses aux réactions des médias

Gilmar Mendes a toujours joui du respect des médias, malgré des décisions controversées [14] [en anglais] qui ont causé des rancunes tenaces dans le monde judicaire et ont donc porté atteinte à sa popularité. Luis Nassif [15] [pt] a collationné les réactions des media à l'accrochage et conclu qu’il est grand temps que les grands médias se rattrapent :

“A resistência da mídia em manter os olhos fechados a essa postura horrorosa de Gilmar Mendes cobrou um preço altíssimo, no descrédito dos jornalões. Já escrevi algumas vezes que jamais vi um divórcio igual entre a linha dos jornais e o pensamento do leitor.”

« La persistance des médias à fermer les yeux face au comportement inadmissible de Gilmar Mendes leur a coûté leur crédibilité. J’ai plusieurs fois écrit que je n’avais jamais vu un tel divorce entre les journaux et ce que pensent les lecteurs »

Luiz Carlos Azenha [16] liste des faits sur lesquels les médias devraient se concentrer au lieu de le faire sur le supposé mauvais caractère de M. Barbosa. Il dit que les médias font de la désinformation, induisent le public en erreur au lieu d’expliquer. Il conclut :

“Ora, para explicar os motivos por trás do bate-boca entre Gilmar Mendes e Joaquim Barbosa, a mídia seria obrigada a fazer o que não fez até agora: informar. Por isso, tanto ela quanto Gilmar Mendes vão mudar de assunto rapidinho.”

« Eh bien, pour expliquer les raisons derrière la dispute entre Gilmar Mendes et Joaquim Barbosa, les média seraient obligés de faire ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’à présent : informer. C’est pourquoi, aussi bien les média que Gilma Mendes vont tourner la page très vite »

Sur Twitter, @candidanobre [17] montre le gouffre entre médias traditionnels et médias sociaux:

gilmar mendes dominando a grande mídia e o #joaquimbarbosaday movimentando por aqui. Por estas, ainda tenho esperança na rede.

Gilmar Mendes fait la une des media traditionnels alors que nous nous enthousiasmons pour # joaquimbarbosaday ici. C’est pourquoi, je crois toujours dans le Web.

Réactions enligne et la #journéejoaquimbarbosa

hashtags

Pour beaucoup le juge Joaquim Barbosa a exprimé ce que beaucoup de Brésiliens pensent de Gilmar Mendes, et les sites de réseaux sociaux fourmillent de réactions. Beaucoup de nouvelles communautés se sont créées sur le populaire site Orkut, certains mettent même en avant le nom de Joaquim Barbosa en avant comme candidat à la présidentielle de 2010 [18] . Un nouveau blog – je suis fan du juge Joaquim Pereira [19] – a vu le jour. Mais les réactions les plus prometteuses étaient sur la twittersphère, beaucoup de personnes changeant leurs avatars pour manifester leur soutien au juge Barbosa. C’était #lajourneejoaquimbarbosa. [20]
Le blog Twitter Brésiliens [21] [pt] explique comment tout a commencé : @direitodopovo [22]a twitté dans la matinée en ayant comme avatar une photo de Joaquim Barbosa et le hashtag #lajournéejoaquimbarbosa.

“A campanha, criada por @direitodopovo, rendeu mais de 400 mensagens e a participação de 50 tuiteiros, uma média de 8 mensagens por usuário.”

« Le mouvement commencé par @direitodopovo a eu plus de 400 réactions et la participation de plus de 50 tweeters, avec environ 8 messages par usager »

6471514 [23]


Antonio Arles
[pt] dit que le Web se prouve une fois de plus être un outil important dans l’exercice des droits civiques :

“Através do Twitter fizemos um “twitasso” (manifestação virtual) para apoiar o Ministro Joaquim Barbosa, que ontem (22)  falou o que estava entalado na garganta de grande parte do povo brasileiro para o ministro Gilmar Mendes. O ministro Gilmar Mendes, presidente do STF, vem desmoralizando a Justiça com seus arroubos autoritários e suas “ligação perigosas” com bandidos julgados e condenados.”

« Nous avons fait un twitasso (évènement virtuel) sur Twitter pour soutenir le juge Joaquim Barbosa, qui hier (le 22 avril) a dit au juge Gilmar Mendes ce qui était reste au travers de la gorge de nombreux brésiliens. Le juge Gilmar Mendes, Président de la STF, a démoralisé le système judiciaire par son autoritarisme et “ses liaisons dangereuses” avec des criminels jugés et condamnés ».

Saine querelle

Malgré des très nombreuses critiques dans les médias et l'opinion, et malgré le fait que la querelle ait même été retransmise en direct à la télévision, certains juges pensent que c'est le moyen d’avancer : Marcos Alencar [24] [pt] souhaite que chaque audience judiciaire dans le pays soit retransmise en direct afin d’accroître la transparence :

Quase todos os dias, sabemos de histórias envolvendo discussões acirradas e desrespeitosas entre Juízes e advogados, que se esvaem diante da falta de provas. Com a filmagem, isso seria coibido e teríamos como apurar quem provocou os desrespeitou quem.
Imagine se essa sessão do STF não tivesse sido filmada, divulgada ao vivo na TV Justiça? Certamente ficaria apenas no disse-me-disse, muito diferente de todo o espetáculo televisivo.
Tenho certeza que filmadas as audiências o respeito entre os Magistrados e advogados reinariam, continuaria a haver confronto, mas dentro de uma linha de respeito.

On nous rapporte pratiquement tous les jours des histoires de débats houleux et sans respect entre des juges et des avocats mais sans fondement car sans preuves. S’ils étaient filmés, on pourrait empêcher cela et nous pourrions vérifier qui a provoqué ou manqué de respect aux autres.
Et si cette séance a la Cour Suprême n’avait pas été enregistrée et diffusée en direct à la télévision ? Elle aurait fini par des on-dit, très différents du spectacle télévisé.
Je suis certain que si les séances judiciaires étaient enregistrées il y aurait plus de respect entre les juges et les avocats, il y aurait toujours des confrontations mais avec plus de respect.

Le juge Jorge Alberto Araujo [pt] pense que les débats animés sont en général positifs: [25]

“É muito bom que tenhamos um certo embate na nossa Corte Superior. Dá uma sensação de que as decisões não são de bastidores e que os magistrados de primeiro grau, e por conseguinte o Poder Judiciário como um todo, têm, por exemplo nas pessoas dos ministros Joaquim Barbosa e Marco Aurélio, seus atentos defensores, havendo aquele importante contrapeso que impede que a Justiça, nas palavras do próprio Ministro Joaquim Barbosa, seja destruída.”

« Il est bon d’avoir un clash au sein de notre Cour Suprême. Cela nous donne le sentiment que les décisions ne sont pas prises dans le secret, et que les premiers magistrats et donc tout le système judiciaire a des supporters aussi attentifs que les juges Joaquim Barbosa et Marco Aurelio, assurant un important contrepouvoir afin d’empêcher le système judiciaire – et j’utilise les propres mots du juge Joaquim Barbosa – d’être détruit. »

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Posté le 23 avril 2009 by arlesophia [27]