- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

L'histoire de Lena : la remontée de l'enfer

Catégories: Ukraine, Cyber-activisme, Santé, Rising Voices
La newsletter internet “Motilek” [1][en ukrainien] a publié récemment une lettre d'une lectrice qui partage l'histoire d'une jeune femme libérée de prison il y a quelques mois et qui essaie de reconstruire sa vie.
Le nom de la femme dans l'histoire est Lena, et elle a été emprisonnée pour trafic de drogues.

“Motilek” est éditée par les membres de l'organisation ukrainienne Drop-in Center [2] [en ukrainien]. Celle-ci, soutenue par Rising Voices [3][en anglais] travaille avec les toxicomanes et utilise les nouveaux médias pour faire connaître les histoires de personnes vivant dans des conditions difficiles. Lena a commencé à écrire pour la newsletter lorsqu'elle était en prison, décrivant la vie derrière les barreaux. Maintenant, elle écrit sur la façon dont une personne victime de toxicodépendance s'adapte à la vie de tous les jours après un séjour en prison. Lena a déjà publié plusieurs articles, et dans l'avenir,  les éditeurs du Drop-In Center veulent l'employer comme auteure permanente pour les nouveaux projets médiatiques gérés par l'organisation.

 

Bénévoles de Drop-In Center à Tallinn, Estonie

Bénévoles de Drop-In Center à Tallinn, Estonie

À sa sortie de prison, Lena n'avait pas de logement. Grâce aux fonds du Drop-In Center, elle a pû être admise dans un foyer pour sans-abris, mais elle est en partie peu de temps après. Lena a utilisé des substances opiacées, donc les programmes de thérapie de substitution ne peuvent pas être utilisés pour la soigner. Mais les travailleurs sociaux de Drop-In Center ont essayé de la motiver à abandonner la drogue et l'alcool et à changer sa vie. Ils l'ont également encouragée à continuer à écrire. Actuellement, Lena est traitée dans un hôpital spécialisé dans la prise en charge des patients atteints par le VIH à Kiev, en Ukraine.

Lena raconte son histoire [4] [en anglais] dans la newsletter. Il s'agit de l'histoire sincère d'une femme seule qui n'a pas de logement permanent, qui est séropositive, et qui vit avec la toxicomanie. Ci-dessous se trouvent quelques extraits :

Lena

Lena

Parfois, je ne comprends pas pourquoi je fais encore et toujours les mêmes erreurs. J'ai l'impression de vivre ma vie comme si elle était un simple brouillon dans lequel je peux faire autant d'erreurs et écrire autant de “scénarios” que je veux. Personne ne sait quand je commencerai à écrire une “une version au propre” de ma vie. Souvent, lorsque la journée commence, je me dis que je vais recommencer ma vie à zéro, mais allez savoir pourquoi ma vie se résume toujours à une succession “d'aventures” et de “bavures”. Pourquoi ? Est-ce que c'est à cause de mes accoutumances ou suis-je tout simplement stupide ? La seule chose qui m'effraie est que je risque de vivre ainsi pour le restant de mes jours… Et que je n'aurai pas le temps “d'écrire une version au propre”.

Ici, elle réfléchit sur la façon de réussir dans la vie :

Peut-être que pour réussir dans la vie, il faut minimiser ses problèmes, mais malheureusement je ne suis pas très douée pour ça. En toute honnêteté, je suis très mauvaise à ça. La plupart du temps, je crée le problème moi-même.

Dans son histoire, elle réfléchit également sur sa sortie de prison :

Cela peut paraître étrange, mais je dois admettre que la prison n'est pas le pire endroit qui existe. Ma sortie de prison a été beaucoup plus douloureuse pour moi. Lorsque que j'étais en prison, j'avais rêvé de liberté, fait des projets réjouissants… Mais la réalité est très différente. Apparemment, je me suis retrouvée entourée de soucis et de problèmes. Par conséquent, malgré les tentatives du personnel du Drop-In Center, je suis retournée à la vie que j'avais auparavant.

Au début, j'avais l'impression de tout “maîtriser” et je faisais ça uniquement “pour surmonter le stress et la fatigue”. Ensuite, comme toujours, je me suis laissée aller : drogues de toutes sortes et de toutes les couleurs, alcool, relations sexuelles sans lendemain… J'ai quitté un emploi avant même d'avoir commencé, je n'avais pas réglé mes problèmes avec la police… Pour une raison inexpliquée, j'avais honte d'appeler et de demander de l'aide au Drop-In Center. En revanche, je me suis dupée en me disant que tout allait bien… J'étais dans un environnement que je détestais mais que je connaissais très bien. C'est étrange, mais souvent les gens sont plus à l'aise dans un environnement horrible mais très familier plutôt que dans un endroit décent mais complètement inconnu…

Elle parle également de la vie sous l'influence de drogues :

Lorsque vous êtes sous l'influence de drogues, votre cerveau arrête de fonctionner et vous ne pensez pas aux conséquences de vos actions. Au bout d'un certain moment, il vous importe peu d'être en prison ou pas et vous commettez des infractions.

Je me suis donc retrouvée encore une fois au fond. C'était comme une spirale diabolique. Il semblait que j'étais condamnée à être au fond. Condamnée par qui? Condamnée par moi-même ! J'ai fait ça moi-même ! Je me suis transformée en une esclave à la toxicodépendance, un monstre terrible qui vit sans peurs et sans larmes, avec des instincts à moitié morts, et avec le seul désir d'obtenir une drogue par tous les moyens.

J'ai soudainement réalisé que j'avais besoin de changer quelque chose en moi. Très sincèrement, pas une seule chose mais tout. Il n'est pas possible de faire des projets magnifiques et de se sentir plein d'énergie pour changer sa vie lorsqu'on est en prison, mais lorsque vous sortez de prison, vous recommencez à ruiner votre vie. Je ne peux pas accuser la société ou la crise économique. Je suis responsable de cette situation.

Après avoir compris ceci, j'ai eu une forte envie de changer et de changer ma façon de vivre. Ce n'est pas ma première tentative mais j'espère que cela sera la dernière. Je viens de réaliser que je gâche ma vie avec quelque chose qui n'en vaut pas la peine. J'ai également réalisé que je n'avais pas beaucoup de temps. J'ai peut-être déjà effectué 9/10 de ma vie, mais je peux faire en sorte que le dernier 1/10 soit différent.

J'ai lu un livre d'un homme très respecté dans mon milieu. Je me souviens encore d'une idée de ce livre. Lorsque d'une personne se noie, elle doit atteindre le fond, pousser et nager. Chacun a son propre fond. Allongée sur un lit dans un hôpital spécialisé dans la prise en charge des patients atteints par le VIH , j'ai réalisé que j'avais atteint mon fond et qu'il était temps de rassembler toute ma volonté et de faire l'escalade si je ne voulais pas devenir comme certains de mes amis.

Je suis consciente qu'il est beaucoup plus difficile d'escalader que de descendre mais j'ai des personnes autour de moi qui me soutiennent et qui peuvent m'aider si j'en ai besoin. Mon but est de briser le cercle vicieux.

Si je me suis réveillée aujourd'hui en pleine forme. Si je suis capable de marcher, de voir, de penser, cela signifie que j'ai de la chance… J'ai encore le temps de construire quelque chose et je crois que je peux réussir si je me concentre sur trois choses essentielles : m'occuper de ma santé, un travail intéressant, et la volonté de ne pas rechuter.