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Brésil : Campagne de diffamation contre la candidate à la présidentielle Dilma Roussef

Catégories: Amérique latine, Brésil, Élections, Gouvernance, Histoire, Idées, Média et journalisme, Politique

Son nom a déjà été avancé par le Président brésilien Lula da Silva comme sa candidate préférée du Parti des travailleurs [1] pour l'élection présidentielle de 2010.  Depuis qu'elle a gagné l'appui de Lula, Dilma Roussef [2] a suscité un très grand intérêt dans la presse brésilienne. Il semble cependant que les médias ont mis de côté leurs bons principes journalistiques pour ce qui a trait aux informations publiées sur Dilma Roussef [Les blogs et sites cités sont en portugais].

C'est un fait que les blogueurs brésiliens n'ont pas manqué de remarquer. Ceux-ci ont s'interrogent en effet sur les véritable motifs cachés d'une seérie de fausses informations publiées dans les médias.

Dilma Roussef est économiste. Elle avait travaillé comme secrétaire d'état à l'énergie dans l'État de Rio Grande do Sul [3] avant de devenir Ministre de l'énergie en 2003.  En 2005, elle fut nommée Secrétaire générale de la Présidence.  Dans sa jeunesse, Dilma Roussef [2] a été membre du mouvement de résistance contre la dictature militaire qui avait orchestré un coup d'état [4] au Brésil en 1964.

Relatant l'épisode de la vie de la candidate potentielle durant la dictature, le journal brésilien Folha de São Paulo (qui tire à 300 000 exemplaires par jour [5] ) a publié en première page une information, provenant principalement d'un pourriel, et prétendant que l'information avait été puisée dans les Archives publiques de l'État de São Paulo(DEOPS).  La copie d'un faux casier judiciaire de Dilma Roussef qui circule sur Internet depuis plus d'un an y est publiée. Or, ce document n'existe pas dans les archives publiques.  L'histoire porte sur le prétendu rôle que Dilma Roussef a pu jouer dans un événement survenu il y a 40 ans. Cet événement, l'enlèvement du Ministre des Finances de l'époque, Delfim Netto, n'a en fait jamais eu lieu.

S'agit-il simplement d'un manque d'investigation ou alors d'une erreur due à la naïveté ? La motivation du journal était-elle de faire sensation pour vendre plus d'exemplaires ?

Selon le blogueur Rodrigo Vianna [6], il s'agissait certainement de motifs politiques :

O selo “capturado” não era comum em fichas desse tipo no DOPS. Documento pode ter sido forjado por sites de “extrema-direita”. A “Folha”, pelo visto, mantem as velhas parcerias…
Estava já evidente que a tal “reportagem” fora feita sob encomenda para ser usada no programa politico de 2010. O uso de uma falsa ficha do DOPS seria apenas um passo a mais na caminhada da “Folha” rumo ao esgoto.

Le timbre qui a été ”reproduit ” n'était pas normalement utilisé dans ce type de fichiers du département de l'ordre social (DOPS).  Le document aurait pu être falsifié  par des sites web ‘”d'extrême droite ”.  Il semblerait que ‘Folha de São Paulo entretient bien ses anciennes allégeances…

Il était déjà évident qu'un pareil rapport avait été taillé sur mesure afin d'être utilisé durant la campagne politique de 2010.  L'emploi d'un fichier falsifié DOPS par le ”journal” constitue simplement un autre pas vers le fond.

Capture décran de larticle de journal sur le blog de Paulo Henrique Amorim

Capture d'écran de l'article de journal, sur le blog de Paulo Henrique Amorim

Dilma Roussef a envoyé une lettre à Folha de São Paulo exigeant une explication concernant cet article, publié sans preuves et basé sur un événement qui n'a pas eu lieu. Mais le journal a omis de la publier.

Le blog de Luis Nassif a révélé ceci au grand jour. [7] Il a publié une copie de la lettre de Dilma  Roussef . Elle avait écrit :

“Apesar da minha negativa durante a entrevista telefônica de 30/03 sobre minha participação ou meu conhecimento do suposto seqüestro de Delfim Neto, a matéria publicada tinha como título de capa “Grupo de Dilma planejou seqüestro do Delfim”. O título, que não levou em consideração a minha veemente negativa, tem características de “factóide”, uma vez que o fato, que teria se dado há 40 anos, simplesmente não ocorreu. Tal procedimento não parece ser o padrão da Folha de São Paulo.
(…)
“Por último, cabe deixar claro que a ficha falsa foi divulgada em vários sites de extrema direita, como: a) Ternuma (Terrorismo Nunca Mais), blog de apoio ao Cel. Carlos Alberto Brilhante Ustra, ficha falsa postada em 30 de novembro de 2008; b) Coturno Noturno – Blog do Coronel: ficha falsa postada em 27 de março de 2009 (a ficha está “atualizada” apresentando uma foto atual) (http://coturnonoturno.blogspot.com/2009/04/desta-parte-dilma-lembra-tudo.html). A partir daí, outros sites na internet também divulgaram a ficha: a) http://fórum.hardmob.com.Br/showthread.php; b) http:/www.viomundo.com.Br/blog/dilma-terrorista/

« Malgré mes démentis lors d'un entretien par téléphone le 30 mars à propos de ma participation dans le prétendu enlèvement de Delfim Netto, ou encore ma connaissance de ce fait, l'article publié avait comme titre, en première page, ”Le groupe de Dilma a planifié l'enlèvement de Delfim”.  Le titre n'a pas pris en considération mes vifs démentis. Il a introduit des éléments fictifs, bien que l'événement, qui est supposé s'être produit il y a 40 ans, n'a tout simplement pas eu lieu. Un article pareil ne semble pas être digne des principes de Folha de Sao Paolo.

(…)

”De plus, il est important de mettre au clair que le fichier falsifié a été publié par plusieurs sites web d'extrême droite tels que : a) Ternuma (Terrorismo Nunca Mais), un blog qui appuie le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra – le fichier falsifié avait été publié [sur le site]  le 30 novembre 2008; b) Coturno Noturno o Blog do Coronel - le fichier falsifié avait été publié le 27 mars 2009 (le document avait été ”actualisé ” pour montrer une photo d'identité récente). Depuis cette date, d'autres sites ont aussi diffusé le fichier.

De fausses copies de dossier telle que celle-ci ont circulé sur Internet depuis un an. Les blogueurs ont remarqué que la photo de Selma Roussef avait été changée.

Coturno Noturno o Blog do Coronel – qui peut être traduit par «Botte de combat nocturne, le blog du Colonel» a un graphisme de camouflage militaire et se moque du passé de Dilma Roussef, lorsque celle-ci fut arrêtée et torturée pour avoir lutté contre la dictature au début des années 70.  Le blogueur [8] promet qu'elle ne perd rien pour attendre :

No dia 27 de março, o Blog publicou um post mostrando uma ficha da ministra Dilma Rousseff, que descrevia os seus velhos tempos que tanto a orgulham quando convém, com uma mudança bem humorada: a foto foi atualizada para mostrar a nova fisionomia embotacada e repuxada da candidata.
“Diga pra velha que eu volto! Diga pra ela se tratar!” E volto não tão crazy como antes, com o beneplácito dos leitores e pelo voto direto, mas com a minha melhor qualidade: a capacidade ilimitada de irritar petralhas até dos mais altos escalões. Candidata, a gente nem começou.

Le 27 mars, ce blog a publié un dossier sur la secrétaire Dilma Roussef où son passé est décrit – elle qui réveille son orgueil seulement lorsque cela lui convient – avec une note humoristique : la photo a été mise à jour pour montrer la candidate avec un nouveau visage, plus rond et plus étiré.

Dîtes à la bonne femme que je serai de retour ! Dites lui de faire attention ! ”  Et je reviendrai moins fou qu'avant, avec le consentement des lecteurs et  je serai en faveur du droit de voter, mais avec ma meilleure qualité : le pouvoir illimité d'irriter ”petralhas”(contraction du mot ‘petista’- partisan du Parti des ouvriers brésiliens – et ‘irmaos metralhas’, nom au Brésil des personnages de dessins animés les Beagle Boys [9]), même ceux du plus haut rang.  Chère candidate, vous n'avez encore rien vu.

La seule rétractation consentie par Folha de São Paulo a été publiée le 25 avril, vingt jours après que le fichier falsifié eu fait la une du journal.  Cette fois-ci, l'histoire n'a pas fait pas l'objet de la première page ; elle n'a pas respecté non plus les règles d'égale proportion lorsqu'un journal publie un second article pour rectifier le précédent.  Après avoir lu le contenu du second article dans le journal, Blog do Melo [10]aboutit à deux conclusions et reproduit un article [10] intitulé ”Quand le ‘nous avons fait une erreur‘ vise à camoufler une fraude”, article rédigé par Sylvia Moretzsohn, journaliste et professeur à l'université fédérale de Fluminense :

Quando publicou a reporcagem sobre o tal sequestro de Delfim Netto (que nunca houve), a Folha queria atingir dois objetivos: mostrar que Dilma era uma “terrorista” (você entregaria o governo na mão de uma?) e fustigar os que combateram a ditadura, que para a Folha e Pinochet (veja vídeo acima) foi ditabranda. A jornalista Sylvia Moretzsohn (…) escreveu o seguinte artigo, publicado no Observatório da Imprensa [11] [pt], onde mostra que o erramos da Folha significa fraudamos:
“(…) No entanto, errou, também, duplamente: primeiro, ao dizer que o jornal havia reconhecido ser “falsa” a tal ficha; segundo, e mais importante, ao tratar como “erro” algo que é evidentemente uma fraude. Delimitar com clareza a distinção entre uma coisa e outra é fundamental para uma crítica justa, dadas as implicações – jurídicas, inclusive – que cada uma dessas práticas importa.'”

En publiant cette histoire mesquine du prétendu enlèvement de Delfim Netto, qui n'a jamais eu lieu, Folha voulait atteindre deux objectifs : montrer que Dilma était une ‘terroriste’ (mettriez-vous le pouvoir de l'État entre les mains d'une terroriste ?) et cibler ceux qui se sont opposés à la dictature, qui, pour le Folha de São Paulo et le dictateur chilien Pinochet [12](voir la vidéo dans le blog) était une ”ditabranda’ [13]‘(dictature douce).  La journaliste Sylvia Moretzsohn a rédigé le texte suivant, qui a été publié dans Observatorio da Imprensa [11] :

(…) Néanmoins, ils ont commis une double erreur : la première quand ils ont prétendu que le quotidien aurait reconnu ce dossier comme étant ‘faux’.  La deuxième, qui est un point plus important, est qu'ils ont considéré comme ‘erreur’ une chose qui constitue sans aucun doute une fraude.  Il est important de bien discerner entre une chose et l'autre si l'on veut obtenir une critique juste, étant donné les conséquences – y compris celles légales – qu'une de ces actions pourrait entraîner.

On trouve d'autres critiques de la façon dont le journal a fait son mea culpa dans le blog de Rodrigo Vianna [14]. Celui-ci mentionne un autre fichier falsifié portant sur José Serra, [15] le gouverneur de Sã Paulo, dans lequel le politicien est décrit comme Nosferatu, un terroriste et un vampire.  Son passé d'étudiant militant et d'activiste est également mentionné (Dilma et Serra ont combattu tous les deux la dictature, comme l'ont fait beaucoup d'autres personnages politiques brésiliens actuels) :

Mais de 20 dias depois, a “Folha” publica neste sábado (sem chamada de capa, ressalte-se) um texto estranhíssimo, sob o título: “Autenticidade de ficha de Dilma não é provada”.
Não é provada por quem? A quem caberia provar, se não ao próprio jornal que estampou o material em sua primeira página? Ora, até para manipular e fazer campanha antecipada é preciso um pouco mais de cuidado. Mas a “Folha” dá mostras de caminhar rapidamente rumo ao esgoto.
O pessoal da policia paulista que não gosta muito do Serra fez circular pela internet uma “ficha” do Serra. A autenticidade “não pode ser assegurada – bem como não pode ser descartada”. Foi essa a frase da “Folha” para definir a “ficha” da Dilma. Será que a “Folha” publicaria a “ficha” do Serra?

Plus de 20 jours plus tard, Folha de São Paulo a publié un samedi (sans titres sur la page couverture, notez-le bien) un article bizarre intitulé : ”Pas de preuve de l'authenticité du dossier de Dilma”. Par qui donc? Qui devrait faire la preuve si ce n'est le journal lui-même qui avait publié l'information en première page ? Eh bien, ils devraient être un peu plus prudents, même pour manipuler et faire avancer la campagne électorale.  Mais Folha montre que la situation est en train d'empirer rapidement.

Les membres de la police de l'État de São Paulo, qui n'aiment pas particulièrement Serra [15] - il représente un des candidats potentiels de l'opposition – ont publié un ”dossier Serra” sur Internet.  Ils disent que son authenticité ‘ne peut être prouvée – tout comme elle ne peut être rejetée’.  Ceci était également le discours de Folha concernant le dossier de Dilma Roussef.  Folha publiera-t-il le dossier de Serra également ?

Le faux dossier du gouverneur de Sao Paulo, José Serra

Après avoir été la cible de l'article superficiel et sensationnaliste dans Folha de São Paulo sur son passé de militante politique, Dilma Roussef à de nouveau fait la une des journaux, cette fois-ci à cause d'un problème de santé.  Elle s'est faite opérer il y a deux semaines pour l'ablation d'un lymphome et devra suivre un traitement de chimiothérapie pendant trois mois.  Son nom est à nouveau paru partout dans la blogosphère, et encore une fois, l'attitude de la presse conservatrice a alimenté la colère des blogueurs.

Le journaliste et blogueur Paulo Henrique Amorim, qui inventa le terme Partido da Imprensa Golpista (PIG) [16] –  parti des médias organisateurs de coups d'état – analyse la réaction de la presse dans quelques-uns de ses articles.  Dans le premier article, il écrit que Folha a publié en première page, comme une indiscrétion, de fausses informations sur le cancer de Dilma Roussef, avant que la nouvelle ne soit rendue publique [17] :

Isso não é notícia que se dê em off. (…)
Segundo o que dizem os médicos de um hospital que deixa vazar uma informação dessa gravidade, a candidata do presidente Lula à presidência da República tem, hoje, depois de totalmente extirpado o câncer, tanta chance de ter outro câncer quanto qualquer pessoa.
A edição de hoje da Folha deve ser conservada em formol, porque se trata de uma antologia do jornalismo em decomposição que se pratica nesta subdemocracia.

Ceci n'est pas le genre de nouvelle à être diffusée officieusement . (…)

Selon le, ou les  médecins de l'hôpital à l'origine de cette fuite, la candidate de Lula à la présidence, même après que sa tumeur ait été complètement enlevée, a aujourd'hui le même risque de récidive que n'importe quel autre citoyen.

Le numéro d'aujourd'hui de Folha devrait être conservé dans du formol. Il représente une anthologie d'un journalisme en état de décomposition, tel qu'on le pratique dans cette pseudo-démocratie.

Dans un second billet [18] paru le lendemain, le journaliste explique comment les médias complottent contre la candidate potentielle. Selon Amorim, les médias sont en train ‘‘d'assassiner [19]” la candidate :

A manchete do Globo é: “Câncer e tratamento longo abalam candidatura de Dilma”. Na edição online: “Dilma anuncia tratamento contra câncer”.
Dilma Rousseff não tem câncer.
Teve.
O câncer na fase 1A foi TOTALMENTE extirpado.
Ela faz agora quimioterapia preventiva.

L'article dans Globo a pour titre : ‘La candidature de Dilma entravée par le cancer et de longs traitements”.

Dilma Roussef n'a pas le cancer.

Elle avait le cancer.

La tumeur a été COMPLÈTEMENT enlevée au stade A1.

Selma Roussef suit actuellement des traitements de chimiothérapie préventive.

Quelques blogs, tel Alerta Total [20], estiment que le gouvernement utilise le cancer comme arme politique durant la campagne de l'élection présidentielle :

O anúncio oficial da doença seguiu o ritual de mais uma operação de propaganda política do Palácio do Planalto. Dilma chegou ao hospital acompanhada do ministro Franklin Martins, o bolcheviquepropagandaminister de Lula

L'annonce de la maladie a suivi le rituel établi d'une autre manœuvre de propagande politique de Palacio do Planalto [21].  Dilma est arrivée à l'hôpital accompagnée par le ministre de la propagande “bolchévique” de Lula, Franklin Martins [22].

Avec plus d'une année d'avance, il semble que la bataille pour la présidentielle a déjà commencé au Brésil. Comme d'habitude, de viles tactiques ainsi que la participation voilée des supports médiatiques, qui sont rarement neutres ou impartiaux, seront présentes durant tout le processus.  Il est donc fortement recommandé de prendre toute information des médias brésiliens avec une grosse pincée de sel.