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Israël : A l'Eurovision, un duo pacifiste ouvre une nouvelle voie

Catégories: Israël, Palestine, Russie, Arts et Culture, Guerre/Conflit, Langues, Manifestations, Médias citoyens

La musique peut-elle contribuer à nous rapprocher ? Noa et Mira Awad espèrent que leur message du concours Eurovision de la chanson portera loin et fort.

Il y a quelques mois, en pleine opération militaire israélienne à Gaza, l'annonce avait été faite que Mira Awad [1], une actrice et chanteuse palestino-israélienne, chanterait en duo avec la chanteuse judéo-israélienne Achinoam Nini [2] (connue sous le nom de Noa) au concours Eurovision de la chanson 2009. Alors que la chanson choisie contenait un message sur la recherche d’ «une autre voie», les condamnations se sont mises à pleuvoir sur le duo. L'objection est venue d’artistes arabes, qui ont enjoint Mira de se retirer [2] de la compétition [anglais, comme les liens suivants]. Dans leur lettre ouverte, ils lui ont demandé de ne pas représenter le pays-même qui tue d'autres Palestiniens. La position de la gauche radicale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur d'Israël était sans ambiguïté : Mira Awad devait refuser de chanter sur une scène aussi ensanglantée.

Le concours Eurovision de la chanson est l'un des événements télévisés les plus regardés du continent européen. Il est diffusé chaque année depuis sa création en 1956 et constitue l'un des programmes télévisés les plus anciens du monde, jetant un pont entre les pays qui font partie de l'Union Européenne de Radiotélévision (y compris quelques pays hors d'Europe continentale, comme Israël, le Liban et la Tunisie). Bien que de nature purement musicale, l'événement peut tourner à la soirée hautement politisée, eu égard aux participants et aux décisions de vote prises par chacun des pays. Dans le passé, le Liban s'est retiré de la compétition parce qu'il refusait de montrer la chanson représentant Israël [3] sur la chaîne libanaise Télé-Liban. Ce qui a mis le Liban en infraction avec les règles du concours, qui stipulent que les pays participants doivent diffuser l'événement en entier.

Dans un billet accueilli par le blog de Binyamin Netanyahu, Zalman Shoval [4] écrit  [5]:

Je l'avoue : je ne regrette pas que le film Valse avec Bachir n'a pas obtenu l'Oscar. De même, je ne verserai pas de larme si Achinoam Nini figure en dernière place au palmarès du concours Eurovision de la chanson. Ce sont là deux exemples de ce qui se passe en ce moment dans notre culture, les tentatives pour délégitimer et diaboliser Israël aux yeux du monde. Le journaliste qui a interviewé les deux chanteuses a aussi sa part de culpabilité, pour avoir écrit que toutes deux «essaient de prouver que malgré le résultat des élections, il se trouve encore dans l'Israël de 2009 des gens qui cherchent la paix…» – en d'autres termes, il pense que les 70 % qui ont soutenu cette coalition cherchent la guerre.

Quoi qu'il en soit, voilà le message de la chanson que ces deux artistes s'apprêtent à chanter au monde. Nini (Noa) estime que «la situation en Israël est une catastrophe», elle ajoute qu'à son avis beaucoup donnent leur vie des deux côtés pour la paix, tout en étant incapable de citer elle-même au moins un nom du côté palestinien qui l'aurait fait.

Du début à la fin de la polémique, le duo a donné une interprétation étincelante au concours, arrivant même en finale, qui a eu lieu hier soir (le 16 mai) :

 
IsReally publie un entretien que Noa a accordé au journal espagnol La Razon [6]. Noa, qui est une militante pacifiste connue, met en exergue l'importance du message de leur chanson :

- C'est la première fois qu'une collaboration israélo-arabe ira au concours Eurovision de la chanson. La musique est-elle le meilleur moyen d'unifier une ville divisée ?
Noa : Mira et moi sommes très fières d'être le premier duo judéo-arabe israélien à aller à l'Eurovision. Nous sommes fières aussi qu'à notre demande, la loi intérieure ait été amendée et que l'arabe ait été autorisé à être chanté en tant que langue officielle représentant Israël à l'Eurovision. Notre duo met en lumière la complexité de notre situation ici au Moyen-Orient. Israël compte une très grande minorité, près de 20 pour cent, de Palestiniens, chrétiens (comme Mira) et musulmans, qui sont citoyens israéliens. Cette fraction continue à lutter pour une pleine intégration dans la société israélienne. C'est différent des Palestiniens qui habitent les territoires occupés, qui combattent pour leur indépendance et la création de l'Etat palestinien. En outre, Israël est entouré de pays arabes dont la plupart ne reconnaissent pas son droit à l'existence. Vous voyez, la situation est compliquée. Mira et moi ne représentons pas [Israël] pour montrer la réalité, mais ce à quoi peuvent TENDRE nos nations si nous préférons le dialogue à la violence. Notre amitié symbolise la manière dont nous POUVONS nous entendre, sur la base du respect et de la communication. L'art et la musique ne peuvent pas résoudre les problèmes du monde, mais nous pouvons y contribuer. Et nous DEVONS contribuer. Nous devons prendre notre part de l'effort GLOBAL en faveur de la paix et de la réconciliation qui doit inclure CHAQUE être humain et chaque institution, chacun jouant son rôle.

- Comment l'annonce a-t-elle été accueillie en Israël ? Quels ont été les niveaux de soutien du public depuis le choix de la chanson ?
Noa : Il y a eu des gens qui n'étaient pas d'accord avec ce duo pour diverses raisons, mais une large majorité est TRES favorable et enthousiaste. Je crois que pour la plupart des gens nous sommes un symbole d'espoir. J'ai reçu des courriels extraordinaires du monde entier, y compris de pays arabes comme le Liban, la Syrie et le Qatar ! Ça me touche toujours très profondément et me donne la force de continuer ma route.

David Hirsh met en ligne [7] des extraits d'un article du [8]Guardian [8] par Rachel Shabi, dans lequel elle décrit son sentiment après avoir interviewé le duo :

En les interviewant toutes les deux, j'ai été frappée par ce que disait Mira du maintien de l'amitié et du dialogue avec Noa malgré leur profond désaccord sur les aspects de la guerre de Gaza. Rester là pour de telles conversations, alors que vous êtes poussé par toutes vos fibres à vous en aller, écoeuré, est peut-être l'un des aspects les plus difficiles du vrai travail de paix – et cela mérite le respect.

Ces deux chanteuses semblent dire que, quoi que fasse ou ne fasse pas la communauté internationale dans ce conflit, les Palestiniens et les Israéliens vont devoir continuer à chercher une voie pour vivre ensemble. C'est le travail épuisant, démoralisant et largement invisible au jour le jour de la résolution de conflits. Voilà ce qu'elles semblent vouloir affirmer en se servant de la scène de l'Eurovision. On pourrait trouver cela un peu hippie et beaucoup trop discret – mais cela vaut-il néanmoins d'être diffusé ?