2009 sera en Guadeloupe un «nouvel» an dans tous les sens du terme, du moins à en juger par un jeu de mots que les gens ont utilisé dans leurs voeux de Nouvel An, puisqu'en créole «nouveau» se prononce «nef», tout comme le chiffre 9. Les premiers mouvements sociaux de décembre 2008 [1] ont préfiguré la mobilisation massive qui a eu lieu de janvier à mars 2009, et qui s'est traduite par 45 jours de grève générale sur l'île. Bien qu'un accord ait été signé, la situation n'a pas encore été complètement dénouée, et mai, qui est traditionnellement un mois de manifestations dans l'histoire sociale française [2] et guadeloupéenne, est particulièrement chaud cette année.
Le 1er mai [3] a eu lieu la première manifestation de masse depuis la fin de la grève : Les Guadeloupéens se sont rassemblés à Petit-Canal après avoir défilé de 9 heures du matin à presque 1 heure de l'après-midi, et ils ont passé toute la journée ensemble, à écouter de la musique, regarder des spectacles de danse et suivre attentivement les discours des dirigeants syndicaux locaux. Les circonstances ont contribué à rendre Shakazulu, qui blogue en créole sur Gwakafwika [4], très prolifique ces derniers temps, du fait que mai est traditionnellement le mois de l’ «identité» en Guadeloupe, et que c'est là l'un des sujets préférés de ce blogueur.
Dans son premier billet sur la saison, «Arété kouri ba patron [5]» [créole guadeloupéen], ce qui signifie «Arrêtez de courir pour vos patrons», le blogueur dénonce un nouveau défi sportif appelé Relais Inter-Entreprise [6] (un relais couru par les salariés des entreprises privées ou publiques guadeloupéennes). Depuis 12 ans, cette course se tient le 27 mai, à tel point qu'elle est devenue une part intégrante du planning annuel de certaines entreprises. Mais Shakazulu en dit bien plus [créole] sur cette date cruciale, faisant écho dans ce billet aux blogueurs antillais de Repeating Islands [7] [anglais] :
27 Mé an péyi an nou, on jou a mémwa, on jou otila pèp Gwadloup ka chonjé konba a Ignas, Dèlgrès, Masoto, Solitid pou libérasyon a gwadloupéyen anba gyouk a lèsklavaj é kolonyalis fwansé.
Certes, 1848 [8] fut l'année de la deuxième abolition de l'esclavage dans les possessions française de la Guadeloupe et de la Martinique, ce qui éclaire en partie la conclusion de Shakazulu à propos de ce billet [créole guadeloupéen] :
Alò ki jan nou pé konpwann, jou-lasa, chak lanné, travayè Gwadloup pé ay swé ba séla ki toulélanné ka fann kyou a yo?
Shakazulu propose à la place une marche dont le slogan est [créole guadeloupéen] :
Fè mémwa maché, fè konsyans vansé pou nou sonjé gwadloupéyen ki goumé é ki tonbé anba bal fizi a kolon an lanné 1802 é 1967
Cette marche mentionnée par le blogueur existe effectivement depuis quelques années, et elle attire les personnes qui sont en quête d'un acte symbolique par lequel honorer leurs ancêtres. Voici [9] le programme de cette marche de deux jours, qui traverse l'île [français et créole guadeloupéen].
Dans le même billet, le blogueur évoque une nouvelle date : mai 1967. A l'époque, les manifestations sociales étaient fréquentes, car les ouvriers de la canne à sucre étaient mécontents de leurs conditions de travail et de leurs salaires. Shakazulu indique [10] ici ce qui s'est passé pendant une manifestation particulière [créole guadeloupéen] :
Mé 1967- Mé 2009! 42 lanné! 42 lanné léjyonnè fwansé kyouyé gwadloupéyen an vil Lapwent. Moun ka palé dè 8 moun, dòt ka palé dè 87 moun, on dòt pati ka palé dè plis ki 100 moun mò Lapwent
Nul ne sait vraiment ce qui s'est réellement passé ce jour-là, car aucun bilan officiel n'a jamais été publié et l'ensemble de l'affaire a été classée «secret défense», mais certains cinéastes guadeloupéens ont résolu de faire entendre les voix de témoins sur ces souvenirs qui continuent à hanter leurs nuits. Voici [11] une série de vidéos (disponibles sur YouTube) appelée «Sonjé Mé 67», ce qui signifie «Se souvenir de mai 67» [créole guadeloupéen] :
et, ici [12], une autre trouvaille sur YouTube, qui traite des événements à la fois de mai 1802 et mai 1967 [anglais].