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Maroc : La campagne électorale rencontre le désenchantement

Catégories: Maroc, Cyber-activisme, Élections, Gouvernance, Médias citoyens, Politique

La campagne pour les élections municipales au Maroc, qui se tiendront le 12 juin 2009, a été officiellement lancée [1] samedi 30 mai. Quelque 30 partis se diputeront 27.000 sièges de conseillers municipaux ruraux et urbains répartis à travers le pays sur environ 22.000 circonscriptions électorales. Un quota a été imposé à tous les partis pour garantir un minimum de 12 % de représentation des femmes, tandis que l'âge du vote a été abaissé de 23 à 21 ans. Le gouvernement s'est engagé à la neutralité dans le processus et a déclaré par la voix de son ministère de l'intérieur que “toutes les mesures seront prises pour empêcher la manipulation des votes,”un phénomène qui entache depuis longtemps les opérations électorales dans le royaume du Maghreb.

Walking Bernoussi (a neighbourhood in Casablanca), by oNico® in Flickr. [2]

A pied à Bernoussi (un quartier de Casablanca), par oNico® sur Flickr.

Ces élections arrivent après un amendement de la “Charte Communale” qui organise et fixe le rôle des communes. Cette réforme vise en fait -selon certains analystes [3]- à conforter le pouvoir politique des communes, à renforcer leur indépendance et à accroître leur responsabilité. C'est le moyen d'assurer une bonne gouvernance – du moins officiellement.

Le débat semble faire rage sur la blogosphère marocaine à propos de la pertinence du processus, du choix de la participation plutôt que du boycott, et de la balkanisation de la scène politique.

Taha Balafrej [4] retrouve ses souvenirs d'un scrutin similaire qui s'est tenu en juin 1997, pour constater avec dépit que les obstacles au progrès qu'il avait détectés il y a 12 ans sont toujours là :

[C]e pays que nous aimons tant, se trouve empêtré dans une situation délicate. Il est confronté à des défis importants, vitaux. Pour s’en sortir, il a choisi une voie consensuelle. Celle de la construction démocratique. Pas à pas. Jalon après jalon. Pour y arriver, de nombreuses années de formation et d’apprentissage, sont nécessaires. Pour réussir, l’engagement de tous est indispensable. Mais ces bonnes paroles, ces précautions, ces considérations objectives, rationnelles et claires butent sur des logiques négativement manœuvrières, sur des ambitions malsaines. Sur des appareils qui ont des logiques et des visions qui tranchent avec le bon sens.

Désenchanté, El Yacoubi commente ainsi le billet précité [4] :

[Ces élections sont] un hypersouk où les voix s’échangent , se vendent , se bradent.
À gauche , comme à droite : des promesses et des billets..circulent , s’entrecroisent , s’affrontent , s’entrelacent et se séparent , avec un sourire entendu et moqueur .

Le 25 mai, un nouveau groupe, qui s'est donné pour nom “l'Association des Blogueurs Marocains [5]” [arabe], que l'on pense proche du groupe islamiste interdit Al ‘Adl wal Ihssane (Justice et Charité), a fait son apparition sur la blogosphère, appelant à une campagne pour combattre la corruption électorale, en rapportant par les moyens électroniques tous les cas de fraude électorale dont les blogueurs pourraient avoir connaissance. Leur “manifeste” dit :

حملة تدوينية تستمر طيلة فترة الحملة الانتخابية حتى الإعلان عن النتائج… أهدافها: ترسيخ دور المواطن في ممارسة الدور الرقابي في الشأن السياسي. تسليط الضوء على مظاهر الفساد الانتخابي
التحسيس بخطورة الفساد الانتخابي …
فضح جميع الممارسات المشبوهة التي تواكب العملية الانتخابية ومحاصرة المفسدين. إصدار عمل توثيقي حول نزاهة العملية الانتخابية اعتمادا على تقارير المدونين.
Une campagne de blogs qui durera pendant tout le processus électoral et jusqu'à la proclamation des résultats […] Nous voulons consolider le contrôle du citoyen sur la scène politique ; faire la lumière sur la corruption électorale ; informer sur les dangers de telles pratiques; exposer tous les comportements contestables associés au processus électoral ; la publication d'un travail de documentation sur la clarté et l'intégrité des opérations électorales à partir des rapports de blogueurs.

La campagne est vigoureusement soutenue par le militant vétéran des droits de l'homme, homme politique à la retraite et à présent blogueur, Abdelkader Alami [6] [Ar]:

إن أي تطور إيجابي في الحياة السياسية والاقتصادية والاجتماعية لا يمكن أن يتحقق إلا بالمحاربة القوية للفساد الانتخابي وقيام مؤسسات ذات تمثيلية حقيقية ومصداقية في تكوينها، وفعالية في أدائها.
Aucun développement positif dans le domaine politique, social et économique ne peut être réalisé sans un engagement à combattre la corruption électorale et sans que soient mises en place des institutions authentiquement représentatives, crédibles et efficaces.

Le Maroc a certes souffert tout au long de ses 50 années d'indépendance d'une corruption endémique, dont les élections n'ont pas été les moins exemptes. Transparency Maroc [7], une branche de Transparency International [8], une ONG qui se consacre à la lutte contre la corruption, tout en saluant la création de l’ICPC, l’Instance centrale pour la prévention de la corruption [9]déplore [10] “l'absence de réformes efficaces et la persistance au niveau des communes de services et d'infrastructures déficients, de la corruption et du copinage.”

Sur un ton plus railleur, Mounir Bensaleh [11] [arabe], écrivant sur le blog collectif blog Nebrass A'shabab [12] [arabe], décrit l'éthologie d'une nouvelle espèce de ce qu'il décrit comme des“animaux domestiques électoraux.” C'est une flopée d'opportunistes qui sont devenus extrêmement familiers aux électeurs marocains :

أنتجت سياسات الدولة منذ بداية التجربة الانتخابية في المغرب كائنات سياسية مروضة و متمرسة على “اللعبة” السياسية بشروطها المحلية…
ولتسامحني الحيوانات الحقيقية لاستعارتي لأسمها فأنا أكن لها كل الاحترام
… لا تفقه هاته الحيوانات في الثقافة السياسية ولا في التمايز بين المشاريع السياسية. لا يهمها اليمين ولا اليسار ولا حتى الوسط. لا تمتلك برنامجا ولا تعرض تصورات ولا تنافس على أساس معرفة ما. إنها حيوانات لا تأبه بحقوق الإنسان ولا بالديموقراطية ولا بالمؤسسات ولا بدولة الحق …
كونت هذه الحيوانات أموالا طائلة في سنوات كانت الدولة تشتري السلم الاجتماعي بالنقود و الامتيازات…
لا أريد لنفسي و لا لأبنائي أن تحكمنا هاته الحيوانات .
Les politiques d'Etat ont produit, depuis le commencement de l'expérience  électorale, une nouvelle espèce, chevronnée et entraînée dans l'art du “jeu” politique” avec ses particularités locales. Je tiens ici à présenter mes excuses aux vrais animaux pour avoir usurpé leur nom, car j'ai le plus grand respect pour eux.
Les animaux domestiques politiques ne connaissent rien à la culture politique, pas plus qu'aux différent projets politiques. Ils sont indifférents à la droite ou à la gauche et même au centre. Ils n'ont pas de programmes ni ne proposent aucune vision basée sur une expertise quelconque…
Ces animaux-là ne se soucient aucunement des droits humains, de la démocratie, des institutions ou de l'état de droit. Ils ont amassé des fortunes au long des années où l'Etat a acheté leur silence en échange de la paix sociale…
Je ne veux pas, ni moi, ni mes enfants, être gouverné par de tels animaux.

La plupart des thèmes récurrents paraissent être l'apathie, le désintérêt et souvent, l'ignorance des enjeux électoraux. Tel est le sentiment que Mohamed Behrani [13][arabe], qui blogue sur Nebrass A'shabab, a essayé d'analyser :

ولعل ما يحرجني أكثر، هو أن السواد الأعظم من أبناء هذا الشعب لا يفقهون في العملية الإنتخابية شيئاً، كل ما يعلمون أن هناك شخصان أو ثلاتة يتنافسون للفوز بشيءٍ لايهتمون إطلاقا بمعرفته .
Ce qui me gêne le plus, c'est que la grande majorité des gens ne comprend pas grand chose au processus électoral. Tout ce qu'ils savent, c'est qu'il y a deux ou trois personnes en concurrence pour quelque enjeu illusoire dont ils ne se soucient guère.

Ce désenchantement découle des graves inquiétudes sur la pertinence de tels processus électoraux dans des pays comme le Maroc, où le pouvoir reste fondamentalement centralisé.

A travers tout le Maghreb, 2009 restera dans les esprits comme une année électorale, mais comme l'explique Nawaat [14], un blog collectif dissident tunisien :

Malheureusement, ces élections – […] élection présidentielle en Algérie, élections présidentielle et législatives d'octobre en Tunisie, et élections municipales au Maroc en juin – attestent, non pas de la vitalité de la démocratie dans la région, mais plutôt de la persistance de l'autoritarisme.