Madagascar : “Démissionne, ou alors…”- Histoires de répression dans les médias malgaches

VNR est une jeune journaliste dans l'un des plus grands quotidiens de Madagascar. Quand j'ai reçu son appel, son numéro était masqué et la première chose qu'elle m'a  demandé a été quel était le but de ma venue à Madagascar et de cette prise de contact. Avec une de ses amies journaliste, elle a accepté de me rencontrer à un carrefour fréquenté d’ Anosy, un arrondissement de la capitale Antananarivo, où l'on pourrait décider de l'endroit où nous pourrions discuter librement. Parler librement n'est clairement pas possible : les deux journalistes ont parlé à voix basse et regardé par-dessus leurs épaules pendant les deux heures qu'a duré la conversation. Une franche conversation est devenu très difficile de nos jours à Madagascar. Un  grand nombre d'arrestations arbitraires ont eu lieu au cours des derniers mois,  nombreux sont ceux qui essayent encore d'échapper à une intense chasse aux sorcières dirigé contre les opposants politiques. Un rapport sur les menaces qui pèsent sur les journalistes à Madagascar a déjà été publié par Reporters Sans Frontières. La crise à Madagascar a peut-être  disparu de la une des journaux malgaches. La cause de cette disparition n'est pas un manque d'événements à signaler mais une répression systématique imposées aux journalistes essayant d'enquêter sur les abus de pouvoir du gouvernement actuel de transition, soutenu par l'armée.

Le blogueur malgache Cyber Observer fait allusion à l'un des problèmes auxquels sont confrontés les journalistes malgaches dans l'exercice de leurs fonctions:

Dans la plupart des pays d'Afrique francophone, les journalistes deviennent des «agents» ou les porte-parole de mouvements politiques ou de partis.

Au cours des quatre dernières semaines (juin-juillet 2009), nous avons parlé à sept journalistes. La plupart d'entre eux ont seulement accepté de  témoigner sous condition d'anonymat sur les enquêtes qu'ils menaient et sur les menaces à leur personne qui ont  empêché la publication de ces informations. Quatre d'entre eux travaillent pour la presse écrite, un pour la radio, un autre pour la télévision et un pour un  site d'actualités en ligne. Cet article est une collection de témoignages sur ce que vivent les journalistes malgaches au quotidien et  leurs réflexions sur l'état actuel du journalisme à Madagascar.

VNR décrit  l'atmosphère actuelle dans la salle de rédaction :

“TM (une amie qui travaille pour un autre quotidien et qui contribue aussi au site web topmada.com) et moi avons été réticentes au départ à venir vous parler, car il est de plus en plus difficile de savoir à qui faire confiance dans la communauté. On m'a dit il y a deux semaines que c'était ma décision si je voulais dénoncer les abus de pouvoir de l'administration actuelle, mais que l'équipe ne devrait pas payer pour mes choix, bref, qu'à partir de maintenant, j'étais seule responsable de mes articles.  J'enquêtais sur la saisie par le gouvernement d'une usine privée de produits alimentaires pour fournir des produits de première nécessité à la population. Mon rédacteur en chef vient me voir et me dit que le journal ne coulera pas à cause de moi, que si je voulais commettre un suicide professionnel, je ne pouvais pas emporter l'ensemble de la rédaction dans ma chute. Un autre journaliste, LA, travaillant pour un autre journal, a également enquêté sur l'affaire. Les forces de sécurité sont venues dans leurs locaux et en termes clairs ont dit :  “Démissionne ou alors…”. Ni ses conclusions ou les miennes n'ont jamais été publiées dans leurs intégralité.

TM  ajoute :

Topmada.com a été un site d'informations assez reconnu, qui compilait des  articles de  journalistes comme moi en temps réel. Il était mis à jour deux fois par jour en moyenne depuis le début de la crise, mais la famille du propriétaire a été récemment menacée, alors, aucun nouvel nouvel article n'a été publié depuis le début du mois de juin. J'ai envoyé plusieurs fois des articles mais on m'a dit que ce n'était plus la peine “.

Naturellement, la plupart des journalistes ne voulaient pas que leurs noms ou celui de leur média soient révélé. L'un d'eux, Evariste Ramanantsoavina, ex-journaliste de Radio Mada, ne se soucie plus de son anonymat depuis que son nom a été trainé sur la place publique. Il explique les circonstances de son arrestation, le 5 mai, la raison pour laquelle il a été libéré et sa perspective sur le journalisme lors de la crise :

Le journaliste de Radio-Mada précedemment emprisonné. Photo via http://pakysse.wordpress.com

Le journaliste de Radio-Mada détenu. Photo http://pakysse.wordpress.com

“Je suis un simple journaliste sportif de radio. Au plus fort de la crise, en mars, plus personne ne venait  travailler à  Radio Mada  alors je suis restée seul à gérer la radio. Je lisais  les bulletins que l'on m'envoyait, pour la plupart des  communiqués de presse de l'ancien président Ravalomanana. Je suis un vieil homme avec des problèmes de santé, alors, à la mi-avril, j'ai dû prendre un congé. J'ai entendu dire que le nouveau gouvernement était à ma recherche  parce que j'aurais enseigné aux auditeurs de la radio à faire des cocktail Molotov et à les jeter sur les forces armées. C'était un mensonge ridicule. Je ne travaillais plus au moment de la prétendue affaire,  j'étais à Antsirabe pour recevoir un traitement. Après mon arrestation, le juge a constaté qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves  et j'ai été libéré. J'ai pensé à me cacher pour le bien de ma famille quand j'ai entendu les rumeurs. Cependant, je me suis dit  que je n'avais rien à cacher et que j'étais trop vieux pour fuir de toute façon. La chose qui m'attriste, c'est que beaucoup de mes collègues ont écrit à propos de mon arrestation sans même me demander mon point de vue.  J'ai été bien traité en prison mais je ne peux pas en dire plus sur mon incarcération car il y a encore des  personnes en prison. Un jour, je vais écrire à propos de tout cela mais pas maintenant, le moment n'est pas encore venu. Je suis reconnaissant à certains de mes collègues d'avoir commencé une grève quand ils ont appris mon arrestation, et que des blogueurs aient parlé sur leurs blogs. Après le peuple malgache, c'est la vérité qui a été la victime plus meurtrie  de cette crise. Les gens écrivent n'importe quoi tant que cela sert leurs intérêts.”

Tout le monde ne s'accorde pas sur les raisons de cette rétention d'information et du manque apparent de réactivité de certain membres des  médias.

MMR, rédacteur en chef d'un quotidien et d'un hebdomadaire, est  journaliste depuis 25 ans. Il se souvient de l'âge d'or du journalisme à Madagascar après l'indépendance (1960). Il demande :

“Ces personnes se considèrent-elles  toujours comme le 4ème pouvoir ? Quelle blague. L'indépendance des journalistes est en péril depuis longtemps maintenant. Cela vient juste d'être exposé en détails au grand jour lors de la crise. Peut-on encore dire que les gens font confiance aux nouvelles qu'ils entendent ou lisent  à Madagascar ? Il y a beaucoup de raisons pour une telle crise de confiance, mais personne ne veut en discuter. Il fut un temps où les journalistes ont joué leur rôle de gardien de la démocratie à Madagascar, dans les années 60. Cette époque est bien révolue maintenant. Pensez à ceci : je suis le rédacteur en chef de deux journaux et je reçois comme salaire l'équivalent d'environ 500 euros par mois. Un jeune journaliste reçoit environ l'équivalent de 280 euros, et vu  l'augmentation du coût de la vie, c'est juste.  De plus, pour un journaliste de presse, il est difficile d'avoir ce que nous appelons ici vady asa (un deuxième travail) car l'emploi du temps est trop prenant. Dans ces conditions, on peut comprendre que non seulement ils ne veulent pas mettre en péril leur emploi, mais que quelques journalistes soient prêt à monnayer leur silence  sur certains agissements  en échange de quelques dessous-de- table. Pourtant, le journalisme est censé être plus que juste un moyen de subsistance. Mais cette notion s'est perdue dans la réalité de la politique à Madagascar “.

Et pourtant, les histoires d'atteintes directes à la liberté de la presse abondent depuis le début de la crise et cela des deux côtés du spectre politique.

RL, journaliste à MaTV, se rappelle du jour ou les forces armées ont envahi leur salle de rédaction sans mandat  pour saisir des images prouvant l'utilisation excessive d'armes à feu par les militaires. Le commandant Charles Andrianasoavina, tristement célèbre pour avoir menacé de tirer sur des diplomates étrangers le 17 mars, dont l'ambassadeur américain Niels Marquardt,  a demandé à l'équipe de MaTV d’ arrêter de parler de l'armée ou de publier des photos de soldats, sous peine de fermeture de la station de télévision. DR :

“Cette histoire n'est ni nouvelle ni secrète. Tout le monde sait que les soldats ont envahi le bâtiment et ont pris quelques-uns de nos documents sous le prétexte de mener une enquête. En plus de la chaîne de télévision, nous publions également un bulletin en version papier uniquement appelé “Ma Laza” et depuis la visite des soldats, personne ne signe des articles de son vrai nom. “

La répression militaire ne se limite pas aux seuls journalistes. Les journalistes suivants connaissent des cas d'abus de pouvoir, de chasse aux sorcières et  d'arrestations arbitraires qu'ils ne peuvent pas publier. DN, un vétéran du journalisme à Madagascar, a suivi l'arrestation de Heriniaina Razafimahefa, directeur exécutif de l'ALMA (Asa Lalana Malagasy) une entité commerciale appartenant à l'ancien président Ravalomanana. Il a été arrêté le 16 juin et accusé de détournement de fonds et mauvaise utilisation des fonds publics. DN a appris que M. Razafimahefa s'est vu refuser le droit de recevoir des visites de sa famille voici trois semaines et qu'on est sans nouvelles de lui depuis lors. Des histoires similaires sur d'anciens membres de l'équipe de l'ex-Président  Marc Ravalomanana, harcelés par des soldats et rackettés, sont légions. TA, un journaliste free-lance, a appris que les maisons des proches de l'ancien chef du programme MAP, projet soutenu par Marc Ravalomanana, sont attaquées et que son frère a été pourchassé par des soldats dans les environs d'Antananarivo avant qu'il ne puisse s'échapper du pays.

Une grande partie de ces informations ont été cachées au public par différents moyens, que ce soit par des menaces, des pots de vin ou l'intimidation. Non seulement la culture de la transparence est encore absente  à Madagascar, mais des informations douteuses sont également jetées en pâture au public par l'administration. Par exemple, le 21 juillet, cinq noms ont été publiés par la presse comme étant ceux des instigateurs d'attentats à Antananarivo, quelques heures seulement après la découverte de bombes.

L'indépendance des journalistes, pour garantir la démocratie, nécessite encore de grands efforts à Madagascar. Il fut un temps où les médias malgaches méritaient le titre de 4e pouvoir. On se demande s'il est encore temps pour les médias de renaitre des cendres de la crise politique actuelle.

[Les noms ont été remplacés par des initiales pour la sécurité des personnes interrogées]

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