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Israël : Une publicité provoque le débat

Catégories: Israël, Palestine, Guerre/Conflit, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Technologie

Un spot publicitaire diffusé à la télévision pour Cellcom, la plus importante compagnie israélienne de téléphonie mobile, a provoqué ces deux dernières semaines un débat sans précédent sur l'occupation de la Palestine. Cette publicité [1] [en hébreu] montre des soldats israéliens qui jouent avec un ballon de football avec des Palestiniens invisibles, par dessus le mur [2] qui sépare Israël de la Cisjordanie, sur fond musical populaire. Durant le spot, les soldats emploient des termes comme sababa (marrant) et achla (super), communs à l'argot arabe et hébreu, et le narrateur pose cette question : “Après tout, qu'est-ce qu'on veut tous en réalité ? Juste s'amuser un peu.”

Cette publicité, réalisée par l'agence McCann Erickson, a été considérée comme au mieux indélicate par beaucoup d'Israéliens, et elle est aussi devenue le symbole de l'aveuglement de la société israélienne à propos de l'occupation. Le groupe Facebook [3] intitulé “J'ai la nausée de regarder la nouvelle pub Cellcom” avait 2 369 membres le 26 juillet 2009, et il ne cesse de croître quotidiennement.

Voici un résumé des principales réactions des blogueurs à ce sujet.

Tout d'abord, voici l'analyse de Romi Izhaki [4] [en hébreu] :

“Après tout, qu'est-ce qu'on veut tous en réalité ? Ne pas voir au-delà du mur de séparation. Et alors tout est vraiment sababa : le service militaire est marrant et la guerre est vraiment un jeu dans lequel les Palestiniens invisibles sont des petits pions qu'on peut déplacer sans en payer le prix dans le monde réel. Cette pub reflète parfaitement notre réalité : nous ne voyons que les choses qui touchent notre camp. Les soldats de la pub n'ont pas envie de rencontrer les gens qui vivent de l'autre côté… En fin de compte, cette pub montre ce que les généraux ont essayé de nous cacher : de l'autre côté du mur il n'y a pas du tout d'êtres humains. Quand on jette un œil de l'autre côté du mur (0:47), on voit qu'il n'y a rien de l'autre côté, tout est vide et vert !”

La réaction de Lior Zalmanson [5] [en hébreu] est différente :

“À quoi ont donc pensé les types de McCann Erickson lorsqu'ils ont choisi le mur de séparation comme idée pour la dernière pub de Cellcom ? S'ils voulaient montrer l'idée d'un nouveau Moyen Orient, pourquoi cacher les Palestiniens derrière un mur de béton et présenter les soldats comme des voleurs de ballons qui ne pensent qu'à s'amuser ? Le résultat est une pub qui dérange et ce qui agace le plus c'est qu'elle rend la situation que nous vivons non seulement supportable, mais même amusante.”

Mouli Bentman [6] [en hébreu] voit les choses encore différemment :

“La nouvelle publicité de Cellcom peut apparaître comme une provocation de mauvais goût, semblable aux pubs Benetton avec les enfants affamés, mais il s'agit en réalité d'associer l'entreprise avec l'israélité dominante, donc en impliquant l'armée. Dans un article universitaire faisant suite au Peace Index de Herman et Yaar, après 2001, les auteurs avaient trouvé Israël coupé en deux, entre les gens pour ou contre les accords d'Oslo. Toutefois, chaque camp est d'accord sur une chose : qu'il doive y avoir un état palestinien ou pas, les Palestiniens doivent être totalement séparés de nous. Nous sommes ici et ils sont là-bas. Et peut être qu'un jour ce sera achla ou qu'il y aura au moins un connexion Internet haut débit entres les deux.

Le mur de séparation nous permet de rejeter les Palestiniens au-delà de l'horizon, au-delà de toute visibilité. Il nous permet de rapetisser  leur existence et de réduire nos frictions à des échanges occasionnels de ballon, en remplaçant le but de l'occupation par le gain d'un but. La pub de Cellcom exaspère parce que pour certains, elle donne l'impression d'une attitude de paix, de coexistence et de reconnaissance de l'humanité de l'autre côté, alors qu'en réalité ce n'est pas vrai. Parce qu'il n'y a pas d'autre côté et que nous nous en fichons. Le message réel de cette pub, c'est que le mur de séparation nous permet de continuer à jouer et à nous amuser, et nous savons tous qui sont les casse-pieds”.

La critique a réuni tous les camps politiques, comme le démontre le blog de Yuval Adam [7] [en hébreu], qui écrit :

“Quand j'ai vu cette publicité, j'ai frissonné. J'ai été voir le mur de séparation, J'ai visité l'autre côté. Même les électeurs de droite admettent que de l'autre côté on veut plus qu'un peu de distraction. Hors de toute affinité politique, on ne peut pas nier que des gens souffrent de l'autre côté… Cette publicité fait preuve d'aveuglement culturel et à l'égard de la réalité. Les gens sans cœur qui l'ont produite sont aveugles quant à la signification réelle de ce mur et aux gens qui sont derrière. Il semble que ceux qui ont construit ça ont bien réussi à nous faire oublier ce qu'il y a derrière, si jamais nous l'avons su.”

Miriam a fait ce commentaire sur ce billet :

“J'appartiens au camp politique opposé, mais quand j'ai vu cette pub, j'ai été tout autant choquée. Tout d'abord, elle fait passer nos soldats pour des imbéciles, qui sont prêts à tout laiser tomber pour un idiot de ballon. Ensuite, je vis près du mur, que je peux voir depuis mon jardin. Je connais des Palestiniens de cette région, et je sais combien ils souffrent. Ce mur est une question de survie pour les deux côtés, et ce n'est pas de la rigolade. Nos soldats jouent librement, et de l'autre côté, ils sont piégés, invisibles, ce qui veut dire non humains. Juste une force qui lance des ballons pour qu'on puisse s'amuser à leurs dépens. Je conseille aux concepteurs de cette publicité de sortir seulement une journée de leurs bureaux climatisés et d'aller voir le mur, pour mieux comprendre la réalité.”

D'autres ont préféré exprimer leurs critiques par la diffusion de parodies.

Celle-ci [8] remplace le jeu de ballon par la vraie guerre dont il est la métaphore, en montrant les soldats israéliens bombardant les Palestiniens au lieu de leur renvoyer le ballon, et les Palestiniens réagissant par des pleurs aux rires des soldats.

Et celle-là [9] représente le visage absent du côté palestinien, en montrant un Palestinien bâillonné, la tête couverte, pieds et mains liés, qui renvoie le ballon, mais qui à chaque fois est un peu plus écrasé lorsqu'il lui retombe dessus.

Ces vidéos, qui peuvent être considérées comme anti-israliennes, n'en sont pas moins réalisées et diffusées par des Israéliens. Cellcom a demandé à YouTube et à Flix, un site de partage de vidéos hébreu, de cesser de diffuser ces vidéos, pour atteinte à sa propriété intellectuelle, mais beaucoup d'Israéliens les ont remises en ligne et les ont partagées sur Facebook la semaine dernière. Ces vidéos ont également été republiées sur YouTube.

D'autres ne voient pas de problème avec cette publicité, comme Moti Shushan [10] l'écrit [en hébreu] sur le mur du groupe critiquant cette publicité sur Facebook :

“J'aime cette pub. La seule chose désolante à son propos est qu'elle ait été réalisée par une entreprise et pas par le Ministère de l'Éducation. Cette pub est tellement formidable et naïve, elle nous montre qu'il pourrait y avoir des échanges de ballons, au lieu de balles, entre les deux camps, et elle essaie d'imaginer une situation au-delà de notre réalité. La seule chose négative est que cette situation magnifique est tellement surréaliste qu'on ne peut l'imaginer que dans une publicité.”

Yariv Oppenheimer [11] défend [en hébreu] la publicité dans la partie Opinions de Ynet :

“Le message immédiat de cette publicité est que derrière le mur il y a des gens qui veulent vivre aussi une vie normale, ce qui casse le stéréotype du Palestinien plein de haine et de violence qui veut nous détruire. Il n'est pas habituel des les présenter comme des partenaires dans un jeu de ballon, comme des bons voisins. Leur invisibilité nous rappelle seulement qu'on a oublié les rêves et les familles d'enfants. En outre, les soldats israéliens sont représentés comme des gens normaux qui pourraient apprécier une rencontre humaine avec “l'ennemi”. Cette publicité montre un idéal d'humanisme et de respect qui est attendu de nos soldats dans leurs rapports quotidiens avec les Palestiniens. Cette publicité peut changer un peu la perception si enracinée en nous que chaque Palestinien est un ennemi potentiel… C'est une tentative courageuse de porter à l'écran l'attente que nous avons de la paix, à une heure de grande écoute, et par une entreprise.”

Il se pourrait vraiment que Cellcom ait eu de bonnes intentions en réalisant cette publicité, puisque, comme Walla!news [12] l'a découvert, l'idée du match de football a été inspirée par une publicité israélienne plus ancienne, réalisée pour la campagne pour la paix de OneVoice, visant à faire se dérouler la coupe du Monde 2018 en Israël et Palestine. En outre, le blogueur Yoav Einhar [13] souligne [en hébreu] que le graffiti sur le mur de séparation, dans la publicité, a été réalisé par l'artiste Banksy [14], qui a manifesté de la sympathie pour les souffrances des Palestiniens. Le vrai graffiti a été réalisé sur le mur, côté palestinien, à Abu Dis, et le billet de Einhar le montre.

Beaucoup de clients mécontents ont reçu des réponses formelles de Cellcom, qui ont été publiées en commentaires de blog [15] [en hébreu] et sur le groupe Facebook de protestation contre la publicité :

“Notre intention a été de montrer que nous étions tous des êtres humains qui veulent profiter de la vie en toute occasion et que s'amuser rapproche les gens… Le message de cette campagne était que dans chaque situation, la communication entre humains existe. Nous avons enregistré aussi beaucoup de réactions positives et encourageantes. Nous n'avions aucune intention d'être cyniques, de blesser quiconque ou de prendre position au niveau politique.”

Les Palestiniens de Bil'iin ont montré cette semaine que nous sommes encore loin de l'atmosphère détendue de la publicité. Ils ont essayé de jouer au football par dessus les barbelés avec de vrais soldats israéliens, ce qui a provoqué en retour des tirs de lacrymogènes, comme le montre cette vidéo [16], qui reprend la musique de la pub de Cellcom.