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Guinée : Indignation et deuil après le carnage

Catégories: Guinée, Droits humains, Manifestations, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Relations internationales

Toujours maintenue sous étroite surveillance policière, la Guinée [1] sort aujourd'hui de plusieurs jours de deuil officiel pour ceux qui ont été tués dans le massacre inattendu et odieux [2] de manifestants de l'opposition lundi. On estime à 157 (ils sont probablement bien plus nombreux) le nombre de manifestants non armés tués par balle, à l'arme blanche ou à coups de bâton par les militaires à l'intérieur et aux alentours du “stade du 28 septembre”, où la coalition des forces d'opposition, “les Forces vives,” avait appelé à une manifestation contre le chef de l'Etat, le militaire Dadis Camara [3] et son intention d'être candidat à l'élection présidentielle de janvier 2010. Coïncidence tragique, ce stade porte le nom de la date à laquelle la Guinée a fêté son indépendance d'avec la France, le 28 septembre 1958. Il est maintenant voué à devenir le deuxième mémorial de torture et de massacre de Conakry, après le tristement célèbre Camp Boiro [4].

Film montrant des soldats guinéens tirant sur les manifestants à Conakry lundi 28 septembre (ANSA, surYouTube)

Le  jour même, le blogueur guinées Konngol Afirik écrivait avec une rage froide [5] depuis l'Europe :

Les responsables du carnage de cette journée noire ont pour nom Capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte et président de la République autoproclamé, Capitaine Tiegboro Camara secrétaire d’État chargé de la lutte anti-drogue et du grand banditisme, Général Sékouba Konaté ministre de la Défense, Jean Claude Pivi ministre chargé de la sécurité présidentielle. Encore une fois, l'Union Africaine et la CÉDÉAO et les partenaires internationaux se sont révélés ineffectifs devant un officier putschiste prêt à marcher sur des cadavres pour conserver le pouvoir.

Sur YouTube, le récit anonyme “Dadis Show [6]” a retracé sa glissade accélérée dans la dictature brutale par un choix de discours en forme de rodomontades qui ont jeté dès le départ des doutes sur un chef surnommé par le magazine Jeune Afrique Doctor Dadis et Mister Camara [7].

Ensuite les informations ont peu à peu filtré sur des groupes de discussion d'habitants, de médecins et de correspondants étrangers, à propos de viols brutaux,de soldats essayant de camoufler l'ampleur du massacre en subtilisant les cadavres dans les morgues des hôpitaux ou en les enterrant hâtivement sur place.

Anonyme : J'ai une collègue qui a perdu son neveu, mais d'apres les militaires qui ont répondu a son téléphone portable, la famille ne récupérera  pas le corps. On est confine dans les maisons. C'est vraiment terrifiant.

Jeudi, les rumeurs ont été confirmées par le témoignage public terrifiant sur la radio française RFI d'un soldat qui a participé au carnage [8] “sur ordre.”

Le capitaine Dadis Camara, dans un communiqué officiel [9], nie toute responsabilité, accusant, à tour de rôle, l'opposition et ses soldats : “Même le chef de l'Etat ne peut pas arrêter ce mouvement”. Il reste à savoir qui dirige vraiment l'armée, qui a donné ordre de pourchasser deux correspondants des médias étrangers, qui ont “donné une mauvaise image de la Guinée [10].”  L'immense majorité des commentateurs sur les sites d'information de la diaspora [11]et les forums guinéens [12] sont atterrés par ses “larmes de crocodile” et voient une ruse de plus dans son appel à une “enquête internationale” et à un “gouvernement de coalition” :

Oumar, un expatrié guinéen, supplie les Guinéens de ne pas se laisser prendre au piège [13], que ce soit par peur ou par soif du pouvoir :

Son dernier subterfuge est le gouvernement d’union nationale. Le dictateur sait que si l’opposition accepte de faire partie d’un pareil gouvernement, la communauté internationale serait embarrassée dans l’application des sanctions. Comment punir des bourreaux si leurs victimes collaborent avec eux dans un même gouvernement ?Autre idée du chef de la junte pour échapper à la justice internationale : une commission d’enquête internationale avec à sa tête un « sage africain ». À qui pense t-il quand il parle de ce fameux « sage africain » ? Certainement à son mentor Abdoulaye Wade président du Sénégal voisin qui l’appelle affectueusement « mon fils » et qui est avec Kadhafi le seul Chef d’État africain à l’avoir ouvertement soutenu depuis le début.

Quand cela finira-t-il ? Dans une analyse sur le site d'information de la BBC, l'analyste Paul Melly cite l'une des raisons [14] pour lesquelles la Guinée vit depuis déjà cinquante ans sous la poigne d'une succession de dictateurs [en anglais] :

La Guinée est pleine de richesses naturelles. Il n'est pas facile de forcer la chute d'un régime par la seule pression extérieure. Le régime [précédent] de Lansana Conte a survécu à des années de suspension de l'aide européenne sans jamais céder aux demandes de réforme politique de l'UE.

Tollé en Allemagne

Pendant ce temps, la situation critique de la Guinée a soulevé une autre polémique. Quand on a su en Allemagne, où le capitaine Dadis Camara a reçu une formation militaire, qu'il parlait allemand et qu'il continuait à arborer l'insigne des parachutistes allemands sur son béret rouge militaire [15], le ministère allemand de la défense a déclaré que la formation d'officiers étrangers en Allemagne était encouragée par le gouvernement allemand afin de promouvoir la démocratie dans les autres pays [16][en anglais] et que “Berlin n'était pas à blâmer si ces officiers se lançaient sur une autre voie une fois rentrés chez eux.” L'indignation a débordé sur une dizaine de pages de commentaires sur le site d'information Die Welt [15] [allemand]:

Angelina: Diesem Schwein sollten alle Titel und Ränge der Deutschen Bundeswehr aberkannt werden,das Fallschirmspringerabzeichen müßte ihm Frau Merkel persönlich vom Barrett reißen!

On devrait dégrader ce porc de tous les titres et rangs de la Bundeswehr allemande, et l'insigne de parachutiste, c'est Mme Merkel en personne qui devrait le lui arracher de sa barrette !
Jennifer Brea a contribué à la correction et à la traduction de l'article d'origine.