Arménie – Turquie : Manifestations anti-rapprochement

Manifestation contre l'accord Arménie-Turquie à Los Angeles aux USA © Liana Aghajanian / Ianyan 2009

Quelques jours avant la signature prévue, par les ministres des affaires étrangères d'Arménie et de Turquie, de deux protocoles historiques susceptibles d'établir des relations diplomatiques et de rouvrir la frontière entre les deux pays voisins, l'attention des médias a convergé vers ce que beaucoup considéraient jusqu'alors comme une évolution improbable.

La frontière entre les deux pays a été fermée en 1993 par la Turquie pour protester contre l'occupation par l'Arménie de 14 à 16 pour cent de la superficie de l'Azerbaïdjan, son allié dans la région. Ecrivant sur le blog The Oil and the Glory (“Le pétrole et la gloire”), le journaliste vétéran Steve LeVine dresse le décor de ce qui fait déjà les grands titres à travers le monde [tous les liens sont en anglais].

Le principal point explosif entre les deux pays a été le massacre par la Turquie en 1915 de centaines de milliers d'Arméniens. La Turquie refuse de reconnaître sa responsabilité dans le carnage, et autorise des dénégations pseudo-scientifiques de la réalité historique bien établie. […]

Pourtant, si l'accord aboutit et que les parlements des deux pays en poursuivent la ratification — ce qui n'est nullement acquis — on pourra se demander ce qui peut encore être possible dans la région.

Agents of Virtue adopte quant à lui la même position positive sur les derniers développements. Le blogueur, qui a passé trois ans à travailler en Arménie, dit qu'une percée est nécessaire pour les deux pays.

L'Arménie est enclavée, pauvre et dans l'impossibilité de croître économiquement avec des frontières fermées. […] Les entreprises de l'Est de la Turquie veulent depuis longtemps un accès en et à travers l'Arménie et l'Arménie a besoin du commerce qui en résultera – surtout si elle y gagne un accès à la Mer Noire […].

Enfin, la Turquie aimerait que cette parenthèse prenne fin. C'est une puissance grandissante dans le Caucase et l'Asie Centrale, sans parler de l'éléphant dans le magasin de porcelaine du Moyen-Orient. La Turquie est une concurrente de l'Iran et un pays démocratique – plus que tous ses voisins. […].

Néanmoins, note le blog, les Arméniens de la vaste diaspora ne seront pas forcément convaincus par ce genre d'arguments. Le blogueur se dit, pour cette raison, pas étonné par les manifestations organisées à l'étranger contre l'accord. Il reste tout de même optimiste quand à une avancée.

La diaspora arménienne manifeste activement contre tout rapprochement. Mais aussi, j'ai toujours observé qu'en dehors des vacances d'été, ils ne sont pas obligés de vivre en Arménie, au lieu de quoi ils peuvent se retirer dans leurs agréables maisons de Californie ou de France, où ils ont l'eau courante, l'électricité 24 heure sur 24 et des revenus qui dépassent 35 dollars par mois. Les Arméniens, livrés à eux-mêmes, auraient déjà réglé leur situation internationale depuis un bout de temps.

Les accords et les compromis se font d'habitude pas à pas dans les matières diplomatiques. Enfin, un pas important semble être sur le point d'être franchi. C'est bien.

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Manifestation contre l'accord Arménie-Turquie à Los Angeles aux USA © Liana Aghajanian / Ianyan 2009

Ianyan, un blog basé à Los Angeles publie des photos et un récit de la manifestation de cette semaine organisée par 3.000 personnes d'origine arménienne contre la visite du président arménien, Serge Sarkissian, pendant son étape étatsunienne d'une tournée en trombe des communautés de la diaspora en vue d'écouter leurs craintes.

La manifestation de Los Angeles, qui abrite la deuxième plus grande population d'Arméniens hors d'Arménie, a eu lieu dans le sillage de la visite de M. Sarkissian aux communautés de la diaspora à New York et Paris dans le cadre d'une tournée d'une semaine.

[…]

Sarkissian a rencontré une forte opposition à New York comme à Paris, où il y a eu des affrontements avec la police française. L'ambiance n'était en rien différente à Los Angeles, où beaucoup, comme Zaruhi Najarian, ont fait écho aux sentiments de Santikian.

“Le président, à l'évidence, est là pour recueillir l'opinion de la diaspora et nous espérons qu'il prendra notre opinion en considération et qu'il ne signera pas les accords,” a dit Najarian, qui comptait rester à la manifestation jusqu'à 20 heures.

[…]

Beaucoup de ceux qui étaient présents ont fait usage des médias sociaux en tweetant sur l'événement, y compris la section Occidentale de l'AYF qui a mis en ligne des photos,un commentaire et une vidéo des manifestations qui ont duré toute la journée et Aram Hamparian, le directeur exécutif du Comité National Arménien, qui a écrit : “Après Paris, NYC, et LA, qui va porter un toast à serj ?”

Life in the Armenian Diaspora se réjouit de ces manifestations, mais se dit inquiet de ce que la plupart des blogueurs arméniens n'écrivent pas sur le sujet. La diaspora se compte en millions, mais à ce jour seuls quelques milliers ont protesté publiquement contre les accords.

Malgré cela, ce blog croit que la plupart des Arméniens d'origine à l'étranger s'y opposent. Il affirme aussi qu'il ne peut y avoir ni compromis ni concessions tant à l'Azerbaïdjan qu'à la Turquie en contrepartie de l'ouverture des frontières et de la fin du conflit.

J'ai du mal à croire que les blogs des rapatriés et de la diaspora sont si morts. Je suis très curieux d'apprendre des rapatriés ce qui se passe en Arménie concernant les accords. […]

[…]

Le soutien à ces accords est si minimal qu'il est quasi inexistant. 

[…]

Nous ne reconnaissons pas la frontière actuelle ! Le mont Ararat est à nous! Mush et Van sont à nous! Le Kharabagh n'est pas à vendre ou à négocier ! […]

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Manifestation contre l'accord Arménie-Turquie à Erevan, République d'Arménie © Onnik Krikorian / Oneworld Multimedia 2009

Les manifestations ne se confinent pas, cependant, à la diaspora. Ecrivant sur son blog Frontline Club, l'auteur de ce billet publie aussi des photos d'une “grève de la faim” contre les accords dans la capitale arménienne, Erevan. On ignore combien d'habitants sont contre leur signature imminente.

[…] il faut le dire, comme le soulignent certains, cette action n'est pas à proprement parler une grève de la faim, mais plutôt une sorte de jeûne de 48 heures de 24 membres du parti qui s'abstiennent de manger jusqu'à ce qu'ils soient remplacés deux jours plus tard. La reconnaissance immédiate du génocide arménien et des revendications territoriales vis à vis de la Turquie sont certes au centre de l'idéologie du parti, mais la protestation est remarquablement calme et contenue. 

[…]

[…] les manifestants continuent à affirmer catégoriquement que la plupart des Arméniens sont derrière eux dans l'opposition à l'accord et se préparent à un rassemblement prévu le 9 octobre. Environ 700 personnes ont signé leur pétition aujourd'hui, ajoutent les protestataires, bien qu'ils ne puissent donner de chiffres précis sur le nombre total collecté jusqu'à maintenant. […] Une précédente réunion le mois dernier n'avait attiré que 500 personnes, et même si le rassemblement de vendredi sera probablement nettement plus large, pour chaque passant qui aura paraphé le papier aujourd'hui, il y en aura encore plus qui ne l'auront pas fait.

Le spécialiste de la région Kevork Oskanian, écrivant dans Security, in the Caucasus and beyond…., dit que les opposants aux accords dans les deux pays comme à l'étranger sont aussi réactionnaires les uns que les autres.

Les protocoles d'accord publiés par les ministères des affaires étrangères d'Arménie, de Turquie et de Suisse le 31 août ont provoqué un tollé parmi les nationalistes aussi bien arméniens que turcs. Les deux sociétés ont été complètement prises par surprise […]. Après le choc initial, certaines critiques formulées contre les accords étaient bien fondées et argumentées ; d'autres résultaient d'enchaînements d'idées frisant le grotesque et l'absurde. Chez […] les sympathisants de l'ultra-nationaliste MHP […] le récit était celui de la ‘trahison’ des ‘frères de sang’ des Turcs, les Azéris. Chez les nationalistes arméniens, en Arménie mais plus particulièrement dans la diaspora, les accusations volaient, d'une trahison supposée des ‘droits historiques arméniens’. Aux deux extrêmes, les réactions étaient parfaitement prévisibles dans leur paranoïa persistante et fossilisée.

[…]

[…] Vu l'intrication du Karabakh et de l'Arménie-Turquie dans beaucoup de ces questions, quiconque aurait l'air de remettre en cause un grand marchandage aussi chèrement gagné se verrait rapidement à court d'options .

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