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Pérou : Le Sentier Lumineux refait parler de lui

Catégories: Amérique latine, Pérou, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique

Au Pérou, on a évoqué la résurgence du mouvement terroriste du “Sentier Lumineux [1],” à la suite de diverses informations sur des attentats contre des stations de police [2][en espagnol, comme tous les liens de ce billet, sauf mention contraire] [3] et des bases militaires [3], de même qu'il a été fait état d’entraînement de jeunes gens [4]par ce mouvement. Même s'il n'y a aucune preuve solide que les attentats aient été le fait du Sentier Lumineux, qui avait été particulièrement actif dans les années 80, et qu'ils paraissent plutôt liés aux trafiquants de drogue ou à l'agitation sociale en général, la presse nationale et international [5]e [6] [en anglais] [3]ont suggéré que ce groupe était bien de retour.

Cependant, ces derniers jours, il y a eu deux faits conjugués qui ont mobilisé l'attention sur le Sentier Lumineux. L'un d'entre eux est la sortie du film péruvien Tarata [7], qui traite des événements autour de l'attentat à la bombe de 1992 de la rue Tarata [8] dans le quartier de Miraflores à Lima [en anglais] [3]. La bande-annonce est visible ici [9].

Le film, qui retrace les événements capitaux de cette période et leurs conséquences actuelles, a rencontré un succès mineur au Pérou, et Gabriel Quispe de Cinencuentro note que le film a attiré 46.000 spectateurs pendant le premier week-end de projection [10]. Quoi qu'il en soit, les commentaires de ce billet divergent quant à la qualité du film.

Par ailleurs, Carla Ciurlizza du blog C3 a écrit à propos du film [11]:

Hace un par de días veía por televisión local un reportaje sobre la película que actualmente se exhibe en los cines, “Tarata [12]“. Incluyó también imágenes y videos del hecho real [13], … con testimonios de vecinos que aún viven en esa calle. Vecinos que, como yo, vieron sus casas destrozadas y con suerte salieron vivos (otros muchos no tuvieron tanta suerte). Vecinos que hemos quedado traumatizados de por vida.

En otra parte del reportaje, para comprobar la mala memoria colectiva de los peruanos y la poca información que manejan las nuevas generaciones, se le preguntó a una chica sentada en una banca en esa misma calle si sabía lo que había sucedido allí [14], y totalmente despistada respondió “ah sí, el incendio, ¿no?”. La pobre tenía una vaga idea de lo que pasó, mencionaba un “coche bomba” y estoy segura que no tenía ni idea de lo que realmente es eso. Increíble.

Il y a quelques jours  j'ai vu sur une télé locale un reportage sur un nouveau film qui passe en ce moment au cinéma, “Tarata”. Il incluait aussi des images et des vidéos des faits réels, …avec des témoignages des gens qui vivaient dans cette rue. Des voisins qui, comme moi, ont vu leurs maisons détruites et ont eu la chance d'en sortir vivants  (beaucoup d'autres n'ont pas eu cette chance). Nous avons été traumatisés à vie.

Dans une autre partie du reportage, pour démontrer la mauvaise mémoire collective des Péruviens et le peu de connaissances des nouvelles générations, on a demandé à une fille assise sur un banc dans cette même rue si elle savait ce qui s'était passé là [14], et complètement décontenancée, elle a répondu : “Ah oui, l'incendie, non ?” La pauvre n'avait qu'une vague idée de ce qui s'était passé, elle a mentionné une “voiture piégée” et je suis sûre qu'elle n'avait aucune idée de ce que c'est. Incroyable.

Le deuxième développement récent concernant le Sentier Lumineux est la publication du livre “De Puño y Letra,” dont le titre a le double sens de “écrit à la main” et “par le mot et le poing”, écrit par Abimael Guzmán [15], le chef du Sentier Lumineux [en français] [3]. Guzmán a été capturé par les autorités péruviennes en 1992 et purge actuellement une peine d'emprisonnement à vie. Le manuscrit de ce livre a été sorti clandestinement de la prison par les avocats de Guzman et il contient des déclarations de Guzman justifiant ses actions pendant la guérilla.

Depuis lors, Guzmán a suscité une énorme polémique due au grand nombre d'hommes politiques [16] qui se sont prononcés [17] contre [18] la publication [19]du livre. Le directeur du Centre culturel de l'Université San Marcos a été contraint à la démission [20] après avoir assisté à une présentation publique du livre.

Le ministère de la Justice péruvien a annoncé qu'il demanderait la saisie des ouvrages [21], et a dénoncé ceux qui les distribuaient [22] comme faisant l'apologie du terrorisme.

Sur Foros Peru, il y a des discussions [23]et de nombreux visiteurs des forums ont publié des photos du livre. Sur les blogs, Javier Fernandez de Javi 270270: Que pasa? a posé la question [24] suivante :

Se ha creado una controversia por la edición de un libro de ABIMAEL GUZMAN. Personajes de la política parecen “horrorizados”. Tan fariseos como desinformados hacen de la hipocresía el pan de cada día. El precedente lo puso VLADIMIRO MONTESINOS, quien es vecino de ABIMAEL GUZMAN en la celda de ALTA SEGURIDAD DE LA BASE NAVAL. Tres libros, sin mayor trascendencia pero que si merecieron despliegue informativo, son los frutos de la intelectualidad de Montesinos…

¿Qué diferencias merecen los libros de un ejecutor por terrorismo de estado y alguien condenado por terrorismo?

On a créé une controverse sur le livre d'Abimael Guzman. Les personnalités politiques paraissent “horrifiées.” L'hypocrisie est le pain quotidien de ces pharisiens de la désinformation. Le précédent a été établi par Vladimiro Montesinos, qui est le voisin de cellule d'Abimael Guzman à la prison de haute sécurité de la base navale. Trois livres, pas transcendants mais qui ont mérité un déploiement d'information, sont les fruits de l'intellect de Montesino…

En quoi les livres d'un exécutant du terrorisme d'Etat méritent-ils un traitement différent de ceux d'un condamné pour terrorisme ?

Pour sa part, Silvio Rendon de GranComboClub traite [25]du sujet dans le contexte de la politique actuelle :

Guzmán no está llamando a la lucha armada. Su lógica es la amnistía general para su gente como para las FFOO. Por eso, se habría esperado una protesta de parte de quienes rechazan a Guzmán y lo que significó Sendero Luminoso. Sin embargo, esta presentación se da en un momento de crecida de la lucha anti-narcóticos. Al gobierno le viene bien agitar el miedo a Sendero Luminoso.

Guzmán n'appelle pas à la lutte armée. Sa logique, c'est une amnistie pour les siens, comme pour les FFOO (les forces de sécurité). De ce fait, on pouvait s'attendre aux protestations de ceux qui rejettent Guzmán et tout ce que représente le Sentier Lumineux. Pourtant, la présentation du livre arrive à un moment de renforcement de la lutte anti-drogue. Cela arrange le gouvernement d'agiter la peur du Sentier Lumineux.

Dans un autre billet, Rendon met le doigt sur [26] un fait intéressant :

¿Por qué no hubo protestas contra Abimael Guzmán? Las ONGs de derechos humanos bien hubieran podido organizar una protesta contra la tan anunciada presentación del libro del líder terrorista. … Guzmán puede presentar su libro y expresarse, pero también se esperaria que hubiera una protesta democrática contra él.

Pourquoi n'y a t-il pas eu de manifestations contre Abimael Guzmán ? Les ONG de droits humains auraient pu organiser une manifestation contre la présentation claironnée du livre d'un chef terroriste. …Guzman peut présenter son livre et s'exprimer, mais on attendait aussi qu'il y ait des manifestations démocratiques contre lui.

Peut-être inspirée par tout cela, ainsi que par le 17e anniversaire de la capture de Guzmán, de sa présentation devant le peuple péruvien et son emprisonnement le 24 septembre 1992, Claudia Cisneros de Sophimania a publié un billet détaillé sur les 10 mythes du Sentier Lumineux et la guerre contre la subversion [27], dont celui-ci :

4) Lo que queda de Sendero está en el VRAE

Falso.

Sendero sigue existiendo en Lima y en las principales ciudades del país. Se hace sentir y se infiltra, sigilosamente, en universidades, sindicatos e instituciones populares. No tienen la beligerencia de antes y apelan a ser “amigos del pueblo” asumiendo como propias agendas reivindicativas legítimas, pero no para buscar soluciones sino para boicotearlas, promoviendo el pensamiento errado de que la única salida es la violenta. Ese Sendero, silencioso y poco atractivo para la cobertura mediática, es tan peligroso como el del VRAE. ¿Están los servicios de inteligencia haciendo su trabajo de infiltración y desactivación? ¿Hay siquiera un Servicio de Inteligencia Central? No y no.

4. Les restes du Sentier Lumineux sont dans la VRAE (Vallée des fleuves Apurímac et Ene)

Faux.

Le Sentier Lumineux continue à exister à Lima et dans les principales villes du pays. Il se fait sentir et s'infiltre silencieusement dans les universités, les syndicats et les institutions publiques. Ils n'ont plus leur belligérance d'avant et se dénomment “amis du peuple”, se servant de revendications légitimes pour leurs propres priorités, non pas pour chercher des solutions mais pour les boycotter, en promouvant l'idée fausse que la seule solution, c'est la violence. Ce Sentier Lumineux, silencieux et n'attirant pas l'attention des médias, est tout aussi dangereux que celui de la VRAE. Les services de renseignement font-ils leur travail d'infiltration et de démantèlement ? Y a-t-il au moins un Service central de renseignements ? Deux fois non.

Sur le blog Notas desde Lenovo [es], Jacqueline Fowks montre comment la méfiance et le manque de coordination peuvent expliquer l'attaque de San Jose de Secce [28]:

La zona del ataque está localizada en el VRAE, foco de las acciones del grupo de SL que nunca salió de su reducto de Vizcatán (Huanta) después de la captura en setiembre de 1992 del líder fundador del grupo, Abimael Guzmán. Autoridades y analistas han demostrado que el grupo está articulado e involucrado en el cultivo de coca y el transporte de droga hacia la costa peruana. […] No estamos como en 1983, ni el Sendero de antes es el de ahora, pero la historia a veces ayuda a mirar mejor lo que tenemos al frente. Aquí, un interesante documento desclasificado de la embajada de EEUU [29] -de febrero 1983- menciona la ausencia del Estado, la labor de la policía y del Ejército, y el desempeño de los medios -entre otros factores- en la lucha contra SL luego de los asesinatos en Uchuraccay.

La zone de l'attaque est localisée dans la VRAE, centre des actions du groupe du Sentier Lumineux, qui n'a jamais abandonné son réduit de Vizcatan (Huanta) après la capture de son chef et fondateur, Abimael Guzman en septembre 1992. Les autorités et les observateurs ont démontré que le groupe est impliqué dans la culture de la coca et le transport de drogue vers la côte péruvienne. […] Nous ne sommes pas les mêmes qu'en 1983, et le Sentier Lumineux de hier n'est pas celui d'aujourd'hui, mais l'histoire nous aide parfois à y voir un peu plus clair. Ici, un intéressant document déclassifié de l'ambassade américaine datant de février 1983 mentionne la déficience de l'Etat, le mauvais travail de la police et de l'armée et le désengagement des médias – entre autres facteurs – dans la lutte contre le SL après les assassinats à Uchuraccay.

Un récent billet de Francisco Canaza sur Apuntes Peruanos comporte une analyse de la situation dans la VRAE et de la façon dont le Sentier Lumineux continue à attiser la peur [30]:

hay que diferenciar claramente la dinámica de los grupos instalados en el VRAE [31]: por un lado existe el movimiento Proseguir, que se adscribe al fin original de Sendero; y por otro lado está instalada una serie de guardias paramilitares al servicio de las cadenas de tráfico de drogas. Son cosas distintas que necesitan soluciones específicas. Proseguir no es, como erroneamente se dice, un grupo estancado en el VRAE [31], sino una serie de columnas que se desplazan por la sierra de Junín, Huancavelica y Ayacucho. Contrario a esto, son únicamente los grupos de servicio al narcotráfico (protección paramilitar) los que sí están perennemente desarrollando sus actividades en elVRAE [31].

Por lo demás, el mundo institucional se ha mostrado complaciente con el terrorismo de Sendero Luminoso [32], reduciendolo incluso a la categoría de guerrilla, viendo sólo el componente subversivo y no la estructura insana del mismo; o peor aún justificando su trasfondo al calificar su accionar como político o ejecución en “una guerra”. Este gobierno al confundir los fines, los objetivos y los trasfondos de una inexistente pero necesaria política sobre el terrorismo está igualmente perpetuando el real problema, que sigue creciendo y extendiéndose, mientras busca ganar réditos con la bandera del miedo.

Il faut différencier clairement la dynamique des groupes installés dans la VRAE : d'un côté il y a le mouvement Proseguir, qui s'assigne l'objectif initial di Sentier Lumineux ; et de l'autre, une série de milices paramilitaires travaillant pour les narco-trafiquants. Ce sont des problèmes différents qui réclament des solutions différentes. Proseguir n'est pas, selon une affirmation erronée, un groupe enraciné dans la VRAE, mais une série de colonnes qui se déplacent à travers les montagnes de Junín, Huancavelica et Ayacucho. Au contraire, ce ne sont que les groupes assurant une protection paramilitaire aux trafiquants de drogue qui développent toujours leurs activités dans la VRAE.

Pour le reste, le monde institutionnel s'est montré complaisant avec le terrorisme du Sentier Lumineux, en les traitant comme des guérilleros, n'y voyant que la composante subversive et non la folie sous-jacente ; ou pire encore, en instrumentalisant la peur du terrorisme pour justifier leurs actes politiques ou lancer  “une guerre”. Ce gouvernement, en confondant les fins, les objectifs et la nature de sa politique de contre-terrorisme inexistante mais nécessaire, contribue à perpétuer le vrai problème. Le terrorisme continue à croître et à s'étendre, tandis que le gouvernement cherche à gagner du crédit sous la bannière de la peur.

Tom Schrieber [33] a collaboré à ce billet.