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Le regard critique des bloggeurs sur l’enseignement marocain

Catégories: Maroc, Développement, Education, Langues, Médias citoyens

Les taux élevés d’illettrisme sont souvent présentés comme étant la preuve de ce que beaucoup d’observateurs jugent être un système éducatif archaïque et injuste qui, 50 ans après l’indépendance, n’a pas réussi à satisfaire les attentes de nombreux Marocains.

Tiraillé entre les appels insistants à la modernisation et un conservatisme puissant, pris dans un débat pénible sur les langues à inclure dans ses programmes, accablé par une administration opaque et centralisée, le système éducatif marocain est depuis longtemps la cible de critiques passionnés parmi lesquels les bloggeurs ne sont pas en reste.

Mohamed, qui étudie à l’université, déplore [1] [en arabe] une méthodologie basée principalement sur une mémorisation aveugle et incontestable qui semble prédominer tout au long du cursus officiel. Il écrit :

..
لم يكن يفرقنا عن الببغاوات الرمادية الكثير: تلقي مجموعة أسطر وفقرات، نحفظها عن قلب ظهر أو عن ظهر قلب فلا يهم، الأهم أن نستعرض ما حفظناه يوم الرعب: وعند الإمتحان يذل الحافظ أو يهان..
بدأت تتكشف لي معالم الجامعة، تجارب نحفظها لنتظاهر بتطبيقها في المختبرات، أو لنقل شبه مختبرات تحريا للصدق. طُلب من أستاذ نتيجة تجربة فأجاب، سُئل لماذا هذه القيمة بالضبط؟ قال إنها القيمة التي حصل عليها فوج السنة الماضية! حتى الأساتذة يحفظون النتائج كما أنزلت ولله الحمد..
Peu importe si nous comprenons ce que nous essayons d’apprendre par cœur. Contentez-vous de retenir, puis récitez. Laissez la compréhension aux grands esprits…
Nous n’étions pas si différents des perroquets: on nous donnait des lignes et des paragraphes puis on nous demandait de les mémoriser. Le plus important c’était la capacité de les répéter quand venait le jour tant redouté : celui de l’examen où l’on se trouve au mieux dans l’embarras, au pire humiliés…

La réalité de l’université a commencé à se révéler à moi. Nous faisions semblant de mener des expériences conçues par d’autres, dans des soi-disant laboratoires. Nous demandions au professeur d’expliquer le résultat de l’expérience et ce qui se cachait derrière telle ou telle valeur. Sa réponse : demandez aux étudiants de l’année dernière ! Même les enseignants apprennent les résultats uniquement par cœur. Que Dieu soit loué (sarcastique).

Outre ces maudits taux d’illettrisme, les chiffres suggèrent que de nombreux enfants n’ont pas accès à l’école, tandis que d’autres abandonnent tôt, comme le souligne [2] [en arabe] Ammar al-Khalfi  qui écrit sur Nebrass E’shabab [3] [en arabe]:

إن السبب المساهم في الهدر المدرسي إن لم نقل السبب الرئيسي هو تدني مستوى التعليم العمومي، فحسب الدراسات وحسب تجربتي الشخصية فإن علاقة
الطفل المغربي بالمدرسة أصبحت علاقة نفور، إذ تلاشى الرابط بين التلاميذ ومدرسيهم بسبب العنف والتهميش.
كما تعاني المدرسة المغربية من نقص في التجهيز التربوي وندرة في الأنشطة غير التعليمية، وضعف في تكوين المدرسين لمواجهة حاجات الأطفال ومشاكلهم. وتطول لائحة الأسباب الخارجية المنفرة للأطفال من المدرسة، كالتفكك الأسري، وأمية الآباء والأمهات، وتأثير الشارع، والمخدرات والبطالة، والرغبة في الهجرة إلى الغرب.
L’une des raisons de ces abandons, si ce n’est la raison principale, est la baisse de la qualité de l’enseignement public. Des études ont montré, et mon expérience personnelle me le confirme, que les enfants sont devenus plus réfractaires à l’école : la violence et la marginalisation ont affaibli leurs liens jadis solides avec leurs professeurs.
Les écoles marocaines souffrent également d’un manque d’équipement et d’activités non-éducatives et de la mauvaise formation des professeurs qui ne parviennent pas à répondre aux besoins des enfants et à résoudre leurs problèmes. De nombreuses causes externes expliquent le dégoût des enfants pour l’école, telles que les familles éclatées, les parents illettrés ou l’influence qu’exerce la rue, les drogues, le chômage et le désir d’émigrer vers l’ouest.

Le budget total alloué à l’enseignement chaque année reste médiocre. Cela se matérialise de manière encore plus évidente lorsque l’on observe les infrastructures délabrées de certaines écoles. Abderrazak E’ttabi , qui s’exprime sur le blog ‘Akrab al-Net, évoque [4] [en arabe] le cas d’une école publique qui s’est effondrée à Ksar al-Kabir. Il écrit :

الذي سيرى الصور من الوهلة الأولى قد يعتقد أنها صور التقطت من قلب مدينة تعرضت لهزت أرضية أو قصف جوي و موجة من أمواج تسونامي المدمرة ، لكن الواقع و الحقيقة أن الصور الملتقطة هي لمدرسة لم يمضي على افتتاحها سوى سنوات قليلة بمدينة القصر الكبير ، و بالضبط بالحزام الهامشي للمدينة ، تصدعات و شقوق تؤدن بانهيار وشيك قد يتسبب في كارثة كبرى يكون ضحيتها في المقام الأول أطفال أبرياء.
A première vue, on dirait que ces photos ont été prises depuis l’épicentre d’une ville secouée par un tremblement de terre, bombardée ou dévastée par un tsunami. La terrible réalité c’est que ces photos ont été prises dans une école publique récemment ouverte dans la banlieue de la ville de Ksar al-Kabir (au nord du Maroc). Des fissures et des fractures menacent de faire s’effondrer le bâtiment, ce qui pourrait coûter la vie à des enfants innocents.

L’auteur publie ces photos prises par un professeur à l’école :

Le problème plus large des langues apparaît souvent comme une inquiétude majeure. Le français est perçu comme le moyen d’accéder à l’enseignement supérieur dans un pays où la plupart des gens parlent l’arabe vernaculaire. Bien que les langues berbères [5] (ou Tamazight) aient récemment été incluses dans les programmes officiels, certains comme Ibrahim Murabit , qui intervient sur le blog Nebrass E’shabab, pensent [6] [en arabe] que c’est insuffisant et trop tardif. Il écrit :

وإذا كان معلوما أن كل حضارة تقاس قوتها بمدى انتشار لغتها وثقافتها، والأمر عندنا في المغرب أكثر وضوحا عندما نشاهد الصراع الثقافي المحموم بين المراكز الثقافية الفرنسية والاسبانية والانجليزية، لنشر ثقافتها ولغتها بمقابل رمزي أو مجاني في أحيان كثيرة. فما بالنا نتنكر لأنفسنا ونحقد على تراثنا وثقافتنا، خصوصا إذا تعلق الأمر بأمازيغية المغرب وثقافته وتاريخه؟
Chaque civilisation se mesure à l’étendue et à l’influence de sa langue et de sa culture. Ici au Maroc, nous assistons à une lutte d’influence acharnée entre les centres culturaux français, espagnols et anglais qui cherchent à propager leur culture et leur langue. Ils proposent leurs services en échange de sommes symboliques ou pour la plupart gratuitement. Pourquoi détestons-nous et méprisons-nous notre culture, notre histoire et nos langues, en particulier le Tamazight ?

Reflétant la société marocaine, des groupes conservateurs et progressistes essaient souvent de combler le vide culturel au sein des universités en animant des débats et en organisant des rencontres et des conférences. Cela ne se passe pas toujours sans heurt. Depuis Tanger, Vamprita  relate [7] [en arabe] l’histoire d’une rencontre qu’elle a pu organiser avec des camarades étudiants, rencontre à laquelle d’éminents comédiens marocains étaient invités. Ce qui ressemblait à un rassemblement réussi s’est vite transformé en véritable chaos du fait d’étudiants conservateurs mécontents :

كانت الأمور تجري على ألف ما يرام ، فقد جهزنا ما أمكننا لاستقبال الضيوف ، و قام كل مسؤول فينا بتقديم ناديه ، ثم توجهنا لقاعة جهزناها خصيصا لهذه المناسبة حيث جلسنا في حوار مفتوح تدخل فيه كل الطلبة الراغبين بذلك
إلى أن خرب الجلسة أعضاء من الاتحاد الوطني لطلبة المغرب ، من الفصيل القاعدي ، وهجموا على القاعة بكل همجية ووحشية ووقاحة ، وقاطعوا الجلسة بطريقة فوضوية محتجين لماذا لم يتم اخبارهم بهذا النشاط وأي نشاط يجب أن يتم بعلمهم ، و قالوا بأن أنشطتنا كلها هي مضيعة للوقت في ظل مشاكل أهم تعاني منها الجامعة
Les choses se passaient bien. Nous avions pu régler chaque détail avant de recevoir nos invités, chacun d’entre nous étant chargé de présenter son propre groupe. Puis nous sommes allés dans le hall d’entrée, spécialement rénové pour l’occasion, et nous avons entamé un dialogue où tous les étudiants pouvaient intervenir.
Tout a été gâché lorsque des membres d’une faction radicale de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM) sont entrés dans le hall et se sont mis à demander brutalement et sans la moindre honte à ce que la rencontre soit boycottée et annulée. Ils prétendaient protester contre le fait que personne ne les avait informés de l’événement et qu’ils devaient être au courant de toute activité. Ils ont dit que toutes nos activités étaient une perte de temps étant donné les problèmes rencontrés par l’université.

Malgré des réformes successives et ambitieuses en trompe l'oeil, les bloggeurs semblent faire écho au sentiment populaire répandu de fiasco du système éducatif public qui ne parvient pas à tenir ses promesses, favorisant un système d’écoles privées prospère et lucratif qui se répand dans les centres urbains et reste inaccessible à une large partie de la population.