Le Comité de censure indonésien (LSF) a interdit Balibo, un film sur un groupe d'Australiens assassinés pendant l'invasion militaire par l'Indonésie du Timor Oriental en 1975. L'interdiction empêche en fin de compte le film d'être projeté le week-end prochain devant le Club des correspondants étrangers de Djakarta (JFCC) — l'association des journalistes de médias étrangers travaillant en Indonésie, et de ce fait il ne sera pas présenté cette année au Festival International annuel du Film de Djakarta (Jiffest) [ces liens sont en anglais].
Certains responsables, dont les militaires, se sont félicités de la décision prise par l'organe de la censure, expliquant que ce film rouvrirait une plaie ancienne et risquait de mettre en danger la relation bilatérale entre l'Indonésie et l'Australie.
La presse internationale a critiqué cette interdiction et s'est interrogée sur la liberté d'expression en Indonésie. Toutefois, le Ministre de la Culture et du Tourisme Jero Wacik, invité à commenter l'interdiction, a déclaré à un journal local [en anglais]- Le Jakarta Globe – que l'interdiction est “pour le bien du pays, la sécurité et le bien-être futurs des gens”, ajoutant que le film était interdit surtout parce qu'il était plein de contenu politique.
Le blogueur de Jogjakarta Rawins s'étonne que les autorités ne forment pas les gens à avoir l'esprit critique :
Kenapa masyarakat kita tak dibelajari untuk berpikir dewasa dengan main cekal semacam itu. Padahal dengan pencekalan itu, masyarakat justru malah penasaran dan mendongkrak popularitas film tersebut.
Pourquoi ne nous apprend-on pas à penser avec maturité au lieu de ne faire que censurer de la sort. La vérité c'est qu'avec la censure, les gens seront plus curieux et la popularité du film augmentera.
Rob Baiton, qui blogue sur The RAB Experience, a dit qu'il n'était guère surpris par l'interdiction [en anglais]:
Il n'était guère étonnant que le Comité indonésien de censure (Lembaga Sensor Film / LSF) ait infligé une interdiction au film Balibo. Ce film raconte l'histoire de cinq journalistes tués à Balibo alors qu'ils couvraient l'invasion indonésienne du Timor Oriental. Il raconte aussi cette histoire du point de vue de Roger East (finalement tué sur les docks de Dili) et de Jose Ramos Horta.
Patrick Guntensperger, un écrivain et analyste professionnel installé à Djakarta, a fait une critique du film sur son blog [en anglais].
Tout d'abord, toute polémique mise à part, le film est sensationnel. C'est un tableau passionnant, authentique de drame et d'aventure ; qu'il s'agisse d'une histoire vraie ne fait que le rendre plus fascinant. Et le réalisateur comme les producteurs s'accrochent à leur version des événements. Ce n'est pas un film “inspiré par des fais réels” ou “basé sur une histoire vraie”. La séquence-titre affirme sans équivoque que “ceci est une histoire vraie”.
En conclusion Patrick dit que, avant tout, il faudrait regarder ce film pour son intérêt cinématographique :
Ça n'a pas beaucoup de sens de narrer davantage le déroulement de l'intrigue ; il suffit de dire que le gouvernement indonésien a une version et quasiment chacun de ceux qui ont enquêté sur les incidents en a une autre, complètement différente. Ceci est un film. Et c'est un excellent film. Regardez-le comme un film. Et si cela vous intéresse suffisamment, faites votre propre recherche sur la vérité historique du scénario.
L'Association des Journalistes Indépendants d'Indonésie (AJI Indonesia) a déclaré que le film était hautement éducatif et ne devrait pas être interdit.
Elle a émis un communiqué de presse [bahasa] sur son site internet, disant:
Keputusan LSF tersebut bertentangan dengan prinsip kebebasan berekspresi, kebebasan berapresiasi dan tidak menghormati hak masyarakat untuk tahu.Menurut Pihak LSF pelarangan film tersebut akan “membuka luka lama” konflik Indonesia dengan Australia dan Timor Leste. Alasan tersebut terkesan berlebihan.
[…]
AJI Indonesia menduga, pelarangan film tersebut sangat politis karena film tersebut mengungkap pelanggaran HAM oleh tentara Indonesia berupa pembantaian lima jurnalis asing di Balibo, Timor Leste pada 1975. Pelarangan film tersebut terkesan untuk menutup-nutupi keterlibatan sejumlah perwira Indonesia dalam pembantaian jurnalis itu.
La décision du comité de censure enfreint le principe de la liberté d'expression, de la liberté d'appréciation, et manque au respect du droit du peuple à savoir. Pour le comité de censure le film ne fera que “rouvrir une vieille blessure” de conflit entre l'Indonésie, l'Australie et Timor Leste. Nous trouvons la justification excessive.
[…]
AJI Indonésie suppose que l'interdiction du film a une motivation politique, parce qu'il révèle les violations des droits humains par l'armée indonésienne lorsque les cinq journalistes étrangers ont été tués en 1975 à Balibo, au Timor Leste. L'interdiction du film insinue une dissimulation de l'implication de certains officiers indonésiens qui ont tué les journalistes.
L'AJI demande au comité de censure de retirer l'interdiction :
AJI Indonesia meminta agar pelarangan film “Balibo Five” dicabut. Pemutaran film ini penting untuk memberikan informasi kepada publik Indonesia mengenai peristiwa tersebut dari sudut pandang lain dari apa yang disampaikan pemerintah Indonesia selama ini.
[…] Film tersebut juga menjadi peringatan bahwa pembunuhan terhadap jurnalis harus diusut tuntas, pelakunya harus diadili.
AJI Indonésie demande que l'interdiction du film sur les Cinq de Balibo soit retirée. Sa projection est importante pour communiquer l'information sur cet événement au public d'un point de vue différent de celui livré par le gouvernement à travers les années.
[…] Le film devrait être un souvenir que les crimes que sont les assassinats de journalistes doivent être résolus, et les perpétrateurs jugés.
Bravant l'interdiction, l’AJI a projeté le film mardi dernier à Djakarta [en anglais]. La projection publique gratuite a été suivie par des centaines de journalistes et d'étudiants.
Brett McGuire sur son blog Spruiked est fermement convaincu que les autorités ne devraient pas interdire le film [en anglais]:
Le gouvernement devrait-il interdire le film ? Sans doute pas. C'est sûr, il rouvre d'anciennes blessures, mais cela favorise la guérison. La plupart des Indonésiens ne savent pas grand chose du Timor Oriental. Trente ans ont passé, et la plupart croient toujours le conte de fées de l'Ordre Nouveau que les Timorais de l'Est ont invité l'Indonésie à prendre la place des Portugais.
Le gouvernement devrait-il interdire le film ? Interdire des films, c'est avoir la main un peu lourde. C'est une chose qu'on attend de chefs religieux, et non de gouvernements démocratiquement élus. Pourtant, ce gouvernement semble avoir oublié que l'Ordre Nouveau a pris fin il y a 10 ans.
Balibo est le nom d'une petite ville de Timor Leste, le nom officiel que s'est donné le Timor Oriental après le référendum de 1999 qui a marqué son indépendance de la République d'Indonésie, située à l'est de la province indonésienne de Nusa Tenggara oriental.