Nos deux précédents billets [en français] s’intéressaient surtout à quoi pourraient ressembler les TIC au service du développement dans le futur. Ce billet donne le ton de la situation actuelle. Nous aborderons quelques problèmes récurrents en matière de technologies de communication et de l'information avant de présenter quelques projets TIC.
Ces projets n’ont pas été choisis selon une quelconque méthode scientifique, pas plus qu’il ne font consensus sur l’état possible des TIC dans les prochaines années. Ce sont juste des projets qui ont attiré l'attention de l'auteur de ce billet. Parce qu'ils tirent profit de la technologie dans les zones rurales, commençons par envisager la manière dont les points d’accès Internet publics pourraient se développer dans les prochaines années
Dans son blog ICTlogy, Ismael Peña-López se demande [en anglais] si les points d’accès publics à Internet, comme les télécentres et les cybercafés évolueront en e-centres de seconde génération, “où les communautés se rassembleront et bénéficieront de nombreuses ressources partagées, comme PC et accès Internet, entres autres? Ou bien disparaitront-ils purement et simplement ? »
Il poursuit:
Alors que les bibliothèques ont fourni plus que des livres, mais aussi des endroits pour apprendre à lire et où trouver des âmes soeurs, je suppose que les points d’accès public à Internet disparaîtront en tant que tels, et qu’ils seront soit intégrés à d’autres structures existantes (les bibliothèques elles-mêmes, ou les centres civiques pour n’en nommer que quelques uns), ou bien les télécentres et les cybercafés évolueront vers le stade suivant, où les facteurs pédagogique ou communautaire prendront plus d’importance. Nous voyons de fait plein d’exemples de ce phénomène, et ce n’est qu’une question de temps avant que les priorités et les perspectives ne soient mis sens dessus dessous : au lieu d’aller accéder à Internet, et d’y rencontrer des gens, les gens iront dans ces lieux, rencontreront des gens et utiliseront Internet comme une manière améliorée de socialiser. A son tour, ceci devrait être accompagné par la fin de cette fausse dichotomie entre le citoyen et l'internaute, comme si le web avait une vie et une citoyenneté qui lui seraient propres. Mais l’avenir nous le dira.
Shilpa Sayura
Shilpa Sayura, qui veut dire “mer de savoir”, est un système digital interactif d’auto-apprentissage basé au Sri Lanka. Le cursus Shilpa Sayura a débuté avec huit matières équivalentes au cursus éducatif national pour que les étudiants des zones éloignées et rurales puissent préparer les examens nationaux en cingalais, la langue locale prédominante. Le projet a ajouté trois autres matières, y compris des cours en tamoul et en anglais.
Le logiciel open source de Shilpa Sayura a été offert à des instituts éducatifs à but non lucratif ainsi qu’aux Nansalas ruraux, une chaîne de télécentres développés par l'administration. Ces télécentres au Sri Lanka remplissent plusieurs rôles [en anglais, comme tous les blogs cités] : ils fournissent une connection à Internet, mais offrent également le fax, ainsi que des services de photocopie et d’impression. Il gagnent de l’argent grâce aux appels téléphoniques, aux VOIP, et fournissent un service de paiement de factures. Ce sont également des endroits, espère le gouvernement, où d’autres projets TIC fleuriront.
Harsha Liyanage, originaire du Sri Lanka, publie sur son blog Sustainability First: In search of sustainable telecentres. Il relève quelques problèmes que Shilpa Sayura tente de surmonter.
L’absence de professeurs compétents et d’infrastructures adaptées handicape les étudiants ruraux chez 80% de la population du Sri Lanka. Mais près de 500 télécentres des périphéries rurales ouvrent de nouvelles opportunités. Shilpa Sayura permet aux étudiants d’interagir avec les TIC et d’étudier grâce à la technologie numérique 8 matières dans les télécentres et de développer leur savoir pour préparer les examens nationaux.
En Mars 2008, Liyanage a expliqué que le Shilpa Sayura souffrait de difficultés croissantes.
Fier de la réussite d’un projet pilote réellement convaincant, le projet se débat pour augmenter d’échelle. Chaque opérateur de télécentre dans chacun des plus de 500 télécentres du Sri Lanka a besoin d’avoir Shilpa Sayura installé dans son télécentre. Mais le blog e-Fusion reconnaît que ce n’est pas faisable dans l’état actuel des choses.
• Des améliorations technologiques sont nécessaires pour assurer un fonctionnement souple et sans problèmes
• Une formation aux compétences techniques est également nécessaire.
• La capacité des centres d’assistance à recevoir les requêtes qui augmentent en flèche doit être améliorée
Tous ces besoins signifient un investissement de capitaux. Ils admettent qu’il n’est pas raisonnable d’imposer au gouvernement de les soutenir encore plus. Par conséquent le CSR courtise la bonne volonté de ses partenaires privés. En attendant, ils tracent les plans d’un business model approprié.
Le blog Technology and Cultural Festival in Kandiyapitawew [en anglais] du Sri Lanka, explique les bienfaits pédagogiques du projet :
Nous croyons que Shilpa Sayura pourrait contribuer à résoudre le problème du manque de professeurs, spécialement dans les zones rurales éloignées qui demeurent l’échec du système éducatif de notre pays.
Le coffret d’apprentissage virtuel ‘Shilpa Sayura’ couvre 8 matières, de la sixième (grade 6) au brevet (O-level). Les moyens interactifs simples d’auto-apprentissage de Shilpa Saruya s’adressent aux étudiants des communautés éloignées sans accès aux ressources éducatives urbaines. Toujours au stade pilote, Shilpa Saruya est désormais en fonctionnement dans 20 ‘Nenasalas’, ou télécentres localisés dans des villages reculés et promeut le concept d’auto-apprentissage parmi les étudiants de ces communautés éloignées. La prochaine étape sera la transformation de Shilpa Saruya en un projet national pour renforcer l’éducation rurale et jeter un pont sur le fossé entre les étudiants ruraux et urbains.
M-Pesa
Le projet suivant se déroule au Kenya, où le blog Global Warming soutient que le téléphone portable est en train de révolutionner la société.
Il y a actuellement plus de 17 millions d’abonnés [au téléphone portable] et le fait qu’il facilite actuellement les transfert d’argent suffit à tout expliquer. Il y a deux choses qui font tout marcher : l’une est la communication, la seconde est la facilité de transférer du liquide. Après cela, vous pouvez être sûrs de pouvoir faire des affaires partout.
M-Pesa a commencé en 2007, comme un moyen de réaliser des transactions bancaires simples grâce au téléphone portable. Les entreprises de télécom à l’origine du projet ne facturaient pas de frais d’inscription, pas plus qu’elles n’exigeaient des clients d’avoir un compte bancaire, souvent un grand obstacle au Kenya car peu de gens font affaires avec les banques traditionnelles. Une fois enregistrés, les clients peuvent utiliser l’application M-PESA pour payer les factures, acheter plus de crédit téléphonique, transférer de l’argent au Kenya grâce à leurs téléphones activés. M-PESA permet maintenant aux clients de réserver des billets d’avion. Safaricom, la compagnie responsable d’M-PESA amorce un projet pilote pour permettre à ses clients de payer leur facture d’eau.
En juillet 2009, M-PESA comptait plus de 7 millions d’abonnés qui recevaient ou envoyaient de l’argent à travers un réseau de plus de 1400 agents bancaires, ce qui en faisait la plus grande banque du pays. Ces clients transfèrent plus de 2,5 millions de dollars chaque mois.
Il y a à peine quelques semaines, M-PESA s’est internationalisé, s’installant au Royaume-Uni, en autorisant ses clients à envoyer de l’argent à des numéros de téléphone au Kenya grâce à une interface web. Les coûts de transaction sont aussi faibles que 8$ pour envoyer 150£. Une étude datée de 2005 a montré que les entreprises traditionnelles de virement d’argent facturaient des frais de 2,5% à 40% pour n’importe quel transfert de moins de 100£.
David Zarraga, du blog Mobil Behavior fait un bon résumé de la manière dont fonctionne M-PESA.
Les clients enregistrés peuvent déposer des devises fortes chez n’importe quel agent M-PESA, en échange d’argent virtuel, qui est téléchargé sur le compte M-PESA du client. Pour 0,38$, le client peut alors transférer cet argent sur le compte d’un autre client inscrit via sms. Une fois que le destinataire reçoit l'e-mail de confirmation, la devise forte peut alors être retirée chez l’agent M-PESA le plus proche, clôturant ainsi le processus de transfert d’argent.
Comment le système M-PESA peut profiter au Kenyan moyen ? Olga Morawczynski, une candidate à l’école doctorale de l’université d’Edimbourg, qui a pris la parole au congrès mondial GSM à Barcelone en février dernier, a fait partager l’histoire de Martin, un cordonnier de Kibera, un quartier informel en dehors de Nairobi. Martin gagne environ 20$/jour, grâce à son commerce, et envoie un quart de son salaire à sa femme et à sa mère qui vivent dans l’Ouest du Kenya, à plus de 150 km. M-PESA fait gagner du temps à Martin, lui permettant de travailler à son commerce au lieu de devoir voyager loin de l’endroit où il travaille pour trouver une banque. Le service lui permet également de réaliser des transferts fréquents(5 fois/mois), lui permettant d’envoyer les revenus d’une semaine quand sa famille en a le plus besoin.
Le blog Bankelele: Nairobi Banker liste les avantages et inconvénients de réaliser des transactions avec M-PESA.
Avantages à l’utilisation d’M-PESA
– des transactions 24h/24. Plus de portée et d’accès que n’importe quelle banque ou réseau de distributeurs automatiques
– les transferts d’argent grâce au téléphone mobile avec cet opérateur ont tendance a être moins cher que les services bancaires via téléphone fourni par les banques
– Economies de coûts de transport et de transaction bancaire
– Possibilités de payer un grand nombre de factures à un bas prixDifficultés posées par M-PESA
– manque de fond de roulement chez les agents pour pallier aux temps d’arrêt occasionnels du système M-PESA Lack
– Pas d’historique de crédit, et les avis chers et maladroits de Safaricom ne sont pas encore utiles
– Nécessite une grande discipline pour constituer une épargne
– Les fonds ne sont pas assurés, et sujets au crime. Et résoudre un vol de portable au Kenya n’est pas une expérience plaisante.
eChoupal
Indian Tobacco Company, un des plus grands exportateurs indiens a créé eChoupal, une série de centres d’information ruraux où les agriculteurs peuvent communiquer directement avec d'autres agriculteurs, différents marchés ainsi que des experts grâce à internet. Ces kiosques internet de village ont été avant tout installés pour que les agriculteurs puissent apprendre, dans les dialectes locaux, les plus récentes informations concernant les prix nationaux et internationaux du soja, du blé, du tabac, et des crevettes. Mais la plateforme s’est métamorphosée en apportant d’autres informations importantes comme les conditions météo et les dernières pratiques scientifiques. En 2006, eChoupas comptait 3,5 millions d’agriculteurs qui utilisaient 5200 kiosques internet dans plus de 30 000 villages.
Les paysans payent à un coordinateur local une faible somme pour pouvoir utiliser le kiosque, qui peut également être utilisé pour commander les graines, les fertilisants, et d’autres produits.
Le blog NeoProducts Kiosks, du Royaume Uni, fait valoir qu’une part du succès d’eChoupal vient du fait qu’il laisse de côté les acheteurs traditionnels.
e-Choupal a été créé par ITC Limited pour permettre aux paysans en Inde d’acheter et de vendre des produits agricoles comme les graines de soja, le blé et le café. Il le fait en leur permettant de négocier directement la vente de leurs produits via un réseau de PC et de kiosques dans 6500 centres répartis sur 100 districts de 10 états. Auparavant les agriculteurs devaient utiliser de nombreux intermédiaires parfois corrompus.
Quelle idée géniale et quelle utilisation formidablee des kiosques! Permettre un accès public partagé à la technologie interactive est l’essence même des kiosques. Et ce n’est que le début.
Chirag Jethmalani est un étudiant en gestion de Bombay qui blogue à propos des entreprises indiennes sur Squamble. Il fournit ici sa position sur eChoupal.
e Choupal a été conçu pour résoudre les défis posés par les aspects uniques de l’agriculture indienne, caractérisée par des exploitations fragmentées, une infrastructure faible et l’intervention de nombreux intermédiaires…
Traditionnellement ces services étaient fournis par les “mandis” (principaux centres de commercialisation agricole dans les zones rurales d’Inde) , où c'étaient les intermédiaires qui tiraient le plus de profit. Ces intermédiaires utilisaient des méthodes non scientifiques et parfois complètement illégales pour juger de la qualité d’un produit afin d'en fixer le prix. La différence de prix entre la bonne qualité et la qualité inférieure était moindre, et il n’y avait aucun encouragement pour que les fermiers investissent et produisent des produits de bonne qualité. Avec eChoupal, les agriculteurs ont le choix et la force exploitante des intermédiaires est neutralisée.
Une plateforme TIC qui facilite le flux d’information et de connaissance, et soutient les transactions en ligne
* transmet l’Information (météo, prix, infos)
* transmet la Connaissance (gestion des exploitations, gestion des risques)
* facilite les ventes des productions de la ferme (dont la qualité est contrôlée) et
* offre le choix d’un canal alternatif pour la commercialisation de la production (pratique, coûts de transaction moindres) au fermier sur le pas de sa porte
* est un réseau entrelacé de partenariats (TIC + services météorologiques + Universités + Vendeurs d’intrants + les Sanyojaks, les courtiers d’autrefois) introduisant les meilleures pratiques en information, connaissance et production.
Ce n’est pas parce qu’eChoupal a une bonne plateforme et un bon buisness model qu’il va être une garantie de succès en Inde. Pour réussir, les gens doivent comprendre les marchés ruraux.
Les marchés ruraux sont des réseaux à la fois économiques et sociaux, avec un lien fort entre le fonctionnement social et les transactions économiques. Comprendre le fonctionnement est vital avant de conceptualiser les systèmes. Impliquer la population locale autant que possible a permis de rendre l’acceptation du réseau plus probable.