[Les liens sont en anglais] Le responsable de notre projet Rising Voices, David Sasaki, a publié une superbe rétrospective pour le 5ème anniversaire de Global Voices. Il y a cinq ans en ce mois de décembre, David a traversé les États-Unis depuis la Californie jusqu'à Havard pour assister à un atelier d'une journée sur le global blogging. Cet atelier – guère plus qu'une séance de brainstorming un peu structurée – était appelé “Global Voices Online”[Voix globales en ligne]. Le site sur lequel vous vous trouvez actuellement a commencé comme un blog, que Ethan Zuckerman et moi-même avions ouvert pour organiser cette journée. Notre but, en quelques mots, était de savoir comment “utiliser les blogs et les outils de publication en ligne pour aider les internautes de pays différents à avoir des échanges directs et plus intéressants”. Le débat de cette journée avait lieu dans le cadre d'une conférence plus importante, la Internet and Society Conference, organisée par le Berkman Center for Internet and Society. L’Open Society Institute nous a généreusement octroyé quelques fonds pour faire venir en avion quelques blogueurs de différentes parties du monde. Nous avions annoncé l'événement sur Internet et – comme beaucoup d'autres – David est tout simplement venu. Heureusement.
Voici un article que j'ai écrit peu après cette rencontre. Et voici le compte-rendu du “jour d'après “ d'Ethan. Nous n'avons pas élaboré de plan précis pour la conquête du monde – ou même pour un projet cohérent. Les participants s'étaient mis d'accord pour ouvrir un wiki afin de partager des informations, pour utiliser un Internet Relay Chat (IRC, outil de chat en ligne) afin de discuter en ligne, ainsi qu'un agrégateur de blogs pour agréger les blogs des participants à la conférence et ceux d'autres blogueurs qui leur ressemblaient, que nous avons commencé à appeler les “bridge bloggers” (les blogueurs-ponts). Nous ne savions pas vraiment où nous allions en partant de cela.
Une chose, néanmoins, était évidente : une masse critique de blogueurs partageant les mêmes valeurs était en train d'émerger autour du globe. Il semblait judicieux de “relier les pointillés” (l'expression est de Jeff Ooi ) entre ces personnes et de créer un espace sur Intenet pour cette communauté naissante. Dans les semaines qui ont suivi la conférence, certains participants ont ouvert un wiki pour articuler par écrit les valeurs communes de cette communauté. Le Manifeste de Global Voices est né là. Il est utile de le reproduire intégralement ici, car tout ce que fait Global Voices aujourd'hui repose toujours sur ces valeurs fondamentales [Traduction de Alice Baker] :
Nous croyons à la liberté d’expression, à la protection du droit de s'exprimer et du droit d’écouter. Nous croyons en l’accès universel aux outils d’expression.
Dans ce but, nous souhaitons permettre à tous ceux qui veulent s’exprimer — ainsi qu’à ceux qui veulent les écouter — d’en obtenir les moyens.
Grâce aux progrès technologiques, les libertés de penser, d'expression et de communication ne sont plus entre les seules mains de ceux qui possèdent les moyens d’édition et de distribution de l'information ; ces libertés ne peuvent plus être indûment restreintes par les gouvernements. Désormais, chacun peut bénéficier de la liberté de la presse. Chacun peut raconter ses histoires au monde.
Nous voulons construire des ponts qui relient les hommes au-delà des fossés culturels et linguistiques qui les séparent, afin que chacun puisse mieux connaître l’autre. Nous voulons travailler ensemble plus efficacement et agir avec plus de force.
Nous croyons à la force d'un contact direct. Le lien entre des individus venant de mondes différents est personnel, politique et puissant. Nous croyons que les échanges par delà les frontières sont essentiels pour garantir à tous les citoyens de la planète un futur qui soit libre, juste, prospère et durable.
Tout en continuant à travailler et à nous exprimer en tant qu’individus, nous voulons identifier et promouvoir nos intérêts et buts communs. Nous nous engageons mutuellement à nous respecter, à nous assister, à nous écouter et à apprendre ce que nous enseigne l’autre.
Nous sommes les Voix Globales.
Aujourd'hui, nous avons une incroyable équipe internationale dont les membres assument un rôle de référents pour les différents projets de Global Voices. Mais l'esprit de Global Voices, ce sont ses bénévoles, qui prennent du temps sur leur travail, leurs études et leurs obligations familiales pour participer à la construction de ce dialogue public et mondial plus ouvert et plus participatif.
L'histoire détaillée de l'évolution de Global Voices, du fonctionnement de ses différents projets – comme le projet Rising Voices, le site Global Voices Advocacy (défense de la liberté d'expression), et la communauté des traducteurs de Global Voices, Lingua – peut être trouvée sur de nombreux sites, et sur ce site même, sur les pages A Propos de Nous [en français] et la FAQ [en anglais]. Des articles et reportages consacrés à Global Voices sont accessibles ici. Depuis 2004, nous nous sommes rencontrés physiquement dans la vie réelle à Londres (2005), Delhi (2006), et Budapest (2008). Nous attendons avec impatience le prochain sommet, celui de 2010 (le lieu et les dates seront annoncés bientôt).
En 2006, Ethan et moi avons écrit un article pour le journal Nieman Reports dans lequel nous tentions de clarifier la relation entre Global Voices et le journalisme. David Sasaki a publié un autre excellent billet sur les raisons pour lesquelles l'action sur le terrain, la défense de la liberté d'expression et les traductions sont également nécessaires pour aider les personnes à surmonter les obstacles en matière d'expression en ligne, afin d'être entendues et de pouvoir écouter les autres.
Beaucoup de gens autour du monde se sentent frustrés de ce que les médias généraux de diffusion mondiale en anglais ignorent pour la plupart du temps leur pays, ou n'en couvrent que les mauvais aspects ou véhiculent des stéréotypes sur lui. Ils voient GV comme une plate-forme précieuse pour faire connaître leur actualité et leurs points de vue à une audience plus large et mondiale. D'autres sont contrariés que les médias de leur propre pays soient incapables de parler d'une grande partie du monde, le fassent mal ou d'une façon biaisée par la vision qu'a du monde leur gouvernement, et sont ainsi convaincus que traduire les contenus de GV dans leur propre langue leur permettra d'améliorer la compréhension du monde de leur communauté. D'autres se consacrent à venir en aide aux groupes qui ne tirent pas encore parti des nouvelles technologies pour faire connaître ce qui se passe chez eux. D'autres enfin ont fait cause commune contre la censure et la répression frappant ceux qui ne font qu'exercer leur droit universel à la liberté d'expression conformément à l'article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme des Nations Unies.
La communauté de Global Voices ne s'est pas laissée piéger dans des débats sans fin pour savoir si les blogueurs sont ou ne sont pas des journalistes, et sur ce qu'Internet signifie pour le secteur des médias. Global Voices n'a pas non plus participé aux controverses pour savoir si Internet allait ou n'allait pas être un vecteur de démocratie au niveau mondial. Notre communauté est plutôt du genre à rouler ses manches et se mettre au travail pour s'attaquer à un problème bien plus tangible : combler quelques énormes absences dans le discours public, faire ce que nous pouvons pour corriger les colossales inégalités, iniquités et injustices dans le traitement médiatique des événements dans le monde. Quelle que soit la manière dont vous définissez ce travail, nous croyons que nous faisons est précieux et que cela fait une différence.
Nous sommes heureux que différentes organisations aient jugé notre travail digne de leur soutien financier. Nous avons établi des relations régulières avec des médias qui suivent notre travail et nous sollicitent car – quelle que soit la manière dont vous définissez ce que nous faisons – notre communauté est une source appréciable d'informations et de perspectives inédites dans le monde entier. C'est pour cette raison que l'agence de presse Reuters nous a accordé un soutien financier vital durant nos trois premières années d'existence, et c'est pourquoi de nombreux nouveaux médias collaborent toujours avec nos responsables éditoriaux de zones géographiques et contactent nos blogueurs-traducteurs bénévoles pour les interviewer. Nous ne pouvons pas vraiment affirmer que nous avons totalement transformé le paysage médiatique mondial, mais nous pensons avoir apporté aux médias internationaux des informations qui, autrement, n'auraient pas été couvertes, et nous avons permis de faire connaître d'autres sons de cloche à propos de nombreux événements de l'actualité internationale. En soi-même, cela justifie déjà l'existence de notre projet.
Ce qui est vraiment enthousiasmant est de voir l'impact positif qu'a eu Global Voices sur la vie de nos éditeurs, bénévoles, et sur les membres de la communauté au sens large. Nous sommes devenus un hub, une plateforme où un fantastique groupe de personnes talentueuses, pleines de ressources et convaincues peuvent trouver une satisfaction, une reconnaissance et le soutien d'une communauté. Cliquez ici pour lire comment le projet Rising Voices a introduit des voix différentes dans la conversation en ligne de leur pays ou à l'extérieur, et ce que cela a signifié pour les personnes ou les groupes qui ont participé aux différents projets de formation. Pour mieux saisir à quel point nos bénévoles sont étonnants, lisez ou écoutez en podcasts certains profils de nos blogueurs publiés ici.
Global Voices a également eu un impact sur différentes communautés de blogueurs autour du monde, avec lesquels nous n'avons pas de relations formelles autres que citer et traduire certains billets de leurs blogs de temps à autres. Un seul exemple : Ethan a récemment rapporté une conversation éclairante avec un jeune blogueur kirghize, Bektour Iskender, sur l'impact d'une partie de notre travail en Asie centrale.
Ce qui sortira d'un média participatif et mondial, un peu plus démocratique et ouvert, n'est pas clair. Durant la rencontre de 2004 à Harvard, le blogueur iranien Hossein Derakhshan avait exprimé l'espoir qu'Internet produirait des sociétés plus démocratiques et rendrait la guerre plus difficile à justifier par un gouvernement. “Hoder”, nom sous lequel il est connu sur Internet, est emprisonné par le régime d’ Ahmadinejad depuis plus d'un an maintenant, et il n'est pas évident que des contacts plus fréquents en ligne entre Iraniens et Occidentaux seraient un facteur décisif dans une décision des États-Unis d'attaquer ou non l'Iran. Des auteurs comme Evgeny Morozov affirment que, contredisant un précoce optimisme affiché autour d'Internet en tant que force de démocratie, les dictatures travaillent à utiliser Internet pour consolider leur pouvoir et réprimer la dissidence. D'autres, comme Clay Shirky et Patrick Meier répondent qu'il y a toujours des raisons d'être optimiste. D'autres encore soulignent que la plus grande partie de la population mondiale a des problèmes bien plus urgents – comme la survie physique – et que tous ces débats, dont ceux sur le travail de Global Voices, ne les concernent en rien de toute façon.
Il y a cinq ans, Ory Okolloh – qui a ensuite fondé l'énorme succès qu'est la plateforme de suivi de crises en temps réel Ushahidi – avait fait ces commentaires, qu'il est utile de relire dans le contexte de ces débats. Voici comment j'avais rapporté ses propos à l'époque :
La blogueuse kenyane Ory Okolloh ne s'attend pas à ce que l'Afrique soit transformée par les blogs de sitôt. Combler la fracture numérique est peut-être le moindre des nombreux problèmes de l'Afrique. Cependant, elle estime que les blogs sont importants – même s'ils ne transforment rien – pour le petit nombre d'Africains qui bloguent. “Pour nous les jeunes, qui n'avons pas été entendus, nous n'avons pas un espace en Afrique pour nous exprimer, que ce soit dans la politique ou d'autres agoras,” dit Ory Okolloh. “Je pense que cela pourrait offrir aux jeunes un forum pour créer leur propre espace. Je ne pense pas que cela changera les politiques per se ou déterminera l'issue d'une élection mais je pense que cela peut faire naître une communauté, sous des formes qui ne pouvaient pas exister avant.”
Les médias personnels en ligne produisent de nouvelles formes de communautés, tant au niveau local, national que mondial. Global Voices a fait office de filet souple pour connecter la communautés des blogueurs kenyans de Ory et d'autres blogueurs, ailleurs dans le monde, qui ont en commun des mêmes valeurs.
Global Voices tente d'influencer la couverture des événements par les médias traditionnels, dont la majorité ne couvrent que des nations ou des régions du monde précises, tout en développant un espace pour un discours mondial, et pour une communauté de citoyens du monde entier autour de ce discours. Nous utilisons le Web non pas pour échapper à notre humanité, mais pour la confirmer. Nous croyons que les choix et les actions des individus font une différence. Savoir si le Web donnera plus de pouvoirs qu'il ne réduira en esclavage dépend du fait que nous prenions des responsabilités pour notre futur et que nous agissions. Construire une communauté multiculturelle et polyglotte consacrée à des projets spécifiques sur un socle de valeurs humanistes est juste un petit pas dans cette direction.
Ce billet est le premier d'une nouvelle série sur Global Voices, qui accompagnera un appel aux dons en 2010. Si vous souhaitez nous soutenir, visitez notre nouvelle page, intitulée Micro-dons. [Note de la traductrice : les macro-dons sont également acceptés et appréciés :)]. Merci !
4 commentaires
Être subventionnés par Mister Soros n’est-il pas problématique pour globalvoicesonline.org, surtout lors de processus révolutionnaires que l’on sait être manipulables: NED, CIA multinationales, mercenaires etc..??. Sans vous offenser, c’est une question.
Quoique des blogueurs dans la survie capitaliste peuvent enfin respirer !
Salut
Bonjour Corinne, merci de votre message. Oui, l’OSI (Open Society Initiative) a bien financé différents projets connexes de Global Voices par le passé, et trois actuellement, tous hors site principal (formation aux nouveaux médias, informations sur la santé publique, et traductions du russe) et non, cela ne nous pose pas de problèmes, d’autant moins qu’aucun donateur ou sponsor des sites Global Voices n’a jamais de droit de regard sur les contenus publiés sur l’un de ses sites.