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Mozambique : annulation d'un grand projet de biocarburants

Catégories: Mozambique, Alimentation, Développement, Droit, Economie et entreprises, Environnement, Médias citoyens

Le Conseil des Ministres du Mozambique a fait une annonce importante fin décembre 2009, l'annulation d'une concession de 30 000 ha de terres à l'entreprise de production de biocarburants Procana [1] [en anglais], dans le District de Massingir.

La Loi sur les Terres du Mozambique, adoptée en 1997, est très particulière. Les terres ont été nationalisées au moment de l'indépendance du pays [en 1975], et la Loi sur les Terres n'a pas changé le statut de la propriété foncière. Elle a donné à l'État des outils bien définis pour gérer l'utilisation des terres. Les investisseurs du secteur privé peuvent conclure un bail d'une durée de 50 ans, le DUAT (Direito de Uso e Aproveitamento de Terra, Droit d'Usage et d'Exploitation  de la Terre). Mais ce contrat n'entre pleinement en vigueur qu'après une période probatoire de deux années, pendant laquelle les investisseurs doivent prouver qu'ils utilisent la terre de façon productive.

L'affaire du bail de Procana, qui concerne une immense région limitrophe du Parc Naturel International du Limpopo [2] [en portugais], a fait polémique dès son origine, en 2007. Des villageois de la zone du Parc Naturel devaient être réinstallés sur des terres qui ont ensuite été concédées à Procana pour produire de la canne à sucre. Ces villageois avaient besoin de ces terres comme pâtures, ne vivant que de l'élevage. Et il ne semblait y avoir aucune solution de prévue pour résoudre ce conflit à venir. En outre, les besoins en eau que nécessite la culture de la canne à sucre ont provoqué la crainte que le projet de Procana n'entrave la production alimentaire locale. Des associations, issues de la société civile, ont soutenu les villageois dans leurs négociations avec les responsables du Parc Naturel, par l'intermédiaire d'un projet, Lhuvuka [3] [en portugais], mais aucune avancée n'a pu être obtenue de Procana.

Massingir school photo by Ralph Pina

Ecole du Massingir. Photo de Ralph Pina, publiée sous licence Creative Commons.

Sur le site de Lhuvuka, un article [4] [en portugais] résume le conflit [pt] :

[…] na ausência de uma decisão firme por parte do governo face ao processo de reassentamento das comunidades vivendo no PNL; politização do processo de reassentamento das comunidades vivendo no PNL, sem respeitar todos seus direitos e interesses; uso abusivo da força por parte dos investidores, não respeitando os direitos básicos das comunidades previstos nas legislações moçambicanas por saberem que por detrás deles há sempre pelo menos um membro do governo que os protege e predominância de gestores mais virados para “yes mans” por temerem perder os cargos que actualmente ocupam.

[…] par l'absence d'une décision ferme du gouvernement quant au processus de réinstallation des villageois vivant dans le Parc Naturel ; la politisation du processus de réinstallation des villageois vivant dans le Parc Naturel, sans respecter tous leurs droits et intérêts ; l'emploi abusif de la force par les investisseurs, ne respectant pas les droits élémentaires des villageois prévus par les lois du Mozambique, car les investisseurs savent bien que derrière les lois, il y a toujours au moins un membre du gouvernement qui les protège et une majorité de responsables serviles, de peur de perdre leur place.
Sugar cane photo by denn

Canne à sucre. Photo de denn, publiée sous licence Creative Commons.

Début décembre 2009, un article du site Reporter Brasil [5] [en portugais], qui s'intéresse particulièrement à l'impact social et environnemental des biocarburants, disait :

Cerca de 30 mil hectares de savana nativa deverão ser convertidos em canaviais em Massingir, a região mais seca do país africano, provocando perda de biodiversidade e consumo excessivo de água (aproximadamente 409 bilhões de litros por ano para irrigação). E 38 mil moradores do entorno do Parque Nacional do Limpopo serão obrigados a deixar suas terras.

A Constituição de Moçambique decreta que todas as terras do país são propriedade do Estado, que pode conceder autorização de uso a empresas por períodos de 50 anos. Essa concessão, no entanto, está condicionada à ausência de comunidades tradicionais no território. Pelo jeito, lá, como no Brasil, boas leis não são garantia de boas práticas.

Environ 30 000 ha de savane native seront transformés en champs de canne à sucre dans le Massingir, la région la plus sèche de ce pays africain, ce qui entraînera une perte de biodiversité et une consommation excessive d'eau (environ 409 milliards de litres par an, pour l'irrigation). Et 38 000 habitants de la région qui avoisine le Parc Naturel du Limpopo seront obligés d'abandonner leurs terres.

La Constitution du Mozambique déclare que toutes les terres du pays sont propriété de l'État, qui peut concéder son usage à des entreprises pour des périodes de 50 ans. Cette concession, toutefois, est conditionnée à l'absence de communautés traditionnelles sur son territoire. Tout montre que là-bas, comme au Brésil, de bonnes lois ne garantissent pas de bonnes pratiques.

Reporter Brasil cite comme source un article de Mother Jones [6] [en anglais] sur Procana de mars 2009.

Le prolifique blogueur du Mozambique Carlos Serra suit l'affaire Procana depuis ses débuts, fin 2007. Cette entreprise était à l'origine détenue pour moitié par la multinationale CAMEC, une société minière et de forage. Les fondateurs de CAMEC sont connus pour faire des affaires dans des régions troublées, comme le Sud Soudan, la RDC (Congo), et le Zimbabwe. En décembre 2007, Serra [7] écrivait [en portugais] :

Mas convinha – este é um recado especial para o ministro da Agricultura, Erasmo Muhate -, também, estudar a trajectória de Phil Edmonds, chairman da CAMEC.

Cela vaudrait la peine – ceci est un message spécial pour le Ministre de l'Agriculture, Erasmo Muhate- d'étudier également la trajectoire de Phil Edmonds, le Président de CAMEC.

Serra a encore fait preuve de son talent d'analyste politique et économique en annonçant dans un article [8] [en portugais], de décembre 2009, que le gouvernement semblait s'être retourné contre Procana.

Certaines informations expliquent, sur Internet, que les principaux investisseurs dans Procana ont perdu confiance en cette société courant 2009. Le Gouvernement a annulé officiellement sa concession pour “manque de productivité”, seuls 800 ha ayant été défrichés au cours des deux premières années d'exploitation, sur un total de 30 000 ha, ce qui n'a pas créé beaucoup d'emplois. Comme pour tout contrat de cette importance, il était à l'origine estimé à plus de 500 millions de dollars, on ne peut que supposer que bien des considérations politiques et économiques ont joué.

Faisant un tour d'horizon de la situation économique du Mozambique, Basílio Muhate [9] [en portugais] constate que l'affaire Procana constitue une exception :

[…] as medidas de política económica levadas à cabo para fazer face as crises alimentar e financeira recentes, que incluiram subsídios aos pequenos agricultores e instalação de silos, os projectos da área de biocombustíveis iniciados em 2008 (A PROCANA foi uma excepção na medida em que pouco ou nada alcancou em relação às previsões), estão a ter impactos positivos no sector da agricultura

[…] les mesures de politique économique prises pour faire face aux crises alimentaire et financière récentes, qui ont compris des subventions aux petits agriculteurs et l'installation de silos, les projets du domaine des biocarburants démarrés en 2008 (PROCANA a été une exception dans la mesure où rien ou presque n'a été fait par rapport aux prévisions) ont eu un impact positif sur le secteur de l'agriculture.

Il est difficile de juger si l'affaire Procana constitue un précédent intéressant pour la gestion des terres du Mozambique, si le Gouvernement étudiera avec la même attention les contrats, toujours plus nombreux, de location de terres à des investisseurs étrangers. Ou s'il s'agit d'une simple exception, d'un résultat exceptionnellement mauvais de la part d'un investisseur étranger. Ou des deux.

Janet Gunter, qui a rédigé cet article, souhaite informer le lecteur qu'elle travaille pour une agence internationale de développement qui a financé le travail de Lhuvuka, mais qu'elle n'a pas directement travaillé pour ce projet. Elle écrit pour Global Voices à titre personnel et bénévole.