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Haïti : Le Sénégal offre des terres aux rescapés du séisme

Catégories: Caraïbe, Haïti, Sénégal, Action humanitaire, Développement, Environnement, Migrations & immigrés

Le président sénégalais Abdoulaye Wade, photographié ici lors du Forum économique mondial de 2002, veut offrir aux rescapés haïtiens du séisme des terres au Sénégal (photo Wikipédia).

[Les liens sont en français ou en anglais] Dans les jours qui ont suivi le séisme dévastateur, hommes politiques et citoyens du monde entier ont tenté de se joindre comme ils le pouvaient au mouvement de solidarité mondiale envers Haïti. Les pays pauvres, dont de nombreuses nations africaines [1] , n'ont pas fait exception. Le Rwanda, le Liberia, l'Afrique du Sud, le Gabon, le Nigeria et bien d'autres encore, ont d'ores et déjà promis une aide financière. C'est cependant le président sénégalais Abdoulaye Wade [2], âgé de 84 ans, qui a fait les gros titres de la presse. Selon un porte-parole, Abdoulaye Wade propose des terres gratuites [3] à tout rescapé haïtien qui voudrait “revenir vers ses origines ”. Les internautes ont pour la plupart accueilli cette proposition [4] avec beaucoup d'ironie.

Si le blog Politique au Sénégal [5] n'a encore commenté ni l'offre de Abdoulaye Wade, ni le tremblement de terre, un billet écrit par le Docteur El Hadji Malick Ndiaye [6] sur l'importance de la solidarité “ Sud-Sud ” a été mis en ligne avant l'annonce du président sénégalais :

Il arrive des moments dans l’histoire d’un pays où les citoyens ont l’occasion de donner une leçon d’éthique à leurs élites. Il arrive des moments qui sonnent comme des opportunités pour un peuple de montrer sa grandeur morale. Nous ne pouvons pas nous complaire dans le fatalisme et la position de l’éternel assisté. A nous seuls, le Sénégal, nous ne mettrons pas fin aux souffrances du peuple haïtien. Cela ne nous dispense pas d’agir, cela n’excuse pas notre indifférence en acte. En ce moment même en Haïti des gens sont en train de crever et c’est cela la réalité profonde de ce tremblement de terre. Tous les discours de solidarité sont bien dérisoires à cet instant, si on ne fait pas notre possible pour nous rendre utiles. Donnons un peu au reste du monde, car nous avons déjà beaucoup reçu du monde et nous en aurons peut-être besoin un jour. Les citoyens des grandes puissances qui se tournent aujourd’hui vers Haïti, au-delà de la simple valeur éthique de leurs actions, nous donnent une leçon de plus sur le sens de l’intérêt collectif. C’est moralement indigne de prétendre être un peuple magnifique, avec des valeurs magnifiques, un peuple prompt à fustiger les tares de l’Occident, à brandir les valeurs de solidarité religieuse, et de ne jamais lever le moindre petit doigt pour diminuer arithmétiquement la souffrance du monde.

Cependant, le fait de proposer d'émigrer à des Haïtiens sans terre n'est pas le type de solidarité matérielle qu'envisagent la plupart des commentateurs.

Le blogueur Serigne Diagne [7] [en anglais], qui a suivi de près la réaction du Sénégal au séisme, réagit ainsi à ce projet [8] :

… Comment Dakar, qui a du mal à décoller et à résoudre ses nombreux problèmes en matière d'installations sanitaires et d'urbanisation, dont les banlieues pataugent depuis des années dans l'eau lors des crues, peut-elle donc accueillir des gens ou un pays entier situé à l'autre bout du monde ?… Sans expliquer d'où les fonds viendront, Abdoulaye Wade propose, dans un geste de solidarité et de panafricanisme, de dépeupler Haïti, oubliant ainsi que charité bien ordonnée commence par soi-même…

… Il faut croire qu'Abdoulaye Wade a la nostalgique du 19e siècle, qu'il pense que Marcus Garvey [9] est toujours vivant et que le mouvement prônant un retour en Afrique est toujours d'actualité. Il va finir par nous dire un jour que la terre a tremblé à Haïti à cause du Ku Klux Klan… Chaque pays affronte ses propres désastres. Haïti fait face aux siens, ce qui génère beaucoup de compassion, et nous affrontons les nôtres, aussi dommageables qu'un tremblement de terre, telles les déclarations d'un président qui peine à rester en dehors de la mêlée et dont les annonces prêtent à la controverse. Comme cela a été dit et redit par le Président, le peuple haïtien “ a  un droit sur le sol africain ”. Reste à savoir s'il en veut.

L'internaute Pascal Boulerie, qui suit le blog Talk 2 Sénégal [10], écrit :

C'est une idée bien stupide, parce que le Sénégal souffre aussi de manque de terres cultivables, de surpopulation et d'émigration.

Philippe Souaille commente ainsi un billet sur le sujet publié sur un blog hébergé par le site de La Tribune de Genève [11] :

Cher Gorgui, j'ai le sentiment que ton président a perdu une occasion (de plus) de se taire. Je ne crois pas que les Haïtiens crèvent d'envie de se réfugier en Afrique. La solution est forcément de trouver le moyen et les moyens de les aider à prospérer chez eux. Au moins pour parvenir au même niveau de vie que celui des îles voisines, tout de même supérieur à ce qu'il est en moyenne en Afrique, Sénégal inclus.

Une telle réflexion est même carrément effarante en ce qu'elle révèle des capacités d'analyse, de proposition et de réalisation pour le moins émoussées du bonhomme. La sénilité n'est-elle pas en train de faire son œuvre ? Il est temps qu'il laisse place à la relève, s'il n'a plus d'autres solution à proposer à un peuple qui souffre que l'abandon et l'exil !