Le 17 janvier dernier, l'information a commencé à circuler sur l'éruption de violence dans la ville de Jos, au centre du Nigéria. Dans les heures qui ont suivi, les récits des batailles de rue ont filtré lorsque les témoins ont raconté comment des bandes armées de couteaux et de machettes sillonnaient les rues au milieu de maisons, mosquées et églises en flammes [les liens sonten anglais].
Le conflit est ouvertement confessionnel : Jos est une des villes principales de la “ceinture médiane” du Nigéria – la zone tampon qui sépare le sud majoritairement chrétien du pays du nord majoritairement musulman. Ce n'est pas la première fois que la violence se déchaîne à Jos : autrefois considérée comme une destination très appréciée des expatriés et des touristes, la capitale de l'Etat de Plateau avait déjà connu des émeutes en 2001 et 2008. Dans la décennie passée, plus de 13.500 morts ont été attribuées à la violence interconfessionnelle au Nigéria — un conflit qui pour de nombreux observateurs a plus à voir avec la maîtrise des ressources qu'avec la religion.
On ne sait pas au juste ce qui a mis le feu aux poudres à Jos : certains témoins invoquent un désaccord sur la reconstruction de maisons détruites par les émeutes de 2008, d'autres une dispute à propos d'un match de football, pour d'autres encore, c'était l'incendie d'une église. Mais, quelle qu'en ait été l'origine,la violence s'est rapidement propagée : certaines sources ont évalué le nombre de morts à près de 400 avec pas moins de 17.000 personnes chassées de chez elles. Les autorités ont décrété un couvre-feu de 24 heures dans la ville, et le 19 janvier, le vice-président Goodluck Jonathan (qui assure l'intérim en l'absence du président Yar'Adua) a envoyé l'armée prendre le contrôle de la ville.
Brenda Hartman-Souder a écrit ce qu'elle pense du conflit:
Hier nous avons oscillé entre un calme étrange avec une absence presque totale de circulation dans la rue en-bas de chez nous, et les coups de feu, le crépitement des incendies et les voix excitées de centaines de spectateurs. Ils se tenaient sur les rochers et les collines derrière nous pour regarder les bandes de jeunes allumer et détruire les bâtiments et les habitations – musulmanes ou chrétiennes – selon le quartier où vous habitez. Que de la barbarie et pourtant difficile à croire.
Ce matin nous sommes de nouveau grimpés sur la colline pour voir de grands feux faire rage sur le terrain vague de l'autre côté de notre mur. Des jeunes portaient des quantités d'ustensiles ménagers – des casseroles, des poêles, et même une étagère de livres – et alimentaient le brasier noir et malodorant. Nous nous sommes rendus compte qu'ils brûlaient les possessions de ces maisons détruites et d'autres bâtiments qui avaient été occupés par des musulmans. Ces actes de pure méchanceté et de vengeance se produisent à travers tout Jos. Un groupe commence une bagarre ou un incendie, l'autre côté se venge, des gens sont tués, leurs maisons détruites. Et qu'a-t-on obtenu avec cela ?
Le journaliste renommé Sunday Dare a relaté la destruction de la maison de son enfance :
Ma maison familiale dans le quartier de Nasarawa, qui m'a vu grandir avec mes frères et soeurs et où nous vivions tous depuis près de trente ans a été rasée par de jeunes Haoussas en fureur. Mon unique frère aîné, qui était à peine revenu de l'église quelques instants plus tôt et essayait de fuir la maison en flammes a été abattu à coups de couteaux et de machette et laissé brûler avec la maison. Au moment même où j'écris, son corps carbonisé gît au sol quelque part dans la maison car il est impossible de le récupérer du fait de la dégradation de la sécurité. J'ai connaissance de nombreux amis de la famille dont les maisons ont également été incendiées et qui ont perdu des proches. J'ai connaissance de milliers d'habitants de Jos terrés dans des cachettes et des abris sûrs dans différentes parties de la ville et dans l'impossibilité de s'aventurer à l'extérieur.
Il se souvient de temps plus paisibles :
Jos n'était jamais comme ça. Pas le champ de massacre qu'il est devenu maintenant….
Mes jours à l'école primaire et secondaire étaient belles et simples. J'avais des amis, nombreux, et leur religion n'était jamais un problème. Mes amis et moi, même de religions et tribus différentes, étions liés comme des frères et nous partagions presque tout.
C'est du passé. Voilà le présent. Maintenant que nous sommes à l'âge adulte, notre amitié demeure, bien qu'entrée dans un climat de malaise parce que nous avons tous subi des pertes dans les nombreux conflits où a sombré l'Etat. Nous avons tous échoué à trouver une explication, pour ne pas parler de justification à ce qui arrive. Quand, pourquoi et comment Jos a-t-il craqué ? Qu'est-ce qui a changé pour métamorphoser des voisins amicaux en ennemis acharnés et en quasi sauvages?
Olusegun Gbolagun s'est aussi demandé ce qui a mal tourné :
Pourquoi une querelle au sujet d'un projet immobilier met-elle la ville entière à l'épreuve ? Pourquoi faut-il qu'une divergence de vues dans une fraction de la ville affecte brutalement l'ensemble de la cité ? Et rende subitement ennemis des voisins et des amis ?
Un simple désaccord a coûté plus de 300 vies, détruit des centaines de maisons, de voitures et de biens divers. Voilà à quoi j'ai continué à réfléchir pendant les désordres actuels à Jos. Je continue à méditer sur les raisons d'une ambiance aussi tendue dans cette ville. La vérité semble insaisissable.
Il y a sûrement anguille sous roche dans cette crise.
Adeola Aderounmu a vu un rapport entre le conflit à Jos et la tentative d'attentat de Umar Abdulmutallab. Il écrit :
J'ai au moins 2 billets sur mon blog affirmant que le Nigéria n'est pas un pays terroriste, mais la région musulmane nordiste de Nigmeria persiste à réduire mes prétentions à néant. Il y a à présent des tonnes de groupes sur facebook qui disent que le Nigéria n'est pas un pays terroriste. Mais plus certains d'entre nous ont essayé de donner une image positive du Nigéria en disant que nous ne sommes pas une nation de terroristes et plus des imbéciles quelque part renient nos affirmations.
Un commentateur du blog d’ Omotade a fait la même réflexion :
Et les gens ont eu un mouvement de recul choqué en découvrant que Mutallab était Nigérian… “Ça n'est pas Naija”, disaient-ils… Eh bien, si ça n'est pas du terrorisme, alors Obama est Chinois. Ces types d'Al Qaida ne sont pas idiots. Ils ont remarqué ces tendances à l'extrémisme et ont compris en commençant à cibler des Nigérians. Pas plus compliqué que cela.
Ecrivant sur A Tunanina…, Carmen McCain a vu la violence enracinée dans quelque chose de plus profond que le conflit religieux :
Si les crises ont certainement acquis une dimension religieuse—surtout lorsque des symboles comme les églises et les mosquées sont les marqueurs d’ identité les plus évidents—j'ai vu beaucoup de débats sur Internet, que ce soit dans les sections de commentaires des articles ou sur Facebook, qui réduisent à l'excès le conflit à son aspect surtout religieux. Je pense que c'est une erreur, grave, car c'est précisément cette identification trop facile des symboles religieux comme représentants d'un groupe qui fait des églises et des mosquées les cibles favorites dans un conflit où il s'agit à l'origine de politique, de territoire, d'identité, d'appartenance, d'ethnicité et de revanche.
Loomnie a aussi écrit sur les causes complexes de la violence :
La plus grande partie de la violence que l'on rapporte dans le nord du Nigéria est en rapport avec une définition bizarre de qui est indigène et qui est colon, et la plupart du temps, la cause immédiate de la violence est une rivalité pour les ressources. Autrement dit, les gens se battent pour l'accès aux ressources (le contrôle du pouvoir d'Etat devant être considéré comme une ressource), mais ne tardent pas à recourir à des revendications de droits s'appuyant sur l'ethnicité, le lieu d'origine et la religion. Ces modes d'identification sont souvent utilisés pour mobiliser d'autres individus partageant les mêmes marqueurs d'identité, ou similaires, afin de combattre des groupes opposés.
Citant une analyse de Human Rights Watch sur le conflit, Jeremy Weate du blog Naijablog a aussi pointé la différenciation entre “colons” et “indigènes” comme source essentielle de la violence à Jos :
A la racine du conflit dans l'Etat de Plateau se trouvent de questions essentielles : la pauvreté et une distinction artificielle entre “colon” et “indigène”…
La dichotomie colon/indigène va à l'encontre des libertés fondamentales garanties par les articles 42 et 43 de la constitution.
Tant que le gouvernement ne se sera pas attaqué aux problèmes qui empêchent les articles 42 et 43 de fonctionner (les principes de ”caractère fédéral” et la loi de “l'Etat d'origine”), les conflits demeureront et Jos continuera à être une poudrière. La violence des conflits va probablement s'exacerber en même temps que la désertification, la rareté de l'eau et la croissance démographique pousseront les populations du nord en direction du sud à l'intérieur de la Ceinture Médiane au cours des dix prochaines années.
Jeudi 21 janvier, la BBC rapportait que le couvre-feu de 24 heures à Jos avait été allégé et que le responsable militaire, le Lt Col Shekari Galadima avait déclaré la fin de la violence. Mais beaucoup continuaient à s'inquiéter de la volatilité de la région. Dans un billet intitulé “Quand le silence n'est pas d'or,” Brenda Hartman-Souders a fait état de ses craintes pour l'avenir :
Le calme dans la partie urbaine de Jos manifeste qu'il y a quelque chose qui ne va pas du tout. Le couvre-feu se termine désormais à 10 heures et recommence à 17 heures. Notre fenêtre de “liberté” de sept heures permet aux gens d'acheter le ravitaillement, de s'assurer de leurs proches, de déménager dans un endroit plus sûr et d'enterrer les morts.
Les rumeurs de nouvelles “attaques” abondent et nous essayons de les entendre mais de ne pas les laisser nous paralyser de peur. Pourtant avec l'intensité des réactions, avec les tueries effrénées, les mutilations, incendies et pillages, il est aisé de penser que la vengeance –réprimée pour le moment aussi longtemps que la ville reste sous étroit contrôle de l'armée – recommencera encore et toujours à faire rage dans la région. Intervention aux plus hauts niveaux du gouvernement et coopération entre les responsables religieux principaux si on veut éviter que Jos se désintègre en zone de guerre.
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