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Brésil : Le programme national pour les droits de l'Homme (1ère partie)

Catégories: Amérique latine, Brésil, Droits humains, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Politique

[Les liens sont en portugais ou en anglais] Publiée récemment, la troisième édition du Programme National pour les Droits de l'Homme [1] (PNDH-3) a subi une tempête de critiques [2] venant de différents courants de la société civile, et même de ministres. Le projet comprend des réformes de la loi d'amnistie (des acteurs de la dictature au Brésil), la légalisation de l'avortement, un contrat d'union civile entre personnes du même sexe, la régulation des médias ainsi qu'une  réforme agraire, en plus d'un appel à l'instauration d'une véritable commission d'enquête sur la torture, les meurtres et disparitions survenus durant la dictature militaire (de 1964 à 1985), comme il en existe en Argentine et au Chili [3].

Les acteurs du secteur agroalimentaire ont contesté la nouvelle approche proposée du droits de la propriété foncière. La liberté de la presse est traitée d'une façon que les médias brésiliens les plus importants désapprouvent. Les positions libérales sur l'avortement et l'union entre personnes du même sexe ont provoqué des demandes d'amendements de la part de l'église catholique et des associations. Pour couronner le tout, le PNDH-3 évoque la possibilité de créer une commission d'enquête sur les abus des militaires [4], un tabou profondément ancré au Brésil. Pour toutes ces raisons, la commission pourrait ne pas être créée [5],  les cadres de l'armée du Brésil y étant expressément opposés.

Pour soutenir ce document, on trouve les organisations pour les droits de l'homme et les organisations populaires qui représentent la base des citoyens, des ONG, et un grand nombre de blogueurs. Ces dernières semaines, des usagers de Twitter ont inséré un twibbon de soutien au programme [6] (NdT : un “Twibbon” est une petite application, qui permet, sur Twitter, d'associer un petit pictogramme à son avatar). Ce qui a permis de mobiliser les internautes en ligne et dans la vie pour contrer la résistance que le document du PNDH-3 a rencontré. Conversa de Bar [7] [en portugais, comme tous les liens] expose d'abord à ses lecteurs les raisons de la création du programme national pour les droits de l'homme, pendant le mandat du président Fernado Henrique Cardoso [8] :

O PNDH é o resultado de um compromisso assumido pelo Brasil no Tratado de Viena  durante a  Conferência Mundial Sobre Direitos Humanos de 1993. Trata-se de um programa plurianual elaborado por amplos setores da Sociedade Civil (movimentos sociais e entidades de classe) e setores governamentais que propõe diretrizes e metas a serem implementadas por políticas públicas voltadas para a consolidação dos direitos humanos. O programa em si não é auto-executável, como a mídia faz parecer. Para que cada uma das propostas entre em vigor é necessária a aprovação pelo Congresso Nacional.

Le PNDH est le résultat de l'engagement pris par le Brésil lors de la signature du Traité de Vienne [9] adopté pendant la Conférence Mondiale sur les Droits de l'homme [10] de 1993. Il s'agit d'un programme pluri-annuel élaboré par une large consultation de la société civile (mouvements sociaux et entités représentatives des citoyens) ainsi que par des représentant du gouvernement. Ils mettent en place des directives et des objectifs soutenus par des politiques publiques tournées vers l'amélioration des droits de l'homme. Le programme en lui-même n'a pas force de loi, comme la presse le laisse à penser. Pour que chacune des propositions entre en vigueur, elles doivent impérativement être approuvées une à une par le congrès national brésilien.

L'initiative du gouvernement n'a pas seulement attiré l'attention de l'opposition, elle a aussi récolté des critiques en son sein même, par l'intermédiaire du ministre de la défense Nelson Jobim et de l'état-major des trois corps d'armées (Terre, Air et Mer) qui menacent tous de démissionner, en signe de protestation, ce qui a fait reculer le Président Lula sur la question. Raphael Neves, du blog Politika etc [11] fait le point  sur ces trois groupes en ébullition [12]:

Quem está contra o programa, em resumo, são: a) Militares, que não querem nem ouvir falar em Comissão da Verdade; b) Mídia, que é contra debate sobre regulamentação dos meios de comunicação (vide Confecom); c) Produtores rurais, que são contrários à proposta de se alterar a mediação de conflitos no campo.
[…]
De fato, o programa inova em relação à questão da anistia, pois pretende instituir uma Comissão de Verdade. Mas, de resto, ruralistas e oposição pegam carona para atacar o PNDH como um todo.

En résumé, contre le programme on trouve : a) Les militaires, qui ne veulent pas entendre parler de commission de la vérité (sur leurs activités pendant la dictature); b) La presse qui est contre l'idée d'un débat sur la réglementation des moyens de communication (voir le chapitre Confecom, Conférence Nationale sur la communication); c) Les exploitants agricoles qui sont contre la  la médiation proposée dans la résolution des conflits sur la possession des terres.
[…]
En fait, le programme est innovant en ce qui concerne la loi d'amnistie, parce qu'il a pour objectif d'établir une commission de vérité.
En outre, les propriétaires terriens et l'opposition se sont rassemblés pour attaquer le  PNDH comme un seul homme.

La controverse a également grandi au sein de l'église catholique, pourtant fréquemment alliée du gouvernement sur les sujets traitants des droits de l'homme. D'un côté, le Congrès National des Évêques Brésiliens (CNBB) a publié une déclaration [13] “réaffirmant leur position, exprimée à plusieurs reprises, en défense de la  vie et de la famille, contre la dépénalisation de l'avortement, contre le mariage entre personnes du même sexe et le droit à l'adoption des couples homosexuels”. De l'autre côté, certains mouvements catholiques et leurs partisans ont bien accueilli cette politique et la soutienne, considérant les dispositions pour l'union entre personnes du même sexe ainsi que la possibilité pour ces couples d'adopter comme une étape importante. Leonardo Sakamoto [14] va plus loin, en critiquant l'attitude de l'église contre le programme, et ajoute [15]de manière sarcastique :

Com tanta atitude arbitrária e antidemocrática do governo Lula para ser criticada (tantas mesmo), a igreja foi pinçar logo o PNDH, que é um exemplo de construção coletiva e um alento de civilização em nosso país de mentalidade tão tacanha. Traduzindo a fala do bispo: “Vemos essas iniciativas como uma forma do Estado ter independência e não seguir as regras que ajudamos a construir ao longo de centenas de anos”. Imagine só, onde já se viu duas pessoas do mesmo sexo desejarem ter os mesmos direitos dos heterossexuais? E as mulheres pobres que fazem aborto, então! Querem se ver livres da cadeia! E o pior de tudo: tirar os crucifixos e as santinhas de estabelecimentos públicas. O que esse país pensa que é? Laico?!
[…]
Em suma, se todo lançamento de PNDH gerar um debate nacional sobre os direitos humanos em um país que tem vergonha de defender direitos humanos, proponho que não esperemos mais sete anos e que, em 2010, tenhamos mais um. No mínimo, fará com o padre, o delegado e o coronel se manifestem novamente, lembrando ao Brasil que ele é brasil.

Alors que tant d'attitudes arbitraires et antidémocratiques du gouvernement Lula sont à critiquer (réellement beaucoup), l'église a justement choisi de critiquer le PNDH, qui est un exemple d'élaboration collective et un souffle de civilisation dans notre pays à l'esprit si étroit. Traduisant les mots de l'évêque: “Nous percevons ces initiatives comme une manière pour l'état de gagner son indépendance et de ne plus suivre les règles que nous avons participé à mettre en place, tout au long de ces centaines d'années”. Imaginez-ça, deux personnes du même sexe qui auraient les même droits que les hétérosexuels ? Et les femmes dans le besoin qui avortent, alors ! Elles veulent sortir de prison ? Et pire que tout : retirer les crucifix et les saints des établissement publics. Mais qu'est-ce que ce pays pense qu'il est à la fin ? Laïc ?!
[…]
En somme, si tous les communiqués du PNDH génèrent un débat national sur les droits de l'homme dans un pays qui manque d'assurance pour les défendre, je propose de ne pas attendre encore sept ans, et qu'en 2010, on recommence. Au minimum, ça fera sortir du bois le prêtre, le commissaire, et le colonel qui glapiront à nouveau, rappelant au Brésil qu'il est Brésil.

Néanmoins, certains blogueurs soutiennent le point de vue de l'opposition et affirment que le PNDH-3 est, en fait, le début d'un coup d'état. Parmi ces blogueurs, Devaneios Cotidianos [16] reprend quelques point de vue sur les droits de l'homme diffusés à large échelle par les médias brésiliens :

Programa Nacional dos Direitos Humanos?
Ou seria apenas um meio sutil de um governo de esquerda controlar algumas liberdades alheias?
Tenho percebido que os “políticos” de esquerda da América Latina deixaram a violência de lado e estão utilizando agora de um outro meio para atingir seus objetivos totalitários: o sistema democrático.
Querem a todo custo legitimar a ditadura da esquerda.
E o povo ignorante ainda permite, graças as esmolas populistas que recebem.
E a vida segue.

Programme National des Droits de l'Homme ?
Ou bien juste un moyen subtil pour un gouvernement de gauche de contrôler les libertés de certains ?
J'ai remarqué que les “politiciens” de gauche en Amérique Latine avaient laissé tomber la violence pour utiliser désormais d'autres moyens afin d'atteindre leurs objectifs totalitaires : le système démocratique.
Ils veulent à tous prix légitimer la dictature de gauche.
Et le peuple, ignorant, laisse encore faire, grâce aux aumônes populistes qu'il reçoit.
Et la vie continue.

Le blog de droite União Nacional Republicana [17] fait courir une fausse rumeur selon laquelle même le fameux monument carte-postale de Rio, le Christ Rédempteur (le Corcovado) court un danger grave.

Acredite quem quiser mas uma análise atenta da M … gestada pelo Vannuchi, apoiada pelo Tarso e desejada pelo Lula tem entre seus objetivos a demolição da estátua do Cristo Redentor – no meio de centenas de itens proíbe que símbolos religiosos sejam usados em locais públicos de forma destacada e o Cristo Redentor foi eleito recentemente uma das maravilhas do mundo moderno.

Croyez-moi ou pas, mais d'une analyse fine de cette merde générée par Vannuchi [le Secrétaire d'état aux droits de l'homme], soutenue par [le Ministre de la Justice] Tarso et désiré par le [Président] Lula, il ressort que la destruction de la statue du Christ Rédempteur serait à l'ordre du jour- puisque parmi les centaines de résolutions, il y a la prohibition des symboles religieux ostentatoires dans les lieux publics. Rappelons que le Christ Rédempteur vient d'être élu merveille du monde moderne.

Antônio Arles demande aux Brésiliens, sur le blog Arlesophia, [18] de ne pas se laisser intimider par de tels arguments :

Não vamos deixar que meia duzia de golpistas que não representam ninguém ganhem no grito. Recuar neste momento pode estimular os “instintos golpistas” desses seres. Temos direito à verdade, à justiça, à memória!!! Vamos fortalecer nossa democracia, o que passa necessariamente pela abertura dos arquivos da ditadura e pela punição daqueles que cometeram crimes hediondos contra à humanidade, manchando a imagem de instituições sérias e criando um clima de medo e esquecimento!

On ne devrait pas laisser une demi-douzaine d'escrocs qui ne représentent personne gagner cette bataille en criant plus fort que les autres. Faire marche arrière maintenant pourrait exciter les “instincts putschistes” de ces personnes. Nous avons droit à la vérité, à la justice, et à la mémoire ! Nous devrions renforcer notre démocratie en ouvrant les archives de la dictature et en punissant ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité, ternissant ainsi l'image d'institution sérieuse dont elle se pare et créant un climat de crainte et d'oubli !

Mônica Filomena résume les échanges ci-dessus sur le blog Nosso Direito [19] avec une remarque pertinente qui résume tout. Elle écrit [20] :

Em que pese o posicionamento político, não podemos esquecer que o Brasil hoje faz parte do cenário internacional.

Incumbe saber; se o Brasil irá efetivamente assumir que é um País cujo regime é de direito e democrático; fazendo cumprir seus compromissos internacionais, ou, se calará; sucumbindo literalmente diante de interesses de algumas minorias.

En dépit du poids d'une telle position politique, nous ne pouvons pas oublier que le Brésil fait aujourd'hui partie de la communauté internationale.
Reste à savoir si le Brésil va effectivement assumer qu'il est un pays de droit, un pays démocratique, régulé par des lois, respectant ses engagements internationaux, ou s'il restera muet, succombant, littéralement, sous les assauts des intérêts de quelques minorités.

La deuxième mouture du Programme [21]National [21] pour les Droits de l'Homme [21] a été réalisée au Brésil en 2002. Le premier PNDH [22] avait été lancé en 1996. Le PNDH-3 est un programme qui devra être mis en oeuvre par le futur gouvernement. La deuxième édition faisait écho à la première, avec des modifications mineures, tandis que le PNDH-3 actuel actualise et développe les deux premières éditions, toutes deux élaborées durant le mandat du Président Fernando Henrique Cardoso [8].