La BBC a provoqué une véritable tempête cette semaine avec un article [en anglais, comme tous les liens] avançant que des millions de dollars d'aide envoyés pour secourir les victimes d'une famine en Éthiopie, dans les années 80, ont été utilisés par les rebelles pour acheter des armes.
Les rebelles, qui sont majoritaires maintenant dans le gouvernement éthiopien, et certaines agences humanitaires ont démenti. Bob Geldof, le chanteur irlandais qui a permis de lever beaucoup de fonds dans les années 80 grâce aux campagnes et tournées Live Aid, a répondu que “ce n'était tout simplement pas le cas”. Le journal britannique The Independent a ouvert un blog ou il assure que ces allégations sont des diffamations, pilotées par les ennemis du gouvernement éthiopien à la veille de nouvelles élections.
Le blog éthiopien Ethiopian Recycler, qui de toute évidence n'est pas un fan du gouvernement actuel, objecte et défend l'article de la BBC dans deux billets successifs L'argent de l'aide, les armes, et Sir Bob Geldof et L'argent de Live Aid a en effet servi à acheter des armes :
Des millions de dons collectés dans les années 80 ont en effet été détournés pour acheter des armes et ont permis aux dirigeants des rebelles d'adopter un style de vie inhumain et extravagant, même à l'aune d'aujourd'hui. Ce n'est pas nouveau. Des milliers de personnes affamées de la région de Tigray ont été forcée de marcher jusqu'au Soudan, et beaucoup en sont mortes. Et des centaines qui ont été installées dans le sud-ouest de l'Éthiopie sont revenues à Tigray en passant par le Soudan [des centaines ont péri en route]. Ce n'est pas nouveau non plus. Que l'on puisse se demander, à la suite de l'article publié hier par la BBC, si cette arnaque a vraiment eu lieu est tout simplement absurde.
Un autre aspect des relations de l'Éthiopie avec les agences d'aide humanitaire est souligné par un blogueur qui vit à Addis Abeba, Owen Barder. Sur son blog, consacré à l'aide internationale, Hand Relief International, il porte un regard sarcastique sur le contraste entre le luxe de l'hôtel Sheraton, où beaucoup des officiels de l'aide humanitaire logent, et la pauvreté visible à l'extérieur de son enceinte :
Durant l'une des réunions auxquelles j'ai pris part la semaine dernière à Addis Abeba, mon séjour dans le patricien hôtel Sheraton a été légèrement gâché par la vue, derrière un mur rassurant, de gens en haillons qui semblaient généralement jouir d'un peu moins de confort…Heureusement, la sècheresse locale n'a pas affecté le système des fontaines dans l'hôtel, où nous nous sommes ragaillardis par de fréquents plongeons dans la piscine chauffée, et en particulier avant qu'un copieuse collation soit servie. Le thème de la conférence était : “Sècheresse et Famine : Opportunités pour le HRI en 2010″.
“Pourquoi la vérité a-t-elle mis un quart de siècle à arriver sur la place publique ?” se demande Samuel Ketema sur le site ABBAY Media: La banque d'informations éthiopienne :
S'il y a une chose qui devrait surprendre les gens, c'est pourquoi il a fallu un quart de siècle à la vérité pour émerger au grand jour. Sinon, et particulièrement pour ce qui concerne la trahison du TPLF [en français], tout ceci bien connu des Éthiopiens. Comment le REST (Relief Society of Tigray, Société d'aide de Tigray), un groupement pesant des milliards aujourd'hui, a été fondé est un secret de polichinelle pour les Éthiopiens. Ensuite, il y a le fait que la CIA était au courant depuis le début et que le gouvernement américain a donné son feu vert.
Les deux anciens commandants des rebelles qui ont sorti cette affaire en ont déjà parlé dans différents interviews qu'ils ont donnés en langue amharique. Rien de neuf là dedans. Comment le TPLF a-t-il pu constituer la plus grande armée et la mieux équipée en Afrique subsaharienne, sinon ? Meles Zenawi, décrit beaucoup en Occident comme un type très futé, entre autres par Bob Geldof et [le chanteur] Bono, est beaucoup plus futé en fait que ses admirateurs occidentaux peuvent le saisir.
Un lectrice du forum Ethiopian Current Affairs, Sarah, signale que les Ethiopiens n'ont pas été surpris :
Les Éthiopiens connaissent la nature du parti au pouvoir en Éthiopie et n'ont pas du tout été surpris par l'affaire. Ce qui les surprend, c'est pourquoi les médias occidentaux commencent à en parler maintenant ? et Bob Geldof agit comme un cadre des dictateurs éthiopiens.
L'affaire de l'“aide humanitaire pour des armes” confirme Mebre, est bien connue, dans toute l'Éthiopie :
L'affaire à laquelle vous faites allusion est bien connue dans toute l'Éthiopie, mais cela donne une base factuelle à l'Occident pour penser qu'un dictateur qui n'a pas le moindre scrupule moral envers ses propres compatriotes peut apporter paix et prospérité à la nation. Nous insistons tous pour que l'Occident n'arme pas les dictateurs…Aider les pauvres…Les pauvres ont besoin de liberté plus que de toute autre chose …