Le temps est revenu pour les citoyens et les résidents des Etats-Unis de se faire compter. Tous les ménages vont recevoir du US Census (le Bureau du recensement) un questionnaire à remplir et renvoyer à l'administration pour le 1er avril. Le recensement a pour objet de dresser un “portrait” détaillé du pays, qui aide à déterminer comment est dépensé l'argent du contribuable. Le questionnaire a été traduit en de multiples langues pour garantir que la diversité est représentée dans les réponses, mais certains Américains se plaignent que la question sur la race n'offre pas suffisamment de cases à cocher pour donner une image exacte de leur origine culturelle et ethnique [Sauf mention contraire, les liens sont en anglais].
Changement de définitions
Tous les dix ans, le recensement compte le nombre de personnes vivant dans chaque ménage, ainsi que leur sexe et leur race.
La question sur la race a été adaptée au cours du temps pour prendre en compte le visage racial et ethnique constamment en évolution du pays. En 1850, par exemple, les seuls choix étaient “blanc,” “noir,” et “mulâtre,” tandis que 30 ans plus tard s'ajoutaient les options “Chinois” et “Indien” (signifiant probablement Amérindien).
2000 a été la première année où les personnes interrogées ont été autorisées à cocher plus d'une catégorie raciale ; résultat, près de 7 millions d'Américains se désignent comme étant de deux races ou plus.
Parcourez le questionnaire du recensement pour voir quelles sont les catégories proposées aujourd'hui. Bien que les options raciales soient larges, tout le monde n'a pas le sentiment d'être compté.
Les Arabes sont ils Blancs ?
Cette année, il y a eu une polémique au sein de la communauté Arabo-Américaine sur la question de la race, parce qu'“Arabe” n'en fait pas partie. Les Arabes sont supposés cocher “Blanc” pour leur race, ou peuvent écrire “Arabe” ou l'ethnicité choisie (par ex., Syrien, Saoudien), mais ils resteront comptés officiellement comme blancs. Maytha sur le blog Kabobfest estime que c'est affaiblir les Arabo-Américains:
Du fait de l'extrême variabilité en phénotype, en “morphologie de base” (comme la désigne le professeur de Princeton Kwame Anthony Appiah), des identifications aux Etats-nations, des identités religieuses qui se chevauchent, et de la catégorisation raciale incohérente des tribunaux et des Etats fédéraux, je présume que c'était une tâche difficile que de dire quelle catégorie ou étiquette décrit de façon appropriée l'expérience d'être “Arabe” en Amérique, mais comme le montrent les images ci-dessus, cela a fait son effet d'affaiblir le privilège de minorité et n'a laissé que peu sinon aucune sauvegarde dans des moments où la protection des droits des minorités est nécessaire.
A l'image de Maytha, d'autres blogueurs Arabo-Américains n'ont pas le sentiment de rentrer dans les cases à leur disposition. L'Américaine d'origine marocaine Sarah Alaoui explique en quoi “blanc” ne lui correspond pas :
Parce que “blanc” n'incarne pas qu'une couleur. Ce que signifie le mot “blanc” aux Etats-Unis aujourd'hui est quelque chose qui transcende toutes les couleurs de peau. Blanc signifie les banlieues [aisées], cela signifie la prospérité, les clôtures. On pourrait me rétorquer que je rentre bien dans la catégorie blanche telle que je la définis. Mais blanc veut aussi dire ne jamais se faire poser de questions, pas de contrôles de sécurité supplémentaires à l'aéroport ou dans cette même catégorie, pas de fautes de prononciation de mon nom de famille ou de m'entendre dire que c'est un nom “sympa” tout juste avant la question d'où je viens. Etre blanc, ça veut dire être intouchable dans ce pays.
Il y a cependant des campagnes en faveur de l'inscription par les Arabes de leur race sur le recensement (l'auteur de ce billet a écrit sur la campagne Yalla! Count sur son blog ici). Helen Samhan, qui écrit pour Arab American News, éclaire une option qu'ont les Arabo-Américains dans le recensement :
Une option est de choisir la catégorie “Autre Race” et d'y inscrire votre identité ethnique ou votre origine nationale. Cela exprimera votre préoccupation sur les limites des catégories raciales actuelles, tout en nous permettant d'être comptés pour les motifs essentiels de la collecte des informations : représentation aux assemblées, et répartition des fonds fédéraux aux états et municipalités. Imaginez l'impact sur les villes de Dearborn, Michigan, ou Paterson, New Jersey si leurs importantes populations Arabo-Américaines ne figuraient pas dans le recensement de 2010 ? Les fonds disponibles pour les écoles, les routes, les hôpitaux et autres équipements au service de la communauté toute entière feraient défaut.
Les Latinos sont-ils Noirs ou Blancs ?
Les Arabes ne sont pas les seuls à se préoccuper du recensement. Il y a de nombreux débats parmi les Hispaniques et les Latinos sur de nombreux sujets, dont la race. Dans le journal Porto-Ricain* El Nuevo Día, Keila López Alicea a écrit (le texte est à présent archivé) un article intitulé “No, yo no soy negro” (”Non, je ne suis pas noire”) [en espagnol]:
Café con leche, color chavito, trigueño, jabao… Todos son términos usados por los puertorriqueños para describir su color de piel, unos tonos producto de mezclas entre la raza blanca y la raza negra, pero que no son ni lo uno ni lo otro y, por lo tanto, no aparecen entre las opciones que ofrece en Censo de Puerto Rico.
Un blogueur Argentin vivant au Texas et qui écrit sur Croníca de Nuestro Viaje a Houston analyse la question de l'origine hispanique, pour conclure qu'il y a une explication sur le questionnaire à ce que Latino ne soit pas considéré comme une race.
y yo me pregunto, los que no son blancos, ni negros, solo “morochitos” en cual entrarían? en “Otros”?… No se, me llamo la atención esta pregunta y su correspondiente aclaración.
Les couples de même sexe seront heureux d'apprendre qu'il existe une manière de caractériser leur relation dans le recensement. Zona Diversa, un blog LGBT de Porto Rico, indique [en espagnol] que les organisations de défense des homosexuels à Porto Rico ont expliqué que même s'il n'y a pas de question sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, on peut donner sa relation de droit civil et dire de quelle combinaison de sexes elle est composée.
De l'importance d'être compté
D'autres fractions de la communauté ont envisagé le boycott du recensement afin de faire pression sur le gouvernement pour une réforme de l'immigration. A ce sujet, Beverly Pratt, écrivant pour Racism Review, argumente :
En tant que militante en formation, je respecte absolument le droit de chacun au boycott. Néanmoins, je trouve que ce boycott est tout compte fait plus nuisible qu'utile. Si nous, membres de la communauté Latina/o voulons donner de la force à notre voix, alors il nous faut participer à la “collecte des voix” officielle tout en poursuivant notre lutte par les autres moyens pacifiques et efficaces. En ce qui me concerne, je me réjouis d'être comptée comme une Mexico-Américaine vivant à l'intérieur des Etats-Unis, parfaitement au courant que les universitaires, les hommes politiques et les militants étudieront mon identité comme faisant partie intégrante de l'ensemble de notre nation commune.
Les Irano-Américains travaillent eux-aussi à faire compter leur identité raciale et ethnique. Dans un message publicitaire avec en vedette le comique Irano-Américain Jobrani (ci-dessous), la communauté défend l'idée que les Iraniens devraient faire “la déclaration explicite de [leur] Nationalité ‘Iranienne’ ou ‘Irano-Américaine’ sous la question 9 du recensement qui demande ‘de quelle race est la personne ?'”
*Les habitants de Porto Rico participent au recensement étatsunien.
3 commentaires
CQFD : Les stats raciales sont absurdes.
Lorsqu’il y aura in fine autant de catégories que de citoyens, les USA seront eux-mêmes obligés de s’en rendre compte.